Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

Pourquoi j'ai quitté l'Ordre et comment il m'a quitté

de François Boespflug

Pierre Collet
Publié dans HLM n°147 (3/2017)

C'est un témoignage assez impressionnant que nous offre François Boespflug [1] et qui n’a pas laissé indifférentes les rédactions de nombreux médias catholiques. L’auteur n'est pas n’importe qui : professeur à l’université de Strasbourg, c’est lui que les médias sont allés interroger si souvent depuis cette nouvelle ‘querelle des images’ née avec les caricatures de Mahomet. Car la représentation artistique du sacré est son métier, oserait-on presque dire, en particulier depuis son superbe et remarquable Dieu et ses images. Une histoire de l'Éternel dans l’art (Bayard, 2008, 534 pages). Les lecteurs intéressés trouveraient facilement sur YouTube quelques-uns des nombreux entretiens et conférences qu’il a pu tenir sur le sujet.

François Boespflug était dominicain et il vient de quitter l’ordre en même temps qu’il accède à la retraite. « Seulement, lorsque vient l’âge de la retraite de l’université et qu’il fait un peu plus tard une rencontre décisive, il comprend qu’en réalité, plus rien ne le retient dans l’ordre où il avait longtemps imaginé finir sa vie. La décision n’a pas dû être facile. Ni la rédaction d’un livre où il n’hésite pas à citer pas mal de noms et où il ne se fera pas que des amis. Mais mieux vaut parler franc, pense-t-il, et sans langue de buis. » En se mariant l’année suivante, il perd automatiquement ‘l’état clérical’ et est donc rendu à ‘l’état laïc’. Cette expérience justifie à ses yeux le plan en trois chapitres de son petit livre : 1. Pourquoi quitter la vie religieuse ? 2. Pourquoi quitter le ministère sacerdotal ? 3. Être ou ne plus être théologien ? Trois dimensions en quelque sorte de ses 50 dernières années de vie active. Mais c’est la décision de quitter la vie religieuse qui donne le titre du livre, et qui préside à toute la réflexion. Autrement dit, c’est à son ordre dominicain qu’il entend envoyer un message, lui reprochant en l’occurrence de ne pas avoir pris soin de lui comme il aurait fallu – d’où la deuxième partie du titre : « et comment il m’a quitté » –, voire de ne pas lui en avoir demandé assez. Et cette attitude n’est sans doute pas aussi paradoxale qu’il ne paraît.

Depuis plus de 40 ans que nous rencontrons et écoutons des prêtres en train de quitter le ministère, nous avons mieux pris conscience que les raisons de nos départs sont souvent liées à celles de notre choix initial, en profondeur en tout cas, du côté de la volonté de donner du sens à ce qu’on fait et d’en éprouver en retour. La description d’un itinéraire est toujours éclairante, elle permet de voir la cohérence.

Ce qui rend d’emblée le personnage assez sympathique, c’est qu’il se présente comme quelqu’un qui a été ‘en  recherche’ toute sa vie. Il s’était déjà livré de manière très personnelle dans un autre livre[2] il y a quelques années, et même plus longuement sur certaines questions. C’est son choix de devenir religieux dominicain après avoir tout juste commencé une ‘Grande École’ qui donnera du sens à tout son parcours, et la déception accumulée année après année est à la mesure de ses attentes de jeunesse : car l’ordre dominicain, c’était pour lui le modèle « d’une vie vouée à l’échange et au débat, aussi bien en interne par la discussion de ce qui concerne ses membres, qu’à l’extérieur par la prédication au sens le plus large, consistant à confronter l’évangile avec les idées de nos contem-porains et à discuter avec eux […]. » (p. 9). Un lieu de frontière où pratiquer la parole et l’explication. Très vite le jeune idéaliste déchantera et entrera en conflit avec les responsables, au point que la seule vraie question qu’on ne cesse de se poser tout au long de la lecture, c’est de savoir pourquoi il a pu rester religieux aussi longtemps : la plupart de ses amis qui faisaient des constats semblables sont partis dans les années 70…

Quels reproches adresse-t-il essentiellement à son ordre religieux ? Ils sont tellement nombreux et détaillés au fil de tant d’expériences qu’il vaut mieux que je me contente de ce qui m’a frappé davantage. Le premier reproche m’a fait immédiatement penser à l’analyse que nous avions lue chez Jacques Pohier[3] : l’incapacité – l’interdiction ? – d’aborder entre religieux la question du « lien entre la vie religieuse et la vie affective ».[4] Malaise d’autant plus grand qu’il révèle par la même occasion une certaine tolérance pour l’homosexualité à peine cachée et assumée de certains confrères, voire des formateurs… Surprise de découvrir à ce propos l’interprétation d’un dominicain spécialiste de Thomas d’Aquin : « l’inclination homosexuelle, loin d’être pulsionnelle et contre nature, proviendrait de l’âme et non du corps ni du sexe, comme en proviennent le désir hétérosexuel, l’envie de dormir ou de manger. »[5]  À ce propos, la description de ses premières années au couvent fait froid dans le dos : les deux années de coopération au Tchad tomberont à pic pour restaurer un peu son équilibre. Précisons que tout cela n’amènera pas Boespflug à se replier sur lui-même : il entretiendra pendant 33 ans un amour inébranlable avec Évelyne Martini, sans vivre avec elle mais en lui téléphonant tous les jours, jusqu’à son décès en 2013.

Un autre reproche – mais il faudrait sans doute parler d’un malentendu – m’a touché également, faisant sans doute écho chez moi à quelque chose… C’est au niveau spirituel que ça se passe : il raconte sa détermination, ses efforts, ses recherches pour donner un peu de consistance à sa prière personnelle… En vain ! Le constat est clair : « La prière n’est pas d’abord faite pour construire une familiarité fictive relevant de l’intimité ‘moite et gastrique’ avec le Seigneur, mais pour que s’expriment, sans contrepartie sensible, les mouvements et les pulsations de l’esprit ou de l’âme. » (p. 21). Heureusement qu'il y avait la prière commune, le chant liturgique : musicien, il y a trouvé son compte pendant un temps, à la manière de son confrère bien connu André Gouze qui étudiait avec lui et fut ordonné en même temps.

Reproche plus global quand il juge ses formateurs et supérieurs comme très incompétents au plan humain et incapables de l’audace qu’il aurait fallu pour refonder la vie religieuse en ce tournant des années 60 et 70. Le poids des traditions sans doute, une véritable chape de plomb...

Les deux autres chapitres me semblent moins parlants. Pourquoi quitter le ministère sacerdotal ? Il en donne trois raisons dont la première serait l’incompatibilité avec la vie de couple. Bien d’accord, cela n’a aucun sens. De belles pages là-dessus : « c’est le rapport à la femme qui humanise l’homme et le civilise… »… Mais je doute de la pertinence des autres arguments où le prêtre est situé en dehors de sa fonction communautaire : fonction dont Boespflug reconnaît d’ailleurs s’être exempté le plus possible. Quant au court chapitre sur son identité de théologien, on verra que l’auteur s’interroge sur la pertinence d’une ‘reconnaissance’ en tant que tel, mais plus globalement sur le contexte actuel où il perçoit une montée de l’anti-intellectualisme dans l’Église catholique, dans la foulée de René Rémond. Cette peur du débat résonne peut-être encore plus aujourd’hui.  

En conclusion, qu’il intitule ‘L’honneur d’être chrétien’, François Boespflug s’interroge sur… son avenir, qui sera interactif, qui dépendra des rencontres, de la manière dont on recevra ce livre par exemple… ! Quoi qu’il en soit de l’Église, il entend continuer à proclamer que le Christ des Évangiles est un joyau absolu, même s’il le contemple davantage du creux de la nuit à la manière de Mère Teresa, mais : « […] ne pas confondre la nuit de la foi et l’athéisme. Le doute du croyant se vit sciemment en présence d’un Témoin, dans l’espérance, tandis que la négation de l’athée n’a pas de vis-à-vis, ni ne nourrit d’espoir. » (p. 111). Débat largement ouvert, forcément…  


Pierre Collet (Hors-les-murs)

Notes :

[1]  par François Boespflug, éditions J.C. Béhar, 2016, 126 pages

[2]  Fr. Boespflug, Franc-parler. Du christianisme dans la société d’aujourd’hui, entretiens avec Évelyne Martini, préface de Jean-Paul Vesco, Bayard, 2012.

[3]  Jacques Pohier, Quand je dis Dieu, Seuil 1977, etDieu fractures, Seuil 1985.

[4]  « La chasteté et la sexualité… c’est à la fortune du pot. J’ai le sentiment que chacun fait à ses dépens des expériences, commet des erreurs et prend des coups (et en donne) qui n’ont pas de ‘lieu de mémoire’ commun, pas d’instance pour en parler. Je ne sais pas ce qu’il en est dans d’autres familles religieuses, mais je sais que dans la mienne, l’amnésie semble reine, et du coup, c’est chacun dans son coin, sans contrôle, ni partage, ni soutien. Cette situation me paraît profondément dommageable. » (in Franc-parler, p. 225). Voir aussi son interview dans Le Point : www.lepoint.fr/culture/les-dominicains-doivent-ouvrir-le-debat-de-la-sexualite-25-10-2016-2078322_3.php

[5]  Adriano Oliva, Amours, Cerf 2015.




retourner dans l'article


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux