Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

L'islam, l'islamophobie et les responsabilités des dirigeants musulmans

Juan Jose Tamayo
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Juan José Tamayo, théologien espagnol bien connu, revient sur la responsabilité des autorités religieuses musulmanes après les attentats de Barcelone et Cambrils. Les références à des éléments de culture et d'institutions espagnoles donnent à cette analyse un éclairage particulier, mais la transposition à d'autres contextes ne fait aucun problème. (P.C.)


Le terme "fondamentalisme" est né dans un contexte religieux très spécifique, le protestantisme évangélique; en un lieu géographique spécifique, les États-Unis d'Amérique; à un certain moment de l'histoire, la seconde moitié du vingtième siècle. Cela révèle ou suggère au moins deux choses, comme l'observe à juste titre le théologien José Comblin : un, que l'utilisation répandue du mot constitue une preuve incontestable de l'importance de la pensée américaine dans le monde d'aujourd'hui; deux, que le mot et la réalité du "fondamentalisme" reflètent, décrivent et disent ce qu'est la religion et comment elle est vécue aux États-Unis bien mieux que la façon dont elle est vécue ailleurs.

Aujourd'hui, cependant, le terme "fondamentalisme" est associé et identifié avec l'islam. J'en fais l'expérience dans mes cours sur "Islam. Culture, religion et politique" à l'Université Carlos III de Madrid. À la question que je pose au premier cours sur les mots reliés à "islam", l'un des premiers cités est "fondamentalisme". Et la réciproque également : si je demande des mots reliés à "fondamentalisme", l'une des premières réponses est généralement "l'Islam".
Une telle réaction ne doit pas nous étonner ou nous surprendre, puisque cette association est très présente dans l'imaginaire social et religieux. Les réponses reflètent fidèlement cet imaginaire. Mais le plus grave, sémantiquement parlant, c'est que le Dictionnaire de l'Académie Royale d’Espagne lui-même (DRAE), dans sa 22e édition, se fait l'écho de cette association et la "canonise". Voyons. 

Dans son premier sens, le fondamentalisme se définit comme un "mouvement de masse religieux et politique qui cherche à restaurer la pureté islamique en appliquant strictement le droit coranique à la vie sociale". Dans le second, il l'associe aux origines du terme et au mouvement fondamentaliste né aux États-Unis et le définit comme une "croyance religieuse fondée sur une interprétation littérale de la Bible qui a émergé en Amérique du Nord en coïncidence avec la Première Guerre mondiale". Le troisième sens est "une exigence intransigeante de soumission à une doctrine ou à une pratique établie". 

La définition du fondamentalisme associé à l'Islam est-elle innocente et l'ordre des significations tel qu'il apparaît dans le Dictionnaire n'est-il pas pertinent ? Dans ce cas, l'ordre des facteurs ne modifie-t-il pas le produit? Bien sûr que ce n'est pas innocent, et que cela modifie le produit et génère des attitudes qui n'ont rien à voir avec le respect de la diversité religieuse. Ce que fait le Dictionnaire, c'est légitimer l'identification de l'islam avec l'intégrisme, ce qui conduit directement à l'islamophobie. Les académiciens ont-ils pensé à cela? Peut-être pas. Dans ce cas, c'est encore pire, parce que, par un acte inconscient des auteurs, mille trois cent millions de croyants musulmans sont diabolisés et criminalisés.
Il arrive aussi que l'association de l'islam au fondamentalisme entraîne souvent l'identification de cette religion avec le terrorisme, transformant le comportement violent d'une minorité de musulmans en un phénomène qui s'étend à l'ensemble de l'islam. Le résultat est de renforcer les attitudes et les pratiques collectives d'islamophobie, de plus en plus répandues et radicalisées, comme cela se passe ces jours-ci après les attentats terroristes de Barcelone et de Cambrils. Et pourtant, le mot "islamophobie" n'existe pas dans le DRAE. Cependant, puisque ce qui n'apparait pas dans le DRAE n'existe pas, on finit par nier l'islamophobie et par céer une image idyllique de la tolérance dans la société qui ne correspond pas à la réalité.

Voyez donc où les dictionnaires, soit par abus sémantique, soit par omission lexicale finissent par nourrir des attitudes intolérantes envers une religion qui déclare explicitement dans son texte sacré, le Coran : "Celui qui a tué une personne qui n'avait tué personne ni corrompu sur la terre , c'est comme s'il avait tué toute l'Humanité ". Et que quiconque a sauvé une vie, c'est comme s'il avait sauvé les vies de toute l'Humanité (Coran 5,22).

Cela signifie-t-il que l'islam doive être exempté de toute attitude fondamentaliste et patriarcale et de toute pratique violente ? Pas du tout, comme nous n'exemptons pas non plus de ces attitudes les religions soeurs monothéistes, le judaïsme et le christianisme. Les attaques terroristes de Barcelone et de Cambrils, menées par une cellule de croyants musulmans endoctrinés par l'imam Ripoll, Abdebaki Es Satty, qui ont tué seize personnes, ont blessé plus de cent personnes de 35 pays, plongé dans la douleur de nombreuses familles, choqué le monde entier et provoqué la réprobation de la communauté internationale, sont un exemple dramatique de ces actions menées par des personnes qui se déclarent musulmanes et prétendent s'inspirer du Coran.

Nous ne pouvons pas nier les faits qui doivent être condamnés sans ambiguïté par les musulmans eux-mêmes, et surtout par leurs dirigeants, les imams, les juristes, les théologiens et les théologiennes, avec la même force que l'ont fait les dirigeants des autres religions et les citoyens. Mais la condamnation n'est pas suffisante. Il doivent prendre le contrôle de l'élection des imams dans les communautés musulmanes, promouvoir et organiser leur formation obligatoire non seulement dans les disciplines coraniques, mais aussi dans l'interdisciplinaire, en histoire des religions, culture démocratique, réalité espagnole, mouvements sociaux, etc.

Le choix, le contrôle et la formation des imams sont la responsabilité inaliénable des dirigeants musulmans espagnols - en particulier la Commission Islamique d'Espagne (CIE) - et des fédérations auxquelles appartient chaque communauté, et dont elles ne peuvent se décharger sur d'autres instances politiques. Ce contrôle a lamentablement échoué dans le cas de la communauté musulmane de Ripoll - appartenant à la fédération UCIDE dont faisait partie l'imam terroriste Es Satti.

Les fédérations ont tendance à rivaliser autour du nombre de communautés affiliées pour obtenir une plus grande représentativité et une plus grande part de dialogue avec l'État. Mais ils omettent ou négligent souvent leur rôle de contrôle, de formation et d'intégration des groupes musulmans et de leurs imams dans la réalité sociale dans laquelle ils sont insérés.

En ce qui concerne l'étude du Coran, il faut éliminer toute lecture fondamentaliste, qui conduit souvent à la justification de la violence, et pratiquer l'interprétation avec un sens critique dans la meilleure tradition juridique, philosophique et théologique de la science islamique - iytijad -. Comment? Dans la perspective des droits de l'homme, du respect du pluralisme religieux, de l'interculturalité, de la non-violence active et de l'égalité entre hommes et femmes. L'éducation religieuse dans l'interprétation de textes avec un sens critique est une responsabilité des juristes, des théologiennes et théologiens musulmans, à qui nous aimerions offrir notre collaboration, nous qui nous vouons à l'étude interdisciplinaire des religions. C'est le meilleur antidote contre le fondamentalisme et le meilleur chemin vers l'Islam éclairé.



Juan Jose Tamayo - Espagne)

Notes :

Diario Público, 10 septembre 2017

Source : http://www.redescristianas.net/islam-islamofobia-y-responsabilidades-de-los-dirigentes-musulmanesjuan-jose-tamayo/#more-83818

Traduction : Pierre Collet





retourner dans l'article


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux