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La bataille du Vatican. 1959-1965

Un livre de Christine Pedotti

Christine Pedotti
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Pedotti cardinale ?

En 2008, elle avait créé le Comité de la Jupe, avec Anne Soupa, pour réagir à un propos ridicule du cardinal archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois : « Le tout n’est pas d’avoir une jupe, encore faut-il avoir quelque chose dans la tête ». Un an plus tard, elle lançait la Conférence catholique des baptisé-e-s de France qui entend d’une part faire émerger une opinion publique dans une Église où trop souvent les fidèles sont tenus pour des mineurs, et de l’autre ne pas laisser le monopole de la prise de parole à la « marée noire » du traditionalisme. Fin 2010, elle publiait, toujours avec Anne Soupa, un stimulant “Les pieds dans le bénitier” où elle ne se contentait pas de régler des comptes avec la hiérarchie mais témoignait d’une foi à déménager les cathédrales endormies. Cette année, c’est en réveillant en elle l’historienne qu’elle est que Christine Pedotti signe “La bataille du Vatican” dans lequel elle raconte, comme un thriller, les coulisses du Concile dont on fête cette année les cinquante ans.

Pour ce faire, elle a dévoré les milliers de pages des journaux publiés par les acteurs de ce Concile qui fut, rappelons-le, après les deux guerres mondiales, le premier événement médiatique planétaire, suivi en continu par la presse internationale et les grandes chaînes de télévision de l’époque, grâce au satellite Telstar, le premier du genre, lancé trois mois plus tôt dans l’espace. Même le New Yorker avait une taupe dans l’assemblée, qui signait du nom de Xavier Rynne des « Chroniques de la Cité du Vatican » dans lesquelles transpiraient des détails qui n’auraient pas dû sortir. Le premier assesseur du Saint-Office, Mgr Pietro Parente, tenta en vain de démasquer le coupable et il s’employait à acheter dans les librairies proches de la Cité du Vatican les exemplaires disponibles du New Yorker pour tenter de limiter les dégâts.

En fait de Concile, c’est presque une guerre de tranchée que rapporte l’historienne, loin de la légende dorée d’une assemblée d’évêques heureux de se retrouver, emportés par l’effusion de l’Esprit Saint. Si l’Esprit souffle, c’est en tempête, en coup de gueule ou de tabac, à travers de sourdes luttes d’influences, tant dans les réunions qui se tiennent officiellement que dans les cafés romains et les pizzerias ou dans l’antichambre des appartements pontificaux. Sans oublier des coups tordus, comme celui des bulletins de vote qu’un membre de la Curie (l’administration vaticane) fit détruire de nuit pour retarder un scrutin crucial. Bref, le Concile, c’est une histoire d’hommes qui n’étaient pas des petits saints, même s’ils voulaient servir, les uns et les autres, le Dieu auquel ils croyaient.

Ce qui était en jeu, c’était – comme l’avait voulu Jean XXIII, pape de transition qui avait pris la Curie à contre-pied – un aggiornamento, qui devait réconcilier l’Église catholique et le monde. L’heure était venue, pensait-il, de tourner la page de la crise moderniste qui avait vu ses prédécesseurs obnubilés par la dénonciation de l’erreur et obnubilés par la menace du communisme athée. Une bonne part de la Curie n’en voulait pas. Elle allait résister pied à pied, perdant bataille sur bataille, si bien que Vatican II fut à bien des égards un tournant. Cependant, la minorité parvint à allumer des contre-feux non négligeables, bien déterminée à reprendre la main plus tard quand le moment serait venu. Christine Pedotti ne raconte pas ce qui s’est passé ensuite, mais si son livre rend hommage à l’extraordinaire courage de ceux qui se sont battus pour que l’Église accompagne le monde dans les formidables transformations qui s’annonçaient, il montre aussi pourquoi les promesses de Vatican II ne seront pas toutes honorées, loin s’en faut. Tout cela permet de réfléchir aux raisons qui font que le catholicisme, dans sa forme institutionnelle, semble aujourd’hui, au moins dans le monde occidental, passablement à bout de souffle, explique-t-elle en buvant tranquillement un thé sous l’œil placide d’Alma, sa chienne qui fait celle qui en a vu et entendu d’autres et ne s’étonnerait pas de voir sa maîtresse parmi les cardinaux. Après tout, il n’est pas besoin d’être prêtre pour recevoir la barrette rouge. En théorie, la fonction n’est pas interdite aux femmes.

Était-il nécessaire de revenir sur ce qui s’est passé il y a cinquante ans ?

On a toujours tort de ne pas interroger l’histoire pour comprendre le présent et essayer d’avoir des lumières pour l’avenir. Mépriser sa propre histoire n’a jamais conduit personne à l’intelligence de ce qu’il est et de ce qu’il voudrait être. Les catholiques, c’est tout de même 1,2 milliard d’hommes et de femmes aujourd’hui. Cela fait pas mal de monde, d’autant que cela rejaillit aussi sur les autres chrétiens, puisque le concile a changé le rapport du catholicisme à l’orthodoxie et aux différents courants du protestantisme. Vatican II a également modifié, et c’est considérable, le regard du catholicisme sur le judaïsme, l’islam et les autres religions, et même sur l’athéisme. C’est donc l’attitude des catholiques face au reste du monde qui a été remis en question. Cela suffit à comprendre pourquoi cette histoire est importante. D’ailleurs, l’opinion publique mondiale s’est invitée au Concile – et c’était imprévu – et le regard du monde a pesé sur le travail qui s’y est accompli. C’était une sorte d’anticipation ou de prophétie de la mondialisation.

Comment les évêques présents au Concile l’ont-ils vécu ?

Ils ont été surpris. Pendant la première session, ils sont même étonnés de se voir ainsi réunis. Ils viennent de toutes les nations, ils sont de toutes « races » (on ne parle pas encore d’ethnies) et de toutes couleurs. Pour la première fois, ils se découvrent et travaillent ensemble. C’est un choc émotionnel. Le théologien français Henri de Lubac témoigne, par exemple, qu’il est véritablement fasciné par la présence du grand cardinal noir, Mgr Rugambwa, un Tanzanien, auquel il trouve des airs de prince. Les débats se font en latin, et ils se comprennent mal, parce qu’ils le parlent avec des accents trop différents. Qui plus est, lorsqu’il va falloir exprimer les réalités contemporaines, notamment technologiques, les mots manquent. Détail significatif, quand on donne des consignes pratiques – pour la procédure des votes, les rendez-vous à venir, etc. – on ne les transmet pas en latin, mais en italien, en français, en allemand, en anglais et en espagnol.

Heureuse surprise, non ?

Pas seulement, parce que les participants ont également découvert qu’un Concile, c’est rude, brutal ; l’histoire des précédents en témoigne. Certes, on n’en est pas venu aux mains, mais on sait qu’entre les cardinaux Suenens (l’archevêque de Bruxelles-Malines) et Ottaviani (le préfet du Saint-Office, l’ancienne Sacrée congrégation de l’inquisition romaine, aujourd’hui Congrégation pour la doctrine de la foi), les soies se sont froissées avec une certaine violence dans la sacristie de Saint-Pierre de Rome… Ce fut au moins une immense bataille intellectuelle. Et la Curie a découvert avec surprise, contrairement à ce qu’avait pu laisser penser les consultations préliminaires – sauf en matière de réforme liturgique –, qu’il y avait une très nette majorité pour le changement. C’est pour cela que la minorité en a été réduite à utiliser ses stratégies de guérilla parlementaire et de lobbying forcené. Le fair-play n’était guère de mise.

Sur quoi se bat-on ?

Un des grands débats, le premier, a porté sur la question de savoir si l’enseignement de l’Église tire sa source de la Bible et des Évangiles, ou si elle a une source distincte qui est la Tradition, c’est-à-dire la capacité de l’Église à élaborer de la doctrine. La Curie tenait à ce qu’on maintienne qu’il y avait deux sources, de peur de voir la doctrine affaiblie, alors qu’elle la voyait comme le corset qui maintenait la pureté de la foi. Le Concile a répondu qu’il y avait, en amont, une source unique en la personne de Jésus Christ, Verbe de Dieu. Cette manière de sortir du débat par le haut, sans vraiment le trancher, a cependant ouvert des possibilités d’interprétations et de méditations plus libres, y compris jusqu’à d’éventuelles remises en cause de formulations anciennes de la doctrine. Mais il est toujours possible d’invoquer la Tradition comme un verrou.
Un autre débat essentiel fut celui de la collégialité, que je compare volontiers à la bataille de Stalingrad, car cela a été une lutte pied à pied. L’enjeu était immense, puisqu’il était question, en définitive du pouvoir et de l’autorité. Les textes ont finalement affirmé que les évêques, successeurs des apôtres étaient collégialement récipiendaires de l’autorité dans l’Église, conjointement avec le pape, qui est au milieu d’eux comme un pair, mais tout en conservant le primat… Tous les mots ont été pesés soigneusement, mais cela n’a eu aucune conséquence pratique depuis cinquante ans, puisque Rome a repris sa position dominante.
La question du mariage a donné lieu à une autre bataille. Les évêques ont fait un pas pour dire que la procréation n’était pas la seule fin du mariage, mais ils ont été aussitôt dépossédés du dossier de la contraception. Plus tard Paul VI, dans l’encyclique Humanae Vitae, déclarera la pilule illégitime, alors que les évêques auraient certainement fait le choix contraire.
Enfin, il y a trois textes produits par le Secrétariat pour l’unité des chrétiens, sur la liberté religieuse, l’œcuménisme, et les relations avec les juifs et les religions non chrétiennes. Les débats furent très rudes, parce qu’ils témoignaient d’une véritable révolution, pour une Église qui se pensait en charge de défendre la vérité contre l’erreur, comme l’avaient exprimé les textes des papes précédents. Les opposants protestaient sur le mode : « Vous donnez des droits à l’erreur, mais l’erreur n’a pas de droits ! » On affirmait désormais qu’il fallait non plus s’opposer aux points de vue non catholiques, mais dialoguer.

En vous lisant on a le sentiment que le Concile n’est pas allé jusqu’au bout de ses intuitions.

À partir de la troisième session, les évêques ont bu une coupe d’amertume. Ils ont compris que ce qu’ils voulaient se heurtait à des refus très fermes de la Curie. Ils ont sauvé les meubles dans la quatrième session. Ils ont espéré qu’ils pourraient mettre en place dans leurs diocèses ce qui restait en suspens. Ils sont repartis chez eux en voulant oublier la rudesse de la bataille. Et ils ont eu tort : les compromis passés avec les conservateurs se sont retournés contre leur volonté. La question centrale était de savoir si l’on pouvait changer les choses, en finir avec l’immobilisme (Semper idem, toujours le même, telle était la devise du cardinal Ottaviani), or aujourd’hui le discours romain, pontifical, ne veut voir que la continuité, comme s’il n’y avait pas eu de rupture. Quand le Concile est mis en accusation parce qu’il aurait changé la foi, Benoît XVI répond, pour sauver le Concile, en assurant qu’il n’a rien changé…

Si on faisait un nouveau concile, la majorité ne serait-elle pas, cette fois-ci, beaucoup plus frileuse et conservatrice qu’il y a cinquante ans ?

Je fais le pari que non. Si on mettait les cinq mille évêques du monde en situation de prendre les décisions qui s’imposent, dans un Concile, qui est alors la plus haute autorité de l’Église, je suis convaincu que les évêques d’aujourd’hui seraient au moins aussi audacieux que ceux de l’époque, qui avaient pourtant été formatés dans des séminaires archi-classiques. Je suis persuadée que si on réunissait un Concile, des évêques pusillanimes aujourd’hui retrouveraient l’élan de la foi, comme ce fut le cas il y a cinquante ans.

Certes, mais les théologiens de l’époque, dont plusieurs avaient été crossés avant le Concile, ont joué un rôle considérable comme experts. Ils ne sont plus là, mis à par Hans Küng et… Joseph Ratzinger. Qui pourrait tenir ce rôle aujourd’hui ?

Vous avez raison : ces théologiens ont fait preuve d’un courage admirable et je ne suis pas sûr qu’on trouve aujourd’hui dans l’Église beaucoup d’hommes de cette trempe. Cela dit, il faudrait aller chercher des experts non pas seulement du côté de la théologie, mais surtout du côté des laïcs catholiques, hommes et femmes, engagés dans les réalités contemporaines, dans des ONG, dans des responsabilités professionnelles ou institutionnelles diverses. Un nouveau concile aurait besoin de faire appel à des experts qui viennent de la société civile. Il y a là des gens exceptionnels, capables d’aider l’Église à comprendre le monde d’aujourd’hui. On aurait sans doute là une ressource formidable et cela ferait droit à ce que le concile nomme le « sens surnaturel de la foi » qui demeure « dans le peuple tout entier ». C’est la source de mon optimisme.

Christine Pedotti

Notes :
interview par Jean-François Bouthors    http://www.thepariser.fr/pedotti-cardinale/
6 mars 2012



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