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Le Pape François et la théologie de la libération

Leonardo Boff
Publié dans Bulletin PAVÉS n°35 (6/2013)

 

Beaucoup se demandent si le fait que le pape actuel François vienne d’Amérique Latine en fait un adepte de la théologie de la libération. Cette question n’a pas de sens. L’important n'est pas d’être en faveur de la théologie de la libération mais de libérer les opprimés, les pauvres, ceux qui souffrent de l’injustice. Et c’est ce qu'il fait avec une évidence indiscutable.

En vérité c’est bien cela qui a toujours été l’objet de la théologie de la libération. D’abord la libération concrète de la faim, de la misère, de la dégradation morale et de la rupture avec Dieu. Cette réalité appartient aux bienfaits du Royaume de Dieu et fait partie des enseignements de Jésus. Ensuite, en deuxième lieu, vient la réflexion sur ce donné réel : dans quelle mesure se réalise ici, par anticipation, le Royaume de Dieu et de quelle manière le christianisme, avec le capital spirituel hérité de Jésus, peut-il collaborer, avec d’autres groupes humanitaires, à cette nécessaire libération.

Cette réflexion postérieure, qu’on appelle théologie, peut exister ou non. Ce qui est décisif, c’est que se produise réellement le fait d’une véritable libération. Mais il y aura toujours des êtres attentifs qui entendront le cri des opprimés et de la Terre dévastée et qui se demanderont : avec ce que nous apprenons de Jésus, des apôtres et de la doctrine chrétienne depuis tant de siècles, comment pouvons-nous apporter notre contribution au processus de libération ? Cela a été perçu par toute une génération de chrétiens, des cardinaux aux laïcs, hommes et femmes, à partir des années 60 du siècle dernier. Cela continue à l’heure actuelle, parce que les pauvres ne cessent de croître, et leur cri est maintenant devenu une clameur.

Aujourd’hui, le pape François a fait cette option pour les pauvres, il a vécu et vit pauvrement en solidarité avec eux, et il a dit clairement dans un de ses premiers discours : « Combien je désirerais une Église pauvre pour les pauvres. » En ce sens, le pape François assume l’intuition première de la théologie de la libération et accepte sa marque de fabrique : l’option préférentielle pour les pauvres, contre la pauvreté et en faveur de la vie et de la justice.

Ce choix n’est pas seulement pour lui une manière de parler mais un choix de vie et de spiritualité. À cause des pauvres, il s’est heurté à la présidente Cristina Kirchner, car il exigeait de son gouvernement davantage d’engagement politique pour résoudre les problèmes sociaux qui, au sens propre, s’appellent inégalités, et qui du point de vue éthique représentent des injustices, et qui en théologie constituent un péché social qui affecte directement le Dieu vivant, ce Dieu qui dans la Bible s’est toujours montré du côté de ceux qui ont moins de vie et sont privés de justice.

En 1990, l’Argentine comptait 4 % de pauvres. Aujourd’hui, compte tenu de la voracité du capital national et international, ils sont devenus 30 %. Ce ne sont pas que des chiffres. Pour un homme sensible et spirituel comme le pape François, cet état de fait représente un chemin de croix de souffrance, les larmes des enfants affamés et le désespoir des parents désœuvrés. Cela me rappelle une citation de Dostoïevski : « Aucun progrès dans le monde ne justifie le cri d’un enfant qui a faim. » 

Cette pauvreté – insiste fermement le Pape François – ne se résout pas avec de la philanthropie mais par des politiques publiques qui rendront leur dignité aux opprimés et en feront des citoyens autonomes et actifs.

Peu importe que le pape François n’utilise pas l’expression "théologie de la libération". Ce qui est vraiment important, c’est qu’il parle et agisse de manière libératrice. Il est même bon que le pape ne se lie pas à quelque type de théologie, celle de la libération pas plus qu’une autre. Ses deux prédécesseurs ont assumé un certain type de théologie qu’ils avaient en tête et qu’ils présentaient comme l’expression du magistère pontifical. C’est en raison de cela qu’ils ont fait condamner beaucoup de théologiens et de théologiennes.

Les historiens savent que la catégorie “magistère” attribuée aux papes est une création récente. Elle a commencé à être utilisée par les papes Grégoire XVI (1765-1846) et Pie X (1835-1914) et est devenue courante avec Pie XII (1876-1958). Auparavant, “le magistère” était  constitué par les docteurs en théologie, et non par les évêques ou par le pape. Ceux-ci sont les maîtres de la foi. Les théologiens sont les maîtres de l’intelligence de la foi. Aussi n’appartient-il pas aux évêques et aux papes de faire de la théologie : mais bien de témoigner officiellement et de garantir avec zèle la foi chrétienne. Il appartient aux théologiens et aux théologiennes d’approfondir le témoignage avec les instruments intellectuels offerts par la culture du moment. Quand les papes se mettent à faire de la théologie, comme ce fut le cas récemment, on ne sait plus s’ils parlent en tant que papes ou comme théologiens. Et il se crée une grande confusion dans l’Église. On perd la liberté de recherche et le dialogue avec les différents savoirs.  

Grâce à Dieu, le pape François se présente explicitement comme un pasteur et non comme un théologien, fût-il de la libération. Ainsi est-il plus libre pour parler à partir de l’évangile, de son intelligence émotionnelle et spirituelle, avec un cœur ouvert et sensible en syntonie avec le monde planétaire d’aujourd'hui. Le Pape François situe la théologie en un ton mineur pour que la libération résonne en un ton majeur : une consolation pour les opprimés et un appel à la conscience pour les puissants. Donc, moins de théologie et plus de libération.

Leonardo Boff - Brésil)

Notes :

in Jornal do Brasil, 30 avril 2013
http://www.jb.com.br/leonardo-boff/noticias/2013/04/28/papa-francisco-e-a-teologia-da-libertacao/#   traduction : P. Collet  


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