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Pâques : le Royaume est arrivé ?

José Arregi
Publié dans Bulletin PAVÉS n°42 (3/2015)

On raconte qu’on est venu annoncer à un rabbin que le Royaume de Dieu était arrivé. Le rabbin ouvrit la fenêtre, regarda dehors et dit : « Ce n’est pas vrai, je ne vois rien qui ait changé. » Ce qu’il voyait contredisait la présence du Royaume, et il est difficile de nier ce que les yeux voient. Mais le rabbin a-t-il tout vu ?

Un autre rabbin, ouvrant la fenêtre et regardant dehors, aurait pu dire : « C’est vrai, il est arrivé. Voici le Royaume ! Les champs verdissent, les oiseaux ont fait leur nid, les enfants jouent, les cœurs sont pleins de miséricorde, les pauvres se mettent debout, les blessures guérissent, les ennemis se pardonnent. Le Royaume de Dieu est arrivé. Mes propres yeux le voient. »

Nous aimerions bien que le deuxième rabbin ait raison, et que le pessimisme du premier ne soit rien d’autre qu’un problème de vue. Mais à notre grand regret, nous comprenons très bien le scepticisme du premier, parce qu’il est écrit que, quand le Royaume arrivera, les larmes disparaîtront. Et les larmes n’ont pas disparu, et parfois on a l’impression, au contraire, que l’océan de pleurs et d’amertume ne fait qu’augmenter.

Il y a trop de peur et d’erreurs, trop de mensonges et de vols, trop de violence et de famine – la pire des violences, c’est la faim – pour confesser avec joie que Dieu existe, pour dire Amen et célébrer la Pâque, célébrer la Vie.

Compte tenu des dimensions de la passion du monde, la foi du croyant ne peut que prendre le temps pour le deuil, tout le temps qu’il faut, avant de s’exclamer au troisième jour, comme Marie de Magdala : "Rabbouni, Maître!".

Au troisième jour : non après quarante-huit heures, mais à n’importe quel moment – l’instant crucial – celui où les yeux s’ouvrent. Dans la Bible, il y a des dizaines de faits qui surviennent "au troisième jour" : c'est l’instant, au-delà du temps et plus près, où nous voyons et sentons que Dieu est le cœur battant du monde et que tout est déjà différent de ce que nous voyons, que le Royaume se fait déjà présent, que la Pâque se lève, que la vie ressuscite chaque fois qu’il arrive.

C’est cela le "troisième jour", c’est n’importe quel jour, mais seulement s’il est vu comme tel. La Pâque n’est pas arrivée une fois, il y a deux mille ans. Elle arrive chaque fois que la vie renaît, et la vie ne cesse de renaître sous nos yeux.

Il n’y a qu’à regarder le printemps. Justement, la Pâque était à l’origine une double fête de printemps : une fête d’agriculteurs qui célébraient la nouvelle récolte, le nouveau levain, le nouveau pain, et une autre fête de bergers qui célébraient la reproduction des troupeaux et les agneaux jouant dans les prairies. Puis on a réuni les deux fêtes, et la fête de la nature s’est convertie en fête de l’histoire, en sacrement de toutes les libérations passées et à venir.

Chaque pleine lune de printemps annonce que la lumière illumine déjà la nuit, que la libération ouvre son chemin, qu’elle devient passage à travers la mort et ses deuils. La lune nous ouvre les yeux.

Mais les yeux ne voient pas toujours. Et même quand ils voient, le doute et la douleur peuvent ne jamais disparaître jusqu’à ce que la dernière larme soit essuyée ; le doute et la douleur non seulement précèdent mais aussi accompagnent et suivent la confession du croyant, et plus encore s’il est croyant et voyant, ou précisément parce qu’il l’est.

La vraie foi du disciple, comme celle de la disciple Marie, est humble, sobre, toute en retenue. "Ne me retiens pas. Ne cherche pas à t’emparer. Vas-y, marche, avance. Regarde aussi les larmes et accompagne tes frères".

Continue à regarder les plaies et à sentir les blessures, et au fond du tombeau, au fond des blessures... Que tes yeux regardent d’autres doux yeux pleins de consolation qui te regardent depuis au-delà du fond lui-même, et laisse ton cœur se rendre et se reposer et que tes lèvres, incertaines et confiantes disent simplement : "Mon Seigneur et mon Dieu." Croire sans voir, ou voir précisément pour croire.

Car il est vrai que l’essentiel est invisible pour les yeux, mais il est encore plus vrai que nos yeux sont faits pour voir l’invisible et qu’ils ne le voient que quand le cœur les illumine de l’intérieur et du dehors ; oui, de l’intérieur et de l’extérieur.

Le plus réel est invisible, et nos yeux sont faits pour le voir avec la lumière du cœur. Ou avec la lumière de la foi, ou avec la lumière de la compassion, ou avec la lumière de l’espérance contre toute espérance, appelez-la comme vous voulez. Avec nos yeux nous voyons la vie invisible dans la tige qui fleurit, la tendresse et la peine dans les yeux qui nous regardent, la magie et le miracle dans un solo de flûte.

C’est ainsi qu’ils ont vu le Ressuscité – de quelle autre manière auraient-ils pu le voir ? – Marie dans le jardin du tombeau à l’aube, Cléopas et son compagnon – ou sa compagne – lors de la pause à Emmaüs, le soir. Jésus ressuscité ne leur est pas apparu d’une manière différente de celle où il nous apparaît à nous.

Ce qui se passe, c’est qu’au temps de Jésus, chez les Juifs et les Grecs, les récits d’apparitions de morts vivants étaient monnaie courante et c’est ce que racontent aussi les évangiles, mais aujourd’hui personne ne peut prendre à la lettre de tels récits, même s’ils sont dans les évangiles.

Et à quoi cela nous servirait-il de penser que Jésus – pour des raisons qui ne sont même pas dans les évangiles, mais que nous avons fabriquées – leur serait apparu d’une manière unique, "miraculeuse" ?

Qu’appelons-nous "miracle" ? Un miracle n’est pas quelque chose d’extraordinaire, et moins encore un événement qui brise les lois de la nature – que personne ne connaît – par la volonté divine – que personne ne peut prétendre connaître. Nous ne pouvons pas croire à de tels miracles.

Mais tout être est un miracle et, si nous savons regarder, nous le voyons bien : comme une épiphanie pascale. Jésus n’est pas apparu à Marie de Magdala et à ses compagnons autrement que comme se présentent la vie et la beauté, la douleur et la tendresse, comme apparaissent "les yeux que je désire et que j’ai ébauchés dans mes entrailles".

Jésus leur est apparu et il nous apparaît comme nous apparaissent les morts que nous aimons dans la mémoire et le cœur de Dieu, ce qui est la même chose. Comme Dieu se présente à nous, tendresse et beauté invisible et réelle, cœur de toute réalité.

Le cœur a des désirs qui ne sont pas à dédaigner, si nous ne voulons pas que le désespoir nous envahisse, que tous les miracles disparaissent et que ce monde merveilleux devienne sombre et pénible. Le cœur a ses raisons que la raison doit entendre. Le cœur a des lumières qui peuvent ouvrir les yeux. Il est bon que les yeux se laissent illuminer par le cœur pour voir le Royaume, la Pâque, le crucifié vivant, Dieu qui souffre et ressuscite dans l’obscurité de toutes les croix.

Un jour, après plusieurs jours de deuil, Marie et ses compagnons ont vu que le tombeau était vide, que toutes les pierres ne suffisaient pas pour couvrir le Règne libérateur de Dieu que Jésus avait annoncé et anticipé dans sa vie, y compris dans sa croix.

Ils n’ont pas eu besoin d’ouvrir le tombeau, ils n’ont pas eu besoin que disparaisse le corps mort de Jésus. Comment allaient-ils ouvrir une tombe, sinon en la profanant ? Et à quoi aurait-il servi d’embaumer un cadavre au troisième jour, s’il était déjà en train de pourrir ?

La foi pascale n’a rien à voir avec de tels éléments physiques. La foi de Pâques consiste en ce que le cœur illumine les yeux jusqu’à voir que Dieu est toujours en train d’accompagner la vie, surtout quand elle est crucifiée, que la vie se transforme toujours quand elle se donne, que la Pâque est déjà présente, bien que ce soit comme une graine, comme un levain, comme une première gerbe. Et que "cela vaut la peine de mourir de vie" (Mercedes Navarro).

Amie, ami : je te souhaite de pouvoir ouvrir ta fenêtre chaque jour et t’exclamer : "Oh ! le Royaume est déjà arrivé !"  Et que, si c’est la nuit, tu te couches tranquillement parce qu’il est déjà arrivé, et que si c’est le jour, tu te mettes en route pour le faire arriver.


José Arregi - Espagne)

Notes :


http://blogs.periodistadigital.com/jose-arregi.php/   

 traduction : Pierre Collet




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