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Un prêtre marié à la Cour des Droits de l'Homme

mais une grande absente : l'Église...

Pierre Collet
Publié dans HLM n°131 (3/2013)

 

En assistant à l’audience de l’affaire Fernandez devant la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg, ce 30 janvier 2013, nous nous doutions bien que nous n’entendrions pas de déclaration fracassante et que nous n’allions pas assister à un séisme ! Un indice au moins nous en avait avertis. Le président de la Cour avait poliment refusé de prendre en considération notre lettre de protestation[1] contre l’arrêt précédent, mais il avait cru devoir accepter les avis de trois autres associa­tions, la Conférence épiscopale espagnole, la Chaire de Droits et Religions de l’UCL et l’European Centre for Law and Justice (ECLJ).

Mais si nous ne savons pas explicitement ce que ces associations ont re­commandé à la Cour, nous pouvons supposer que lesdites parties ont été acceptées parce que leur objet est de défendre les liens qui unissent les différents États et les religions, en l’occurrence le Vatican, et plus parti-culièrement d’assurer la plus grande autonomie possible de l’Église dans ce genre de situation.

Comme c’est l’habitude dans toutes les procédures judiciaires, il y avait donc un requérant, le prêtre marié José Antonio Fernandez, et une partie adverse, en l’occurrence  l’État espagnol, administrativement responsable du licenciement d’un professeur de religion. Mais il ne faut pas être grand clerc pour percevoir qu’une troisième partie aurait dû être citée, et qui n’est autre que l’Église catholique elle-même. C’est peut-être pour pallier cette absence que le président de la Cour a accepté de tenir compte de l’avis des trois associations mentionnées. Mais d’avoir refusé celui du MOCEOP, le groupe des prêtres mariés espagnols, et celui de la Fédération Européenne montrerait-il alors que les prêtres mariés ne sont pas reconnus comme faisant partie de cette Église ? Ou que, à tout le moins, leur nouveau ‘statut’ les en éloigne suffisamment pour que la Cour elle-même les perçoive ainsi.

La complexité de l’enjeu de cette audience ne semble pas avoir échappé aux juges comme on le verra plus loin. Rappelons pourtant que l’objet du procès consistait ‘simplement’ à établir si l’intéressé avait ou n’avait pas créé, favorisé, voire orchestré le ‘scandale’ qui lui est reproché. Rappel des faits.

1.    1984 : José Antonio introduit sa demande de reconduction à l’état laïc et se marie civilement. Il a 47 ans et se met au travail tout en reprenant des études pour obtenir un diplôme légal.

2.    1991 : son évêque le presse d’accepter un poste de professeur de reli­gion dans l’enseignement public. Son cinquième enfant vient de naître. Les parents, les directions, les collègues et les étudiants n’auront que des louanges pour son travail, et tous sont au courant de sa situation de prêtre marié. Il est aussi par ailleurs président de la fédération des associations de parents.

3.    1996 : invité par des amis, il participe à une réunion du MOCEOP et une photo de lui et de sa fa­mille est publiée dans la presse le lendemain, sans qu’il en ait été in­formé et sans la moindre parole de sa part.

4.    1997 : suite à cette publication, l’évêque lui retire son habilitation à ensei­gner la religion sous motif de ‘scandale’ ; il n’a jamais eu la possibilité d’en parler avec lui ; en même temps, il reçoit de Rome sa dispense du célibat et sa perte de l’état clérical. 13 ans après avoir introduit sa demande.

5.    Suit alors une véritable saga d’actions en justice : le Tribunal du Travail de Murcie lui donne raison, la Cour Constitutionnelle lui donne tort, la 5e Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme également. Qu’en sera-t-il de cette ultime étape de recours… ?

Les plaidoiries se limiteront donc exclusivement à tenter de prouver ou de réfuter la faute professionnelle du professeur Fernandez, chaque partie campant résolument sur ses positions, et apparemment sans apporter grand-chose de neuf par rapport au jugement précédent ; il s’agissait en outre de vérifier qu’il n’appartenait pas à ce moment au mouvement MOCEOP…

Mais c’est au moment des questions des juges que les choses commencent à être intéressantes, car elles se focalisent toutes sur deux points : la situation canonique de José Antonio au moment des faits et la comparaison de traitement avec d’autres cas de licenciement.

Quel était donc le statut du requérant entre 1984 et 1997, pendant ces 13 années où il attend la décision romaine, où il s’est marié, a eu cinq enfants, a enseigné la religion à la demande de son évêque…  ?  Du point de vue du droit canonique, il paraît évident qu’il était toujours prêtre mais ‘suspens’, même si le terme n’a jamais été utilisé. Mais en droit ‘civil’ ? L’avocat de José Antonio a préféré choisir une tangente : il précise que José Antonio n’était pas au moment des faits un ‘prêtre marié’ mais un ‘ancien prêtre qui s'était marié’… 

L’interaction entre les deux législations nous laisse perplexe. Les deux événements ont lieu en même temps en 1997 : la dispense de Rome, et automatiquement la suspension de l’enseignement. Y a-t-il un lien entre les deux ? À cette question des juges, aucun avocat, ni celui de l’État ni celui de José Antonio, ne pouvait évidemment répondre avec certitude. Mais au vu de tous les cas que nous avons connus dans nos associations de prêtres mariés, personne ne nous fera croire à une coïncidence, et quel que soit l’ordre dans lequel ces décisions lui ont été communiquées. C’est en réalité la dispense effective qui le met dehors, le soi-disant ‘scandale’ n’étant qu’un prétexte. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre pendant 13 ans cette dispense ? C’est cela qui nous paraît scandaleux, et c’est l’Église qui pourrait être condamnée pour jouer ainsi avec les droits des gens ! Mais l’Église n’est pas membre du Conseil de l’Europe et n’a pas signé la Convention des Droits de l’Homme...

La seconde série de questions découle logiquement de tout ceci : et s’il s’était agi d’un laïc qui aurait commis une "faute", est-ce que l’État aurait suivi la décision de l’évêque de lui retirer sa charge ? L’avocat de l’État a éprouvé quelques difficultés à répondre. Les seuls cas qu’il ait pu citer, sont ceux d’un professeur sanctionné pour sa participation à un syndicat ou à un mouvement de grève, ou d’une autre pour cause de relation extraconjugale : l’État n’a pas suivi la demande de sanction de l’Église…

Les juges ont-ils deviné qu’il y avait peut-être en l’occurrence une sorte de "discrimination" ? Il faudrait presque une étude statistique pour comparer prêtres et laïcs concernant les motifs de licenciement acceptés ou refusés. Cela confirmerait sans doute ce que nous avons entendu à la Chaire louvaniste : "un prêtre, c’est autre chose qu’un laïc, symboliquement..." Espérons que les juges de la Cour ne feront pas cette différence "au nom des droits de l’homme"...

Nous en sommes convaincus, c’est bien à un procès de prêtre parce que marié que nous avons assisté. La salle ne s’y est d’ailleurs trompée, tant les étudiants flamands en baccalauréat en droit qui étaient assis à côté de nous, que la famille de José Antonio : c’est le procès des prêtres mariés qui se profile derrière cette sanction, et certainement aussi celui du MOCEOP, bien plus qu’une affaire seulement personnelle !


 

 

Pierre Collet (Hors-les-murs)

Notes :

[1]  Protestation envoyée à la Cour par la Fédération Européenne de Prêtres Catholiques Mariés et publiée dans notre numéro de décembre 2013.

À lire aussi sur www.pretresmaries.eu

 


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