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Le dimanche jour du Seigneur. Les commerces s’ouvrent et les églises se ferment

François Wernert
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Le dicton bien connu d’Émile de Girardin1, « Gouverner c’est prévoir », me semble toujours actuel. Ne rien prévoir serait donc ne pas gouverner ou gouverner de manière insatisfaisante.

Depuis quelques années les responsables politiques ont prévu une ouverture dominicale maîtrisée de certains commerces ; un réel mouvement d’ouverture généralisée est en marche. Où s’arrêtera-t-il ? N’allons-nous pas, par étapes, clairement vers l’ouverture systématique des magasins et des commerces2 ?

Dans le domaine ecclésial catholique français, depuis l’assemblée de Lourdes en novembre 1990 consacrée au dimanche, les évêques de France, n’ont plus prévu, à de rares exceptions près, une réelle politique pour l’ouverture des églises le dimanche (la plupart du temps déjà fermées en semaine) et surtout pour la convocation dominicale en mémoire du jour mémorial de la résurrection de Jésus-Christ. Sans avoir fait une évaluation sérieuse des pratiques des assemblées dominicales en l’absence de prêtre3, pourtant très développées et appréciées en France entre 1970 et 1990, les évêques se soumettent au vœu du Directoire (2 juin 1988) de la Congrégation romaine pour le culte divin de ne pas encourager le développement de ces rassemblements dominicaux. À l’heure où le climat commence à se réchauffer, l’Église de France a accepté résolument une réelle et progressive glaciation dominicale. Ce processus a été appuyé par les réaménagements diocésains laissant émerger un modèle dominant : eucharistie régulière à heure fixe dans le bourg central et quand cela est possible (mais cela est devenu de moins en moins possible) une eucharistie « tournante » dans l’un des nombreux villages environnants. Les évêques et les prêtres, pour se rassurer, ont fait preuve, pour une fois, d’un optimisme à tout crin : les fidèles obéissants allaient migrer sagement vers d’autres paroisses pour célébrer un vrai dimanche avec une vraie messe. Les prêtres ne semblaient pas malheureux puisqu’ils pensaient que les gens allaient venir vers eux d’autant plus que la plupart des prêtres n’avaient de toute façon ni le temps, ni le désir de réfléchir à un dimanche autrement.

Mais le réel ne se construit pas dans les bureaux et son dévoilement peut nous surprendre. Devant un tel manque de courage et de manque de continuité pastorale les chrétiens convaincus, jadis engagés dans l’animation des célébrations dominicales en l’absence de prêtre, ont souvent quitté l’Église (définitivement) sur la pointe des pieds. Les chrétiens pratiquants dominicaux ne se sont pas déplacés sauf quelques personnes très engagées ; les chrétiens sont restés attachés à leur clocher. Peut-on leur en vouloir ? Lentement mais sûrement ils se sont habitués à la non proposition dominicale. J’ai vu en vingt ans, dans mes pérégrinations sur le territoire français, le rythme des propositions dominicales se réduire comme peau de chagrin.

Le dimanche est en déroute4, il fallait le dire et l’écrire. La situation est grave car il en va de l’avenir de l’Église : que deviennent l’expérience et la perception fondatrices du Christ présent là ou deux ou trois sont réunis en son nom (Mt 18,20) ? Que devient une Église avec le consentement d’une perte accélérée du contact de proximité ? Une assemblée non convoquée n’est plus envoyée et perd sa dimension apostolique. Et dans le milieu rural, dépourvu très largement de tout commerce et service de proximité, le rassemblement dominical était très souvent encore la seule manifestation hebdomadaire vivifiant le lien social.

Je continue à soutenir les chrétiens souhaitant poursuivre positivement l’aventure dominicale chrétienne. Là où la disette dominicale s’est installée, Il ne sera pas facile de changer de cap ; il faudra une réelle volonté commune affirmée et un travail avec et à partir des communautés de base. En tout cas, dans la réalité et la discipline actuelle des ministères où le nombre d’ordinations presbytérales ne cesse de baisser5, l’option aujourd’hui largement répandue, « le tout eucharistique ou rien » n’est pas porteuse d’avenir. Dans l’articulation de la trilogie « assemblée, eucharistie, dimanche » il convient de maintenir d’abord et surtout les assemblées qui à leur manière font signe et pourront, le moment venu si l’Église prévoit des solutions ministérielles, inclure à nouveau la célébration de l’eucharistie. Les propositions pastorales devraient être inclusives et non exclusives. Il est beaucoup plus difficile de refonder une présence chrétienne lorsque l’Église n’est plus visible.

Enfin, les responsables pastoraux, ministres ordonnés et fidèles laïcs ne pourront faire l’impasse d’une réflexion plus globale sur l’appartenance ecclésiale. Celle-ci n’est plus uniquement géographique mais aussi affinitaire6. De nouveaux réseaux se nouent et se dénouent. La pratique cultuelle n’est pas la seule car la pratique de la charité est aussi une noble attitude évangélique.

Je le vois et le vis comme curé d’une communauté de paroisses à Haguenau (Saint Nicolas-Saint Joseph), l’art pastoral est de ne pas laisser s’opposer des formes pastorales et cultuelles héritées de la Tradition à des recherches et des pratiques nouvelles et théologiquement fondées. Comment « l’Église solide et l’Église liquide7» peuvent-elles rester en connexion positive ? Il est plus facile de se plaindre que les églises se vident que de continuer à s’interroger, à chercher et à proposer. Des femmes et des hommes, jeunes et adultes, sont en attente de nourriture spirituelle. Celle-ci ne doit pas être théorique, dogmatique, moralisante mais favoriser aussi du bonheur convivial et du bien-être. Les pratiques dominicales liées à une proximité et les pratiques spirituelles liées à des réseaux peuvent se questionner, s’enrichir, se mutualiser. Ceci demande du savoir-faire, du savoir-être en termes d’attention, de bienveillance, de patience. Les agents pastoraux, prêtres et laïcs sont amenés à être profondément enracinés dans la foi et bien formés théologiquement et en même temps souples, vifs d’esprit, habiles et ambitieux pour l’évangile et l’Église. Il faut espérer que la formation des futurs prêtres et des coopérateurs (trices) de la pastorale soit vraiment adaptée pour être à la hauteur des nouveaux défis.

François Wernert, prêtre-curé à Haguenau et théologien

25 janvier 2017


François Wernert - France)

Notes :

1  Émile de Girardin (1806-1881) est un homme politique français, journaliste, inventeur de la presse moderne.

2  « Commerce : la brèche du dimanche » titrait en page de couverture les Dernières Nouvelles d’Alsace, le 16 janvier 2017 ; « De plus en plus de commerces ouvrent le dimanche. Entre les épiceries qui travaillent en toute légalité et les enseignes qui jonglent avec leurs grandes surfaces, le choix des consommateurs ne cesse de s’élargir » (p.1).

3  Le constat est réel : déjà à l’époque, un manque important de prêtres dans nombre de diocèses.

4  WERNERT F., Le dimanche en déroute - les pratiques dominicales dans le catholicisme français au début du 3èmemillénaire, Paris, Médiaspaul, 2010, 487 p. Cette étude est récompensée par le prix européen du meilleur livre de théologie par l’association européenne de théologie catholique (AETC) le 25 août 2011 à Vienne en Autriche.

5  85 prêtres diocésains ordonnés en 2014 pour la France, in Guide 2016 de l’Église catholique de France, 2016, p. 286.

6  Voir les travaux des sociologues des religions, Danièle HERVIEU-LEGER, Roland J. CAMPICHE etc.

7  C’est le théologien Arnaud JOIN-LAMBERT qui a développé cette réflexion : JOIN-LAMBERT A., « Vers une Église liquide », in Études 2015/2 (février), p. 67-78.  

 


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