Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

Le pape François parle d'homme à homme avec un non-croyant

Leonardo Boff
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

"Mardi 24 septembre à 15 heures, cela vous va ? Sinon je vous propose une autre date. - Votre Sainteté, l'heure me convient. - Alors, nous sommes d'accord. A Santa-Marta. Il vous faudra entrer par la porte du Saint-Office." L’ancien patron de La Repubblica n’en revient toujours pas de ce coup de téléphone que lui passait le pape François.[1] Entre la lettre qu’il avait fait publier le 11 septembre et l’interview, Leonardo Boff avait commenté l’événement avec le texte suivant. (P.C.)

 

François, évêque de Rome, s’est dépouillé de tous les titres et les symboles du pouvoir qui n’ont d’autre effet que d’éloigner les personnes les unes des autres, et il a publié une lettre dans le principal journal Rome, La Repubblica, en réponse à son ex-directeur et ‘père spirituel’ non-croyant Eugenio Scalfari. Il avait publiquement posé quelques questions à l'évêque de Rome. François a posé un acte d'une importance extraordinaire, non seulement parce qu’il l’a fait d'une manière inédite, mais surtout parce qu’il parlait comme un homme parle à un autre homme dans un contexte de dialogue ouvert, se plaçant au même niveau que son interlocuteur.

En fait, François, qui, comme nous le savons, préfère être appelé évêque de Rome et non pape, a répondu à Eugenio Scalfari cordialement, avec l’intelligence chaleureuse du cœur plutôt qu’avec l’intelligence froide des doctrines.  Actuellement, en philosophie, on essaie de remettre en honneur l’"intelligence sensible" qui enrichit et élargit l’"intelligence intellectuelle", car elle s’adresse directement aux autres, à leur profondeur, sans se cacher derrière des doctrines, des dogmes ou des institutions.

En ce sens, pour François, il est indifférent que Scalfari soit croyant ou non, chacun a sa propre histoire personnelle et son parcours existentiel qui doit être respecté. Ce qui est important, c’est la capacité d’être ouvert pour écouter l’autre. Pour dire les choses comme le grand poète espagnol Antonio Machado : "Ta vérité ? Non, la vérité, viens la chercher avec moi. La tienne, garde-la pour toi." Il y a plus important que savoir, c’est ne jamais perdre la capacité d'apprendre. C’est ce que signifie le dialogue.

Avec sa lettre, François a montré que nous cherchons tous une vérité plus pleine et plus large, une vérité que nous n’avons pas encore. Pour la découvrir, les dogmes pris en eux-mêmes, et les doctrines formulées dans l’abstrait ne servent à rien. L’hypothèse communément admise est qu’il y a encore des réponses à chercher et que tout est enveloppé de mystère. Cette recherche met tout le monde au même niveau, croyants et non-croyants, et les fidèles des différentes Églises. Tout le monde a le droit d’exprimer sa vision des choses.

Nous vivons tous dans une contradiction terrible qui englobe les croyants et les athées : Pourquoi Dieu permet-il les grandes injustices de ce monde ? C'est la question du profond désespoir qui s’est emparée du pape Benoît XVI lors de sa visite au camp d’extermination nazi d’Auschwitz. Il a quitté un instant son rôle de pape et s’est mis à parler comme un homme en ouvrant son cœur : "Dieu, où étais-tu quand ces atrocités se sont passées ? Pourquoi te tais-tu ?"

Nous tous, les chrétiens, nous devons admettre qu’il n’y a pas de réponse et que la question reste ouverte. Seulement, nous sommes réconfortés par l’idée que Dieu puisse être ce que notre raison ne comprend pas. L’intelligence intellectuelle seule réduit au silence, parce qu'elle n’a pas réponse à tout. La Genèse, comme disait le philosophe Ernst Bloch, ce n’est pas au début mais à la fin. Les choses, selon ce que pensent les croyants, évoluent vers un dénouement heureux. C’est seulement à la fin, d’une certaine façon, qu’il sera donné de comprendre le sens de l'existence. Ensuite, nous pourrons enfin dire : "et tout est bon" et donner l’"Amen" définitif. Mais pendant que nous vivons, tout n’est pas bon.

Des vérités absolues et des vérités relatives ? Je préfère répondre comme le grand poète, mystique et pasteur, l’évêque Don Pedro Casaldáliga, dans son Amazonie profonde : "L’absolu ? Il n’y a que Dieu et la faim".

Je suis très confiant que François, avec son dialogue, pourra réaliser de grandes choses pour le bien de l’humanité. Il a commencé à faire une réforme majeure de la papauté. Bientôt il y aura la réforme de la Curie romaine. À travers plusieurs discours, il a déclaré que tous les problèmes peuvent être discutés, c’était impensable il y a peu de temps. Des questions telles que le célibat des prêtres, l’ordination des femmes, la morale sexuelle et la reconnaissance des homosexuels, jusqu’à récemment, les théologiens et les évêques ne pouvaient pas les soulever.

Je pense que c’est le premier pape à ne pas vouloir un gouvernement monarchique et absolu, le ‘pouvoir’ comme dit Scalfari. Au lieu de cela, il veut se rapprocher de l’Évangile qui propose les principes de miséricorde et de compassion, avec l’humanité comme centre de référence.

C’est sûr que le dialogue avec les non-croyants peut vraiment élargir et ouvrir une nouvelle fenêtre sur l’éthique de la modernité qui ne s’occupe pas seulement de technologie, de science et de politique, et il peut aussi nous conduire à surmonter l’exclusion qui est le comportement de l’Église catholique, en d’autres termes son arrogance à se considérer comme la seule véritable héritière du message de Jésus. Il est toujours bon de se rappeler que Dieu a envoyé son Fils dans le monde, et pas seulement pour les baptiser. Il éclaire tout homme venant dans le monde, et pas seulement les croyants, comme le rappelle saint Jean dans le Prologue de son Évangile.

En ce sens, dans une lettre au pape François, j’ai personnellement suggéré un concile œcuménique de toute la chrétienté, de toutes les églises, y compris avec la présence d’athées qui peuvent, par leur sagesse et leur éthique, aider à analyser les menaces qui pèsent sur la planète et comment y faire face. Et avant tout les femmes, elles qui donnent la vie, car la vie elle-même est menacée.

Le christianisme est présenté comme un phénomène occidental et doit trouver sa place dans la nouvelle étape de l’humanité, la phase planétaire. C’est alors seulement qu’il sera pour toutes et pour tous.

Chez François, comme il l’avait déjà montré en Argentine, je ne vois aucune volonté de conquérir et de faire du prosélytisme, mais, comme il l’a réaffirmé à Scalfari, la volonté de témoigner et de faire un bout de chemin ensemble avec les autres. Avant d’être une institution, le christianisme est un mouvement, le mouvement de Jésus et des apôtres. Dans cette perspective, expérimenter la dimension de la dignité humaine, de l’éthique et des droits fondamentaux est plus important que simplement appartenir à une église. C'est le cas d’Eugenio Scalfari. Il est plus important de regarder la dimension de la lumière de l'histoire, que la dimension de l'ombre, de vivre comme des frères et des sœurs dans la même maison commune, la Terre Mère, en respectant les choix de chacun, sous le grand arc en ciel, symbole de la transcendance de l’être humain.

Le long hiver de l'Église est terminé. Attendons-nous à un printemps ensoleillé, plein de fleurs et de fruits, où ça vaudra la peine d'être humain sous la forme chrétienne de ce mot.

 

Leonardo Boff - Brésil)

Notes :

15/09/2013 

http://www.servicioskoinonia.org/boff/articulo.php?num=590

traduction : Pierre Collet

[1] On connaît la suite, un entretien remarquable publié le 1er octobre, aussi en français : http://www.repubblica.it/cultura/2013/10/01/news/le_pape_a_scalfari_ainsi_je _changerai_l_glise-67693549/


retourner dans l'article


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux