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Vatican II et le diaconat permanent

Philippe Liesse
Publié dans Bulletin PAVÉS n°34 (3/2013)

 

Le Concile Vatican II a rétabli le diaconat permanent dans l’Église latine. S’il existait à l’origine, il avait disparu après quelques siècles pour laisser la place à un diaconat tampon, une étape vers l’ordination presbytérale. La restau-ration du diaconat permanent, dans les années qui suivent le Concile (1962-1965), est le fruit d’une longue réflexion ecclésiale. Elle a engagé de nom-breux débats, parfois difficiles, et elle est encore aujourd’hui sujet à caution.

Un sous-prêtre[1], un sacristain d'élite, un assistant paroissial à vie ? Un personnage dont la fonction a des contours peu ou mal définis ! Tantôt militant, tantôt cérémoniaire, qui est-il donc, ce ministre du troisième degré ? Pour essayer de mieux cerner le problème,  il n’est pas inintéressant de relire l’événement à la lumière de l’Histoire.

Des premiers chrétiens à Vatican II

Dans le Nouveau Testament, les termes « diakonos », « diakonia »  et « diakonéô » apparaissent à plusieurs reprises. Le champ sémantique est très large, mais il ramène toujours à l’idée de service : le simple serviteur, l’autorité au service de Dieu, serviteur des circoncis, serviteur de l’Évangile, serviteur de l’Église, service de la parole, service des autres, etc … !

La seule référence explicite aux « diakonoi » est celle de Paul et Timothée qui s’adressent à « tous les saints qui sont à Philippe et particulièrement aux « épiscopois » et « diakonois » (Phil. 1,1). Les diacres doivent être sobres et fuir les profits déshonnêtes. Qu’ils gardent le mystère de la foi dans une conscience pure. Qu’ils soient maris d’une seule femme »[2]. Le recours aux Actes des apôtres (Ac 6) est souvent utilisé, même dans la liturgie, mais la plupart des exégètes mettent en doute le bien-fondé de cette thèse.

Les IIIe et IVe siècles vont connaître l’apogée du diaconat. Les diacres, collaborateurs directs des évêques, vont exercer différentes fonctions dans les domaines de la bienfaisance et de la liturgie. Ils prendront part à la charge pastorale et y assurant parfois des postes clés.

Mais qui dit postes clés dit « exercice du pouvoir » avec tout ce qu’il peut entraîner de rêve de grandeur, passe-droit, jalousie, conflit de personnes !

Quand la pastorale concernait le milieu urbain, l’évêque restait le point centralisateur avec à sa disposition un collège de prêtres et de diacres.  Lorsque le christianisme va se développer dans les campagnes, les conciles locaux vont confier l’administration des paroisses à des prêtres résidents. Ils prennent bien soin de mentionner les diacres en situation de subordonnés par rapport aux prêtres, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Pendant des siècles, les évêques garderont un archidiacre comme surintendant des biens. Il aura une fonction administrative primordiale. Il s’agit en fait d’un secrétaire général, une fonction incompatible avec le ministère du prêtre (il cesse d’être archidiacre s’il devient prêtre). Il est le représentant officiel de l’évêque et il arrive souvent qu’il lui succède (sans recevoir l’ordination presbytérale).

Le traditionnel souci du pauvre va disparaître progressivement de la préoccupation des diacres, car la gestion financière donne un pouvoir qui fait ombrage à d’autres milieux. La pression sera de plus en plus grande pour canaliser ces personnages gênants. D’autre part, les princes chrétiens et les monastères prennent en compte ce souci des lieux d’accueils et de redistribution des biens.

La fonction diaconale, quand elle demeure, va se cloisonner dans la liturgie. Et comme le ministère presbytéral est réfléchi sur le mode sacerdotal, le diacre se situe comme adjoint, dépendant du prêtre qui concentre en sa personne toute la symbolique eucharistique. Le diaconat devient salle d’attente, étape vers l’ordination presbytérale ! Le diaconat permanent s’éteint.

C’est au XIXe siècle que la question resurgit. Diverses raisons peuvent expliquer cette émergence. Une redécouverte intellectuelle de l’histoire des premiers siècles et la réflexion des Pères de l’Église viennent réveiller la curiosité dans la compréhension des ministères. D’autre part, l’Église veut disposer d’acteurs clairement référés à elle dans les milieux caritatifs allemands et français, suite notamment aux guerres qui ont dévasté le siècle. Enfin, l’Église s’interroge sur sa mission et ses acteurs.

En 1957, Pie XII estime, dans un discours consacré à l’apostolat des laïcs, que « le diaconat est une fonction ecclésiastique indépendante du sacerdoce, mais que l’éventualité de sa restauration n’est pas encore mûre ». Six ans plus tard, le Concile Vatican II estimait que le temps de la restauration était peut-être venu.

Vatican II

Le 29 octobre 1963, les Pères conciliaires se disent favorables à la réinstauration du diaconat permanent, selon les besoins de l’Église dans les diverses régions du monde. L’argument décisif qui a emporté l’adhésion concernait la situation dans les contrées missionnaires où l’influence de l’Église diminuait à cause du nombre limité de prêtres ! La seule hésitation apparue dans le débat concernait la possibilité d’ordonner des hommes mariés comme diacres, certains évêques craignant que cette ordination accentue la diminution du nombre de prêtres qui devaient eux s’engager au célibat avant de recevoir le diaconat.

La réinstauration du diaconat permanent n’est donc pas un phénomène général, mais une possibilité offerte aux diverses conférences épiscopales de la mettre en œuvre. Pour éviter l’enlisement des débats, le Cardinal Suenens demanda un vote indicatif sur le projet, en ayant soin d’y insérer le rétablissement d’un diaconat marié. Il concluait son intervention en demandant que soit soumis aux délibérations des Pères le vœu suivant : "Là où l'instauration d'un diaconat permanent semblerait opportune aux conférences épiscopales, la liberté de l'introduire leur est accordée ". Le vote du 29 octobre 1963 révéla 1588 voix pour un diaconat permanent marié sur un total de 2120 votants.

Outre les débats théologiques sur le sens du rétablissement du 3e degré dans la hiérarchie, l’argument qui prévalut fut celui de « La mission en diaspora ».

Le rétablissement acquis, le Concile veut s’ouvrir aux formes que prendra le diaconat dans le futur selon les besoins pastoraux et la pratique ecclésiale. Mais le Concile se trouve devant un vide pastoral, contrairement à l’épiscopat et au presbytérat. Au mieux, il peut donner quelques principes généraux et quelques règles pratiques en attendant la mise en œuvre qui serait engendrée sur le terrain par les différentes conférences épiscopales.

Un ministère à réinventer sans cesse

La mission en diaspora ! Dans notre diocèse, on a parlé de « ministère du seuil ». Je crois que les termes se rejoignent pour dire une vérité fondamen-tale à propos de ce nouveau ministère à inventer : « Le diaconat n’est pas l’entame d’une opération bouche-trou en raison de la diminution du nombre de prêtres, mais il se veut signe et rappel à l’Église de sa vocation diaconale ». La diaconie (diakonia), avec le témoignage (martyria) et la communion (koinonia) constitue l’un des trois piliers de la vie de l’Église[3]. La diaconie, c’est le souci de prendre soin de l’humanité, gratuitement, sans mettre au départ de conditions ni en attendre quelque rétribution que ce soit[4]. La diaconie est donc le fait de toute l’Église, c’est-à-dire de tous les baptisés, et le diaconat est un ministère qui tient en (r)éveil cette diaconie.

Dans les premières années de cette renaissance du diaconat, les différentes missions confiées aux diacres montrent à suffisance l’option préférentielle pour les secteurs du « Seuil » : les incroyants, les pauvres, les marginaux, les malades, les vieillards, les migrants, les handicapés… C’était une volonté affirmée de l’Église d’élargir le champ de la mission aux secteurs clés de l’évolution du monde où le souci de rentabilité fait souvent oublier les hommes et leurs vrais besoins. Par son engagement, dont le but n’est pas d’assurer toute la vocation diaconale de la communauté, le diacre vient simplement rappeler que la rencontre du Christ se joue aussi avec ceux qu’on oublie. Il est signe de la présence du Christ dans tout le tissu humain, aux confins du tissu humain.

Il faut bien avouer qu’une telle théologie du diaconat n’a de sens que pour ceux (évêques, prêtres, laïcs) qui « pensent Église » au-delà des institutions ou des formes de visibilité qui ne visent qu’à assurer la pérennité d’un système.

Certains évêques ont rapidement cléricalisé le diaconat pour s’en servir comme roue de secours et faire face au manque de prêtres dans certaines situations. Certains prêtres ont peur que le diacre ne vienne faire ombrage à leur rayonnement de personnage consacré. Certains diacres ne recherchent que reconnaissance et visibilité d’une fonction. Certains laïcs ne voient d’abord dans le ministre qu’un être de convention dont ils ont besoin pour leur sécurité spirituelle.

Alors que faire ? Dénoncer toute forme de cléricalisation et continuer à imaginer, créer, inventer, pour dispenser aux différents carrefours d’humanité le style de relation humaine engendrée par le Christ.

Je souhaite simplement que les diacres quittent les sacristies et autres lieux encensés pour rejoindre les éclopés de la vie en partageant avec eux un goût d’Évangile. Je rêve d’un ministère du Seuil, vivifié par certaines balises comme la simple présence aux autres, la proximité, le non pouvoir, l’enfouissement, la discrétion, ceci en corrélation avec d’autres ministères plutôt que dans une situation de délégation[5] ! Ce dernier rêve suppose évidemment que tous les ministères soient désacralisés… Mais ça, c’est une autre histoire !


 

Philippe Liesse

Notes :

[1]  En Tchécoslovaquie communiste, des hommes mariés furent ordonnés prêtres. Après 1989, il fallait trouver une solution canonique à leur statut : certains refusèrent la réordination dans un nouvel exarchat gréco-catholique et furent "réduits à l'état diaconal" par Jean-Paul II.

[2]  1 Tim. 3, 8-12.

 [3]  Il est impossible de dire l’importance et la richesse de la vocation diaconale de l’Eglise en quelques mots. Je vous renvoie à : « La mission, essai de lecture théologique », dans L’Eglise que Dieu envoie, Paris, Le Centurion, 1981, pp. 37-64.

[4]  GRIEU Étienne, Un lien si fort. Quand l’amour de Dieu se fait diaconie, Novalis Lumen Vitae, Éditions de l’Atelier, 2009.

[5] Un diacre ne peut poser un geste sacramentel valide que s’il agit en délégation d’un curé.

 



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