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Être radicalement pauvre pour être pleinement frère


Leonardo Boff
Publié dans Bulletin PAVÉS n°36 (9/2013)

Une des premières paroles du Pape François a été : "Comme je souhaiterais une Église pauvre pour les pauvres."  Cet objectif est conforme à l’esprit de Saint François, qu’on appelle le Poverello, le pauvre d’Assise.  Il n’avait pas la prétention de diriger une Église pauvre pour les pauvres, car ce n’était pas possible dans le régime de chrétienté où l’Église avait tout le pouvoir, mais je pense qu’il a créé autour de lui un mouvement et une communauté de pauvres avec les pauvres et comme les pauvres.

En termes d’analyse de classes sociales, François appartenait à la bourgeoisie locale prospère.  Son père était un riche marchand de tissus. Jeune homme, il menait avec ses amis une vie de bohème – une jeunesse dorée – ils passaient leur temps à faire la fête et à chanter les sirventès des troubadours du sud de la France. Adulte il a affronté une crise existentielle grave. C’est du dedans de cette crise qu’ont surgi en lui une compassion inexplicable et un amour pour les pauvres, en particulier les lépreux, totalement mis au ban de la société, chassés hors de la ville. Il a quitté l’entreprise familiale, a choisi la pauvreté évangélique radicale et est allé vivre avec les lépreux. Jésus pauvre et crucifié et les pauvres bien réels furent les mobiles de son changement de vie. Il a passé deux ans dans la prière et la pénitence, jusqu’à ce qu’il entende un appel intérieur du Crucifié : "François, va réparer mon Église en ruines".

Il était difficile de comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une mission matérielle, mais d’une mission spirituelle. Il partit sur les routes prêchant l’Évangile dans les villages, dans la langue du peuple. Et il le faisait avec tant de joie, de "grâce" et de force de conviction que cela a fasciné certains de ses anciens compagnons.  En 1209, il a obtenu que le pape Innocent III approuve sa "folie évangélique". Le mouvement franciscain démarrait et en moins de vingt ans il comptait plus de cinq mille disciples. Quatre axes structurent le mouvement : l’amour passionné pour le Christ crucifié, l’amour tendre et fraternel envers les pauvres, la "dame pauvreté", une vraie simplicité et une grande humilité.

Laissons de côté les autres points et essayons de comprendre comment François a vu et vécu avec les pauvres. Il n’a rien fait pour les pauvres (une léproserie ou des œuvres d’assistance), mais il a beaucoup fait avec les pauvres, car cela faisait partie de la prédication de l’Évangile et il était avec eux quand il le pouvait, mais il a fait plus : il a vécu comme les pauvres. Il assumait leur vie, leurs habits, la besace, il soignait leurs blessures et mangeait avec eux. C’était un pauvre parmi les pauvres. Et s’il trouvait quelqu’un de plus pauvre que lui, il lui donnait une partie de ses vêtements pour être vraiment le plus pauvre des pauvres.

La pauvreté n’est pas un manque, mais la capacité à donner et redonner encore jusqu’à se priver de tout. Ce n’est pas un chemin d’ascèse, mais le moyen pour parvenir à une excellence incomparable : l’identification avec le Christ pauvre et avec les pauvres avec qui établir une relation de fraternité.

François avait senti que les possessions se dressent entre les personnes, les empêchent de se regarder les yeux dans les yeux et de se parler de cœur à cœur. Il y a des intérêts qui s’insinuent entre (inter-esse) les personnes et qui créent des obstacles à la fraternité. La pauvreté est l’effort continu pour enlever les richesses et les intérêts de toute nature parce que c’est de là que viendra la véritable fraternité.  Être radicalement pauvre pour être pleinement frère, c’est le projet de François, d’où l’importance de la pauvreté radicale.

Il est vrai que l’extrême pauvreté était pénible et dure à vivre. Personne ne vit seulement d’expérience mystique.  L’existence dans un corps et dans le monde pose des exigences qui ne peuvent être truquées.  Comment humaniser la déshumanisation réelle qu’est ce genre de pauvreté? Les sources de l’époque témoignent que les frères ressemblaient "à des hommes des bois (des sauvages), qu’ils mangeaient très peu, marchaient pieds nus et s’habillaient de guenilles". Mais à la surprise de tout le monde, qu’ils ne perdaient jamais la joie et la bonne humeur.

Dans ce contexte d’extrême pauvreté, François donne de la valeur à la fraternité. La pauvreté de chacun est un défi pour l’autre, pour s’occuper de lui et lui donner l’aumône ou de travail, le minimum nécessaire, lui donner un abri et la sécurité. C’est ainsi que ‘l’avoir’ est remplacé dans sa prétention à assurer la sécurité et l’humanisation.  François veut que chaque frère assume vis-à-vis de l’autre la mission de mère, parce que les mères savent comment prendre soin des autres, en particulier des malades.  Seule la prise en charge mutuelle humanise l’existence comme l'a démontré M. Heidegger dans Être et Temps.

Pour ceux qui vivent sans aucune protection, la fraternité signifiait tout en fait.  Le biographe Thomas de Celano décrit le bonheur et la joie au cœur de l’extrême pauvreté. Il a écrit : "pleins de nostalgie, ils cherchaient à se rencontrer et ils étaient heureux quand ils pouvaient être ensemble, l’éloignement était douloureux, le départ amer, la séparation triste." Le dépouillement total les ouvrait à profiter des beautés du monde, non pas parce qu’ils voulaient les avoir, seulement pour les goûter.

De nombreuses leçons peuvent être tirées de cette aventure spirituelle. Tenons-nous en à l’une d’elles : pour François, les relations humaines doivent toujours être construites à partir de ceux qui ne sont pas et qui n’ont pas la vision des puissants. Ils doivent être embrassés comme des frères. Seule une fraternité qui vient d’en bas et à partir de là englobe tout le monde, est vraiment humaine et est durable. L’Église que nous avons aujourd’hui ne sera jamais comme les pauvres. Mais elle peut être pour et avec les pauvres, comme le rêve le Pape François.

14-06-2013

 

 

Leonardo Boff - Brésil)

Notes :
http://www.servicioskoinonia.org/boff/articulo.php?num=569 traduction : P. Collet  

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