Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

De la violence ?

Joseph Pirson
Publié dans Bulletin PAVÉS n°44 (9/2015)

Un groupe de Recherche de sens, groupe interconvictionnel créé dans le type de réflexion ouverte par Jacques Vallery, José Reding, Brigitte Rigo et d’autres, a choisi de travailler la thématique de la violence. Le travail de groupes e déroule à partir de la mise en commun d’expériences et de situations vécues et de confrontation des réactions dans le modèle de l’éducation permanente. Le texte a comme perspective de stimuler le débat.


1. Au commencement était la violence ?

Un regard rapide porté sur l’origine du terme violence m’a amené au terme grec « bia » qui signifie la force vitale, la contrainte (« bios » signifiant la façon ordinaire d’exister, de vivre).  En sanskrit le terme « jiya » a, d’après les recherches de  différents linguistes, une signification proche du terme « bia ». A partir du terme « bia » se développent des noyaux verbaux comme « biazô » (forcer). L’hébreu nous amène à deux termes non équivalents mais aux radicaux proches : « chay » (kha-ee), la vie, et « chamac » (ka-mas), dépouiller, nuire. Chamac désigne selon les textes du Premier Testament la fausseté, l’outrage, la corruption (Par exemple dans le livre de la Genèse, 6 avec le récit de Noé et de l’avant-déluge).

A partir de ce rapide regard il paraît pertinent de nous poser la question du caractère ambivalent  et simultané de la violence comme énergie vitale et comme capacité de nuire[1]. Le terme latin « vis » exprime avant tout la force brutale qui cherche à saisir et à dominer[2]. Il exprime également une énergie vitale qui se déploie et permet d’occuper l’espace-temps, le crédit, l’autorité. L’expression n’est pas neutre : il est important d’interroger l’association entre ce type de force et les questions  de genre dans l’usage des mots .L’usage des termes apparaît socialement construit et se développe dans des contextes précis où s’exerce ce que BOURDIEU et PASSERON ont appelé la « violence symbolique » : les dominés considèrent comme naturelles des situations qui sont des construits sociaux. Ceci nous amène à considérer la force du langage et sa place dans le développement humain.

 

2. « Celui qui a la première fois lancé une injure plutôt qu’une pierre est à l’origine de la civilisation. » (Sigmund Freud)

FREUD a tenté, à plusieurs reprises, d’éclairer la question de la violence primitive (Totem et Tabou, Malaise de la civilisation) de différentes manières qui peuvent être critiquées et relativisées aujourd’hui. Il a toutefois ouvert un débat large qui mérite d’être poursuivi dans la confrontation entre les disciplines. Sa réflexion sur l’importance du passage de l’usage de la violence physique à la violence verbale mérite d’être relue, particulièrement dans un contexte contemporain où certains considèrent que l’humour et la caricature méritent la suppression physique de ceux  et celles qui y recourent par voie de presse ou d’autres outils médiatiques.

Dans le langage mythique du livre de la Genèse (Gn 4,3-8), Caïn va pour rencontrer son frère Abel, mais il ne lui parle pas : il se jette sur lui et le tue. Nous assistons à l’échec de la parole : la violence l’emporte  sur la volonté initiale de rencontre. Ce récit fait partie d’un ensemble littéraire plus large où est posée la question de l’origine de la violence, sans réponse satisfaisante. Un peu plus loin dans le récit d’Abraham face à son fil Isaac est posée la question du renoncement à la toute-puissance et au schéma sacrificiel d’un Dieu qui peut tout exiger : la parole intervient pour casser le langage de la violence physique et permettre la séparation entre le père et le fils (Isaac n’est plus la copie vivante de son père, ni le jouet d’une volonté supérieure qui peut tout exiger, il est à présent un être différent, séparé de la puissance paternelle sans mesure).

Dans l’histoire des civilisations, la réflexion sur la distinction entre violence verbale et violence physique mérite d’être affinée, notamment par l’introduction des rapports de droit et la promulgation des interdits. L’homme politique français Michel ROCARD estimait au début des années 1980 que la politique était « la gestion-médiation de la violence et de l’argent »[3]. L’usage de la parole n’est ici encore jamais neutre : il nous renvoie à l’histoire des rapports sociaux et des luttes au fil des siècles entre des positions de dominants et de dominés.

 

3. « Oui la lutte des classes existe. C’est ma classe qui l’a gagnée. Mais on ne devrait pas. » (Warren Buffet)[4]

Nous pouvons nous étonner de l’utilisation de la terminologie « capitalisme sauvage », comme s’il existait par essence un  « capitalisme civilisé ». Les régulations et mesures correctrices qui sont intervenues dans l’organisation de la société marchande, puis capitaliste industrielle, ont été le résultat des pressions conjuguées de différents groupes dominés articulés en mouvements sociaux. Ce combat reste toujours une tâche, malgré les acquis récoltés au fur et à mesure des années La démocratie n’est jamais garantie de manière absolue ni définitive.

De même je me rappelle une discussion assez forte avec des collègues enseignants au moment de l’annonce de la fermeture des forges de Clabecq et de l’acte de violence physique porté contre le curateur Alain Zenner. Certes, je ne pouvais légitimer le recours à la violence physique mais je parlais de la première violence subie par les 1500 travailleurs qui, de manière brutale, venaient de perdre leur travail. Au moment de la préparation de la Coupe Mondiale  de football à Rio, certains médias se sont plus focalisés sur la violence de manifestations populaires face aux travaux gigantesques effectués alors que des centaines de milliers de personnes vivaient entassées dans les favelas !

Il en va de même pour la violence symbolique exercée pour amener à considérer l’organisation sociétale comme naturelle et adéquate. Souvent dans notre société occidentale policée domine un modèle culturel selon lequel certains savent ce qu’il convient de faire et enseignent aux autres qu’il n’y a pas d’alternative à la puissance financière ni à un ordre des choses présenté comme normal. La population grecque le vit de manière tragique et, de manière plus vaste,  nous sommes confrontés à un désordre organisé, qui jette sur les mers et océans ceux et celles qui tentent malgré tout de trouver un havre de paix, fût-il illusoire.

 

4. Travailler la question de la violence.

Non, nous ne somme pas en dehors de la violence,  nous ne sommes pas simplement en face de réalités extérieures que nous n’aurions qu’à dénoncer du bout des lèvres ou, de manière plus expressive, dans certains engagements contre d’autres. La Règle d’Or, l’impératif éthique constitue une limitation de la violence et la formulation d’un souhait de relation authentique à l’autre[5] . Cette limitation de la violence exige selon moi  un quadruple travail : sur soi-même, sur l’entre-deux de la relation, sur l’entre-nous de la vie groupale et sur les structures collectives qui englobent la dimension institutionnelle et politique.

Travail  sur soi comme personne impliquée dans la violence, susceptible dans la vie quotidienne d’exercer sur d’autres des agressions, de nuire à d’autres et à soi-même (ne pas s’aimer soi-même constitue une première violence tournée vers soi et destructrice).

Travail sur l’entre-deux, dans la relation qui me tourne vers l’autre mais peut être aussi dévoyée, détournée : l’autre personne peut être niée, instrumentalisée.

Travail sur l’entre-nous, sur la manière dont sont vécues des relations ordinaires, les relations avec le voisinage, la vie de quartier, la vie associative. La violence peut être vécue de manière sournoise et insidieuse dans des relations de travail, dans les phénomènes de cooptation et d’exclusion[6].Travail sur les structures, sur les relations collectives et le domaine  politique. Celui-ci n’est pas la simple résultante d’efforts individuels, comme pourrait le laisser entendre une lecture psychologisante de la violence. Il est essentiel de relier les actes individuels (pour une relation juste à l’environnement, à d’autres humains) à une dimension plus globale : celle de la redécouverte de l’espace et de l’usage de « communs »[7]. Au-delà d’une pure opposition entre la bureaucratie étatique et la vie privée, le refus de l’appropriation par une minorité des ressources naturelles, des connaissances, des espaces et des réseaux de communication amène à débattre et à mettre en commun différentes ressources dans un souci de limitation et de dépassement de la violence exercée sur d’autres.

Ce travail sera toujours un processus, une tension entre la vie menée et des idéaux poursuivis. L’action et la réflexion pour « une vie bonne et juste » ne peut ; selon moi, s’accomplir en faisant (sans jeu de mots) l’économie de ces différentes facettes. La vie personnelle et la vie collective sont elles mêmes en tension : je ne suis pas simplement le produit de mon milieu, mais je ne suis pas non plus une existence séparée du monde minéral, végétal, animal, humain !


Joseph Pirson

Notes :

[1]  Les encyclopédies sérieuses que sont l’Encyclopaedia Universalis et l’Encyclopaedia Britannica ne publient aucun article spécifique sur la violence mais bien sur des thématiques précises (violence intra-familiale, viol, actes de violence).

[2]  Le vocabulaire juridique a conservé la terminologie « vi coactus » pour exprimer une action exercée sous la contrainte et donc sans l’assentiment direct de la personne (par exemple, pour la signature d’un acte sous la pression, ce qui invalide le document).

[3]  Voir la revue française Chrétiens Sociaux de mars 1985. Je n’ai pu retrouver la référence exacte.

[4]  Warren BUFFET, homme d’affaires des USA est considéré parmi les plus riches du monde (fortune estimée en 2015 à 72,3 milliards de dollars. La phrase est extraite d’une déclaration le 25 mai 2005 à la chaîne CNN : « It is a class warfare, my class is winning, but they shouldn’t be ». Il s’exprimait en faveur de l’augmen-tation des taxes sur les grandes fortunes… sans grand risque, admettons-le !

[5]  Voir la formulation par KANT : « Aie à cœur de considérer l’autre comme une fin et non comme un moyen ». Cette expression correspond à la formule présente dans un ensemble de religions et de sagesses : « Aime ton prochain comme toi-même ».

[6]  Je renvoie ici à l’excellent ouvrage de Robert PUTNAM, « Bowling alone. The collapse and revival of American Community », New York, Simon and Schuster, 2000.  L’auteur montre comment  la conception des relations sociales,  ce qu’il nomme le « capital social », s’est réduite en deux décennies aux Etats Unis : plus on s’éloigne de l’horizon du quartier, de la cité, de la nation plus on est  indifférent par rapport à ce qui se passe « à l’extérieur ». Cette analyse mériterait des prolongements par rapport à l’évaluation des relations sociales dans nos régions.

[7]  Cette dimension est clairement exprimée dans l’ouvrage de Pierre DARDOT et Christian LAVAL, COMMUN. Essai sur la Révolution au XXIe siècle, Paris, Editions de la Découverte, 2014 ; Leur ouvrage s’appuie, au-delà de la relecture historique de Marx et Proudhon, sur les travaux de l’économiste américaine Elinor OSTROM (prix Nobel d’économie en 2009).




retourner dans l'article


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux