Drongen 2014. Dans la salle haute…
Jean-Marie Culot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°39 (6/2014)
Près de dix minutes déjà, dans un silence dense. La lumière, mesurée dans cette vaste salle aux murs lambrissés, aide à la concentration. Nous sommes une cinquantaine, calmes et appliqués, penchés sur les tables, à nous préparer au mieux à d’étranges propos : chère madame (maman d’un bébé sans doute inviable, en détresse sociale, en déni de réalité), … ; cher monsieur (jeune papa muré dans son silence), …. ; chère madame (vous qui refusez la déchéance d’un cancer de la face) ; cher docteur, voici ce que je préconiserais et pour quelles raisons…
Vous l’aurez deviné, nous entrons en ce moment dans ce qui pourrait s’appeler un jeu de rôles, encore que le terme eût paru à chacun inadéquat, déplacé même. Car, autant que Sylvie Schoetens et Ignace Berten, le matin, par leurs exposés et leurs échanges, Benoit Van Cutsem nous invite par ce biais, en début d’après-midi, à entrer dans la réflexion, à nous confronter à la réalité, à nous impliquer.
Penchés sur les cas soumis, silencieux, cheveux blancs ou gris, crayons rapides ou hésitants, mes voisins et mes voisines, tout comme moi, relisent, notent. Et, je ne sais trop pourquoi, rompant tout à coup le fil, s'impose à moi une question : qu’est-ce que c’est donc qu’être chrétien ? Irruption incongrue, me distrayant d’un propos qui exige pertinence et concentration.
Je ne saurais trop pourquoi ? En fait, si. Voilà des mois que notre petite cellule indigène prépare cette journée du vendredi, brassant puis triant les options. Il nous semblait fécond, pour des chrétiens ‘réformateurs’, de nous retrouver quelques heures autour de questions éthiques (notamment euthanasie et avortement), et parce que nous sommes tous personnellement concernés, inévitablement, et parce que les législations des nations d’Europe les rencontrent de manière très diverse.
Pour ma part, disposant d’une liberté intérieure qui n’est que ce qu’elle est, aidé ou encombré depuis trois quarts de siècle de prothèses idéologiques, j’éprouvais une grande difficulté à formuler un projet pour chrétiens sans faire référence aux positions romaines. Je ne pouvais m’empêcher de me projeter en pensée à la finale de ce vendredi, à l’heure des conclusions. N’y aurait-il pas à saisir ce qui allait apparaître, peut-être, comme une convergence, et le faire savoir : oyez, oyez, voici une position de chrétiens réformateurs en matière d’euthanasie et d’avortement – et, sous-entendu ou le laissant entendre – ‘à telle distance de’. Projet traversé de fièvre missionnaire : tant de catholiques sont désemparés par les fatwas, et ne pourraient qu’apprécier, pour leur réflexion et leur action, les modestes lumières de leurs coreligionnaires ‘en recherche’.
Cependant nous ne sommes pas en fin de journée, mais en début d'après-midi. Et je me trouve en compagnie de ces ‘chercheurs’, dans la haute salle au silence fécond, préparant mes réponses, que j’aurai à confronter aux leurs. Et question étrange, je me demande : qui sont-ils ? Pourquoi d’ailleurs me demander s’ils sont chrétiens ? Qu’est-ce d’ailleurs qu’être chrétien ?
Brusquement, cette préoccupation d’un ‘corpus éthique réformateur à divulguer’, qui m’avait titillé depuis plusieurs mois, me semble tout à coup sans pertinence. Quand un conseiller, une infirmière, un médecin sont sommés de trouver les mots, de croiser les regards, de dire ‘le moins mauvais’, si possible ‘le mieux’, il ne s’agit pas de se définir, de se catégoriser, de s’armer de références. Ou pour nous quand, le temps d'une heure, nous tentons de nous mettre dans leur peau, il importe d’être simplement des hommes et des femmes – qu’y a-t-il de mieux ? – qui tentent de rejoindre leur conscience et de formuler une opinion, si incertaine soit-elle.
Qu’est-ce qu’être chrétien ? À ce moment, à cette profondeur, je ne vois ni l’intérêt, ni la pertinence de la question. Hors propos. Encore moins, qu’est-ce qu’être catholique. Il eût paru incongru à ce moment d’entendre quelqu’un s’en référer à, mesurer à l’aune de, souhaiter se trouver ramené à. Et en fin de journée, il ne parut pas pertinent de rédiger une conclusion estampillée ‘chrétiens réformateurs’[1].
S’il est un message à formuler au sortir de cette dense journée, c’est qu’il semble possible, mieux, qu’il importe d’être humain lorsqu’on se trouve en présence de personnes confrontées à l’avortement et à l’euthanasie. Si une inspiration, une source, une tradition[2] y aident, tant mieux. Si l’exemple et le message d’un prophète juif du premier siècle, expert en humanité, y aident, tant mieux.
Jean-Marie Culot (Hors-les-murs)
[1] Prétentieuse, et vaine bien sûr, si elle se présentait comme une norme ‘autre’, une doctrine alternative. Par contre, la journée, et dans tous ses aspects, fut vécue par les participants comme féconde, inspirante, stimulante, et son récit peut avoir son intérêt. Aussi bien les informations échangées que la démarche elle-même peuvent aider à des cheminements analogues, ce qui serait heureux. Bien des chrétiens semblent en attente d’aide à la réflexion en matière éthique.
[2] Il va de soi que si la conscience veut s’éclairer, elle ne peut ignorer aucun des corpus où se sont cristallisés les cultures et les savoirs, les décalogues, les Chartes, les législations, les codes déontologiques, les traditions religieuses. Les assimiler, mais les subordonner au respect des personnes.
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