Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

La "révolution" de François

Raniero La Valle
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Il y a des choses que le pape Bergoglio a dites au début, mais ce n’était pas le bon moment pour comprendre, on n’a compris que plus tard, on s’en rend compte seulement maintenant. 

Par exemple, lorsqu’il s’est présenté à la foule le premier soir au balcon de Saint-Pierre il a dit : "Maintenant, je vais vous bénir, mais avant, je vous demande de me bénir". On ne pouvait pas comprendre, comme c’est devenu clair aujourd’hui, qu’il avait déjà en tête une réforme de la papauté : le pape n’était pas seulement un parmi les évêques, comme dit le Concile Vatican II, mais il était revenu parmi les gens comme l’un parmi les fidèles, comme un berger qui n’est pas seulement à la tête du troupeau, mais aussi dans et derrière le troupeau, parce que les brebis ont le flair pour comprendre la route et montrer le chemin. Et ainsi le troupeau est devenu un peuple, et le pape a été reconnu comme ministre de ce peuple, ensemble avec d’autres ministres et le premier d’entre eux, un pape non seulement issu du conclave, mais béni par le peuple.

Une autre chose qui n’a pas été comprise, c’est ce mot de "misericordiare", qui n’existe pas plus en italien qu’en espagnol et que le pape a utilisé comme un néologisme, sur base de sa devise épiscopale, pour définir sa tâche. Donc à la question : "Qui est François ?", "Que doit-il faire?" qui résonne aussi dans mon livre qui vient de sortir, la réponse était : "Je suis venu pour misericordiare". Et maintenant, on comprend ce que cela signifiait. "Faire miséricorde" est le programme de son pontificat. 

Bien sûr, il s’est engagé dans la réforme de la papauté, à un point tel qu’on n’avait jamais vu un tel type de pape. Bien sûr, il s’est engagé dans la réforme de l’Église qui ne peut pas se faire sans commencer par la papauté. Bien sûr, il s’est attaqué à un nouvel examen et à une réflexion sur la Curie à laquelle il a demandé de se conformer à un modèle supérieur de l’Église, pas aux apparences, ni comme si elle était la dernière Cour européenne. Mais plus important que toute autre chose, c’est son intention de réintroduire dans le monde ce que la modernité a supprimé, la miséricorde de Dieu. C’est Dieu en fait, et non pas l'Église, que François annonce, le prosélytisme lui semble être "un non-sens", tandis que la miséricorde lui semble être le seul et dernier ressort grâce auquel le monde peut être sauvé et vivre. Dans la conviction que si nous retrouvons la miséricorde de Dieu, nous pourrons aussi faire naître la nôtre.

Ainsi, 50 ans après le Concile et comme son prolongement après un si long désert, il annonce le Jubilé, ce qui signifie exactement le temps de la miséricorde, l'année de la miséricorde. Il ne s’agit pas d’encourager les pèlerinages à Rome. Où serait la nouveauté? Il s’agit de proposer au monde un nouveau paradigme.  Pendant ce temps, il est clair qu'avec les paradigmes actuels, on va à l'échec, et très rapidement (en peu de temps, c'est ce que semble dire le pape également); essayons donc avec un autre paradigme, celui de la miséricorde, ce qui signifie reconnaître le mal, le sien et celui d'autrui, demander pardon et pardonner, c'est-à-dire la réconciliation. Mais la miséricorde ne se situe pas seulement dans le pardon et la rémission des péchés, elle est également dans la remise des dettes. Dans l'ancien Israël, le Jubilé voulait dire aussi la pacification du débiteur, le fait de reprendre possession des terres perdues, de racheter les biens donnés en gage ou expropriés, il voulait dire la libération des esclaves.

