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Peut-on être espérant, souriant ou même enthousiaste

quand on est un-e chrétien-ne progressiste et critique?

Dominique Boisvert
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

C’est la question que je me suis posée en lisant plusieurs textes envoyés par mes ami-e-s chrétiens « de gauche » suite à l’élection du nouveau pape François.

Dans nos milieux de chrétiens engagés, il est de bon ton d’être « critique » : il ne faudrait surtout pas être surpris en train de « baisser la garde »! Ni se laisser aller à des espoirs qui risqueraient d’être déçus. Notre souci d’« analyse » prend le pas sur la confiance et le besoin quasi maladif d’identifier les problèmes existants nous empêche trop souvent de nous réjouir sans arrière pensée de ce qu’il peut y avoir de positif dans une situation donnée.

J’aurais plein d’exemples à donner. Je me contenterai d’un seul texte, à titre d’illustration d’une tendance fort répandue. Je précise que j’ai une grande estime pour l’auteure du texte et son œuvre, et j’élargirai très vite le débat au-delà du texte cité pour aborder les questions de fond que je veux soulever.

L’exemple d’Ivone Gebara

Dans son texte « Un nouveau pape. La géopolitique du secret », daté du 14 mars (lendemain de l’élection du pape François), Ivone Gebara, importante théologienne brésilienne, met en opposition les « premières émotions devant un pape sud-américain à l'expression aimable et cordiale » avec la nécessaire « critique à l'égard de ce système [de secret entourant l’élection du pape] pervers qui continue à utiliser le Saint Esprit pour le maintien de postures ultra-conservatrices revêtues d'apparences de religiosité et de soumission bonasse. »

Je ne voudrais pas citer Ivone hors-contexte (son texte a quand même 2½ pages), mais le ton général est sans ambiguïté : ceux et celles qui se réjouissent des premiers gestes du pape François sans y ajouter aussitôt des réserves sont associés aux « peuples [qui] applaudissent sur les grandes places publiques, [qui] s'émeuvent, prient et chantent pour que les bénédictions divines tombent sur les têtes des nouveaux gouvernants politico-religieux. » Tandis qu’ « Écrire sur ˝ la géopolitique du secret ˝ au temps de l'euphorie médiatique, c'est gâcher la fête des petits vendeurs du temple rendus heureux par leurs baraques pleines de chapelets, scapulaires, flacons d’eau bénite, images grandes et petites de beaucoup de saints. » Bref, l’émotion populaire inconsciente contre l’analyse critique rigoureuse. D’ailleurs, ne manquant pas d’autocritique, elle ajoute que « Nous sommes complices du maintien de ces pouvoirs ténébreux qui nous enchantent et nous oppriment en même temps. Nous surtout, qui possédons plus de lucidité sur les processus politiques et religieux, nous sommes responsables de l'illusion (…). » (les italiques sont de moi).

J’aurais bien des choses à dire sur le texte d’Ivone, mais ce n’est pas ici la place. Mon propos est  plutôt de soulever une question fondamentale : quelle est la place de l’espérance pour nous, chrétien-ne-s engagé-e-s et critiques? Et comment la vivre concrètement dans un événement comme celui que nous venons de vivre suite à la démission du pape Benoît XVI?

Espoir(s) et espérance

Durant toute la période préparatoire au conclave, j’étais partagé entre des « espoirs réalistes » (qui variaient selon les jours et les nouvelles) et une véritable espérance (qui, elle, était beaucoup plus stable).

Les espoirs, nombreux et parfois un peu fous, allaient évidemment dans le sens de l’Église dont on rêve, celle entrevue durant Vatican II, qui saurait s’ouvrir à une véritable rencontre avec notre monde contemporain, ses défis, ses grandeurs et bien sûr ses misères. Pour moi, l’espoir est le sentiment humain qui porte mes rêves et mes désirs; mes espoirs sont mes souhaits vécus et ressentis « à vue humaine ». Et comme l’Église-Institution et ses cardinaux, électeurs ou non, de même que son Histoire millénaire comme son histoire récente, sont ce qu’ils sont, un minimum de réalisme m’obligeait évidemment à tempérer mes espoirs.

Pourtant, comme disciple de Jésus et de sa Bonne Nouvelle, j’étais et je demeure profondément espérant (ou plutôt : j’essayais et je continue d’essayer d’être chaque jour le plus espérant possible). Non pas en raison de l’élection du pape François (même si celle-ci a ravivé plusieurs de mes espoirs). Mais en raison de l’Amour et de l’Alliance annoncés par Dieu, ses prophètes et par son Fils lui-même, dans sa vie comme dans l’Évangile qui nous a été transmis à travers les siècles. Cette espérance est spirituelle, antérieure aux (et indépendante des) péripéties ecclésiales, romaines ou plus universelles.

« À vue humaine », les espoirs comme le pessimisme[1] de nos analyses peuvent se confronter ou se justifier : seuls le temps et l’histoire détermineront qui avait raison, et jusqu’à quel point. Mais « à vue évangélique », seule l’espérance a sa place, même s’il faut souvent, comme nos ancêtres dans la foi, « espérer contre toute espérance ».

Espérance, espoir(s) et le pape François

Quel que soit l’inconnu qu’allait nous révéler le « Habemus papam », l’espérance évangélique qui n’est qu’un autre nom de l’Amour nous invitait déjà à l’ouverture et à la confiance : Dieu (bien sûr à travers toutes les médiations bien humaines – et donc faites du meilleur et du pire - des cardinaux et du conclave) allait continuer d’être présent au monde et à son Église à travers le 266e successeur de Pierre (selon notre décompte historique officiel).

Ce nouveau pape a bien sûr nourri, par de nombreux gestes qu’il a posés dès la première semaine qui a suivi sont élection, cette espérance spirituelle. Mais il a tout autant, et pas seulement chez les chrétiens, réjoui des cœurs et suscité des espoirs pour un autre visage d’Église (et donc de Dieu) offert au monde : un visage de bonté, d’accueil et de tendresse (trois autres noms de l’Amour). Plein de gens, dans l’Église et hors de l’Église, ont été touchés par cet homme, son sourire, ses paroles, ses actes du quotidien : faudrait-il bouder notre plaisir sous prétexte que ces réactions bien humaines et légitimes relèvent des émotions? Faudrait-il lever le nez sur la proximité qu’a vécue le cardinal Bergoglio avec les pauvres et les petites gens et sur l’intérêt qu’il leur a porté sous prétexte que cela ne s’attaque pas automatiquement aux causes et aux structures de la pauvreté? Le sourire et la simplicité du pape François sont-ils moins importants ou significatifs parce que ses relations avec les autorités argentines durant la guerre sale n’ont pas été aussi prophétiques qu’on pourrait le souhaiter?

Aucun humain, fût-il pape, ne peut être à lui seul à la hauteur de tous les espoirs humains (d’autant plus que mes ou nos espoirs ne sont pas nécessairement ceux de tous les autres)! Aucun pape, aussi saint soit-il, ne peut non plus combler totalement l’espérance qui est la nôtre, puisque celle-ci aspire à rien de moins que Dieu lui-même et son Royaume.

Le pape François semble vouloir démystifier bien des attitudes et des traditions qu’on croyait immuablement associées à la papauté : tant mieux! Il semble vouloir d’une Église pour les pauvres : si cela se concrétise, ce serait un énorme changement de cap! Il veut une Église d’ouverture, de bonté et de tendresse : quel progrès!

Sera-t-il capable de livrer la marchandise? Nul ne le sait. Son pontificat sera-t-il assez long pour qu’il puisse apporter les changements souhaités? Impossible à savoir. Sera-t-il récupéré ou boycotté par la Curie? Seul le temps nous le dira. Répondra-t-il à tous nos souhaits et désirs légitimes? À cela, au moins, on peut déjà répondre « non » sans aucun risque de nous tromper!

Mais cela n’enlève absolument rien à la joie d’avoir un pape François qui ouvre des portes, secoue les traditions et donne enfin un certain visage humain, et donc limité, à une fonction à la fois spirituelle et humaine : la papauté en ce début du XXIe siècle.

La papauté, l’Église et nous

Suivre les événements entourant le conclave (malgré des excès médiatiques comme on en trouve dans tous les événements que les médias jugent – ou rendent —d’importance planétaire), se réjouir (ou pas) du choix du nouveau pape, être envahi d’espoirs (raisonnables ou irréalistes), tout cela ne nous dispense aucunement de revenir à ce qu’est vraiment l’Église depuis Vatican II : le rassemblement du peuple de Dieu, c’est-à-dire nous tous.

L’Église n’est ni le pape, ni la Curie romaine, ni l’État du Vatican, ni les richesses culturelles et patrimoniales accumulées au fil des âges, même si chacun de ces éléments contribue souvent, de façon très importante, à façonner l’image publique (et médiatique) de notre Église.

Même avec François comme pape (et sans doute davantage espérons-le), l’Église c’est nous tous. Nous tous, c’est-à-dire non seulement ceux et celles avec qui je me sens spontanément davantage proche et solidaire (les chrétienNEs de ma gang, ceux et celles qui partagent ma compréhension de l’Évangile et mes priorités sociales et politiques), mais aussi tous les autres chrétienNEs d’ici et d’ailleurs dans le monde, tous ceux et celles qui se reconnaissent comme disciples de Jésus et qui s’efforcent de vivre, au meilleur de leur conscience et dans le concret diversifié de leur culture, l’Évangile au quotidien.

Et donc pour tous les dossiers qui nous tiennent à cœur, y compris tous ceux auxquels le pape François n’apportera sans doute pas (mais peut-être serons-nous parfois surpris?) la réponse que nous aimerions (ouverture du sacerdoce aux femmes ou aux gens mariés, acceptation de l’homosexualité ou de l’avortement, etc.), il n’est pas question de nous en remettre à Rome et de nous contenter d’attendre des « autorités » la réponse à nos questionnements. Comme Jacques Gaillot nous le rappelait, lors d’une de ses premières visites au Québec, « l’Église, c’est vous (et nous) tous : faites-le et ça se fera! »

Notre théologie de la libération

Je ne veux pas entrer ici dans une réflexion poussée sur la théologie de la libération (que nous avons nommée au Québec « théologie contextuelle »). J’utilise ici l’expression au sens de la théologie dont les chrétiens progressistes, socialement engagés ou « de gauche » se réclament.

Celle-ci intègre dans sa réflexion, et avec raison, une foule d’outils humains développés au cours des derniers siècles : sociologie, psychologie, sciences économiques et politiques, etc. Je n’ai même pas d’objection, quant à moi, à ce que la théologie tienne compte des analyses et des acquis du marxisme, au même titre que de la psychanalyse et de bien d’autres branches de la recherche et du savoir. Cela n’en fait pas pour autant une théologie marxiste ou psychanalytique.

Mais je dois reconnaître que notre fréquentation des sciences humaines a peut-être émoussé peu à peu la dimension proprement spirituelle de notre foi-telle-que-vécue-dans-notre-pratique-quotidienne.

Faire l’analyse tout à fait utile qu’Ivone Gebara proposait, avant le conclave, dans son texte sur les médiations éminemment humaines que prend l’Esprit Saint pour éclairer les cardinaux[2] n’équivaut pas à dire que l’Esprit Saint n’est que le nom qu’on donne aux tractations humaines ou que la somme de celles-ci. Pour moi, l’Esprit Saint (Dieu) est cette réalité mystérieuse (au sens de mystère) qui transcende notre réalité humaine tout en y étant intimement présente. Et réduire notre lecture de la réalité, fût-elle progressiste, socialement engagée ou « de gauche », à ses seules dimensions humaines (ce que j’ai appelé plus haut « à vue humaine »), est une erreur importante à laquelle nous n’avons peut-être pas toujours échappé.

À nous lire, j’ai parfois l’impression de rencontrer une vision du monde aussi sévère et monolithique que celle que nous avons, à bon droit, très souvent reprochée aux autorités ecclésiales et romaines depuis la fin du Concile Vatican II. Nous souhaiterions souvent imposer notre vision d’Église (place de la femme dans l’Église, morale sexuelle, priorité à l’engagement social concret, théologie de la libération, etc.) à tous les chrétiens, sans toujours tenir compte des contextes culturels et historiques particuliers ou, beaucoup plus simplement, sans tenir compte des sensibilités ou des opinions différentes des nôtres.

Faire Église, en 2013 comme depuis toujours, c’est accepter les différences entre Pierre et Paul, c’est accepter que nul ne peut prétendre connaître ou nommer Dieu, c’est respecter les chemins uniques et particuliers que Dieu invite chacunE à suivre, c’est reconnaître qu’au nom du même Dieu et du même Évangile, deux frères ou sœurs en Christ n’arriveront pas nécessairement, en leur âme et conscience, au même choix ou à la même décision, c’est valoriser aussi bien, comme moyen de rencontrer Dieu, l’émotion que la raison, l’adhésion spontanée que l’analyse.

Mais par-dessus tout, c’est accepter que nos réactions comme nos analyses humaines, aussi importantes et indispensables soient-elles, cèdent ultimement le pas à quelque chose qui les transcende et qui s’appelle la rencontre mystérieuse et privilégiée avec le Tout Autre.

Et cette réalité spirituelle non seulement nous autorise à être « espérant, souriant ou même enthousiaste » (pour reprendre la question du titre), même quand on est des chrétien-ne-s progressistes et critiques, mais elle nous y invite instamment. Car Dieu est Amour, Dieu aime le monde (y compris dans toutes ses dimensions humaines souvent discutables), Dieu nous veut tous et toutes heureux (chrétiens ou pas) c’est-à-dire sauvés. Et pour en être ses témoins sur la terre, Dieu attend précisément des chrétien-ne-s cette « joie imprenable[3] » et cette espérance.

 21 mars 2013      

Dominique Boisvert - Canada)

Notes :

[1]  J’allais ajouter : « voire le cynisme », mais je crois profondément que le cynisme est anti-évangélique et qu’il ne devrait donc jamais être de mise chez les disciples de Jésus.

[2] L’élection d’un nouveau pape et l’Esprit Saint, Ivone Gebara, Brésil, février 2013 (4 pages)

[3] Pour reprendre la riche et profonde expression de la théologienne protestante suisse, Lytta Basset : La joie imprenable, Genève, Éd. Labor et Fides, 1996, 371 p.




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