Pour juger le monde dans lequel nous vivons François utilise le critère de la miséricorde.  Et pour cela, il lance le Jubilé. L’économie qui tue, la société qui provoque l’exclusion, la mondialisation de l’indifférence, les pauvres qui, non contents d’être exploités et opprimés, sont maintenant aussi rejetés même en-dehors des banlieues, ce sont tous ces jugements que le pape Bergoglio porte sur un monde sans miséricorde.

S’il y avait la miséricorde, on remettrait sa  dette à la Grèce, pour permettre aux gens d'avoir de la lumière pendant la nuit et du gaz pour cuisiner, et on rendrait à la Grèce la liberté politique volée par des puissances étrangères et qui n’ont pas de responsabilité face à la population.

S’il y avait la miséricorde, on ne laisserait pas d’immenses masses d'hommes et de femmes, et toute une génération de jeunes exclues du travail, chômeurs, mis à pied, licenciés, vivant dans la précarité. Si le travail n’était que le moyen de gagner sa vie, un revenu minimum garanti pour tous pourrait être une solution. Mais si le travail est la dignité même de la personne, comme dit le pape François, alors la miséricorde, en plus de garantir un minimum vital, devrait mobiliser toutes les ressources, publiques et privées, parce que le travail pour tous redeviendrait la plus haute priorité de la politique.

Si la miséricorde était à l’œuvre, le monde ne resterait pas à s’amuser devant les massacres au Moyen-Orient et en Afrique, ce serait une priorité de mettre fin par tous les moyens légitimes, aux guerres, aux exterminations, aux sacrifices commis peut-être dans la mystification de motivations religieuses, auxquelles le pape a définitivement dénié toute légitimité en annonçant un Dieu non violent. Et serait-ce un véritable Jubilé de la miséricorde, une année de véritable libération et de réconciliation, face à la tragédie des migrants, face à une Europe sénile, stérile, comme François l'a définie, qui a fini par accepter d'être le rivage d'une mer devenue un cimetière?

On pourrait risquer ici une proposition, un rêve, ou même plus encore, un projet politique, pour que le Jubilé devienne l’année d’une miséricorde réelle. C’est la perspective politique de porter à son achèvement la marche des droits ouverts par le siècle des Lumières, et d’abolir, en commençant par l'Europe, la dernière  discrimination qui divise encore les humains entre eux : la discrimination de la citoyenneté. Il faut que cesse le temps où les droits, même les droits humains les plus "fondamentaux", ne sont les droits que du citoyen, les autres, les étrangers, les non-européens, les réfugiés, les migrants, les rejetés en sont exclus. Comme les juristes l’avaient déjà deviné après la "découverte" de l'Amérique, le droit de migrer, le droit de s’installer sur une terre, d’où que l’on vienne, est un droit humain universel.

Alors la révolution commencée par le pape François, lorsqu’il est allé jeter une couronne de fleurs dans la mer à Lampedusa, devrait se poursuivre et parvenir à abattre toutes les frontières, à ouvrir toutes les frontières. Bien entendu, les secteurs économiques privés et publics devraient alors être renforcés pour maintenir le niveau de vie déjà obtenu par les résidents et pour permettre aux nouveaux arrivants de trouver leur place et vivre, et de cette façon la politique devrait vraiment assumer la tâche de faire croître toute la société.

Mais ce serait vraiment une autre société, et un autre monde, si par le choix de la miséricorde, c’est-à-dire de l’accueil réciproque entre tous, au-delà de toute barrière, que pour l'année du Jubilé arrivent à Rome non seulement des milliers de pèlerins, mais que tout le monde puisse se déplacer d'un pays à l'autre, en voyageant non pas sur des barges de la mort et des mafias, mais dans des trains, des navires et des avions de ligne.

Sinon, la miséricorde, enlevons-la du monde et laissons-la dans les fumées de l’encens.


Raniero La Valle

Notes :
dans “il manifesto” du 15 mars 2015 
 http://ilmanifesto.info/la-rivoluzione-di-francesco/
traduction : Pierre Collet



retourner dans l'article


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux