Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

L'infini dans le texte

José Arregi
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Il y a 5 000 ans, l’humanité fit un saut culturel décisif : il inventa l’écriture. Le mot éphémère se convertit en texte durable, la mémoire oublieuse céda le pas aux tablettes de terre ou d’argile gravées au stylet et ensuite séchées à l’air libre ou cuites dans un four à feu. Cela arriva à Sumer, actuel Irak (ceci seulement devrait suffire pour que le dénommé Occident rabattît son arrogance et retirât de là ses tanks, ses drones et ses spoliations mortifères). 

Ce que nous appelons « histoire » commença alors, bien qu’elle ne soit, que notre histoire humaine, sans plus, si brève et si intense, si contradictoire, marquée comme les tablettes d’argile par ce qui est le plus sublime et ce qui est le plus infâme. On dit que les premiers textes cunéiformes connus recueillent, non pas de beaux poèmes, mais de la prose économique : contrats, achats et ventes, comptabilités, « tant de vaches engraissées » pour le sacrifice et les affaires… L’écriture ne serait-elle qu’un simple instrument pour une économie plus rentable ? 

C’est alors que commença aussi l’histoire connue des religions, et que naquirent, d’après ce que nous savons, les dieux comme des êtres surhumains à image humaine, toujours présidés par un dieu suprême, presque toujours masculin. En son nom, des mythes, des croyances, des codes de vertu et des hymnes liturgiques restèrent façonnés dans la terre et l’argile que nous sommes. La vie reviendra-t- elle naître dans la terre et dans l’argile, comme elle naquit il y a quatre milliards d’années sur notre merveilleuse planète Terre, si féconde et si fragile ? La question se précise : ces textes que nous appelons sacrés – qui ne sont sacrés que dans la mesure où ils inspirent la vie et qui ne sont pas plus sacrés que n’importe quel autre texte qui l’inspire -, ces vieux textes, pour admirables qu’ils soient – La Bible, le Coran, les Vedas, les Upanishads, la Gîta, les Analectes de Confucius, le Tao Te King de Lao Zeu, contiennent, même pour nous, en ce XXIe siècle à la connaissance en augmentation exponentielle et au changement accéléré, en ce monde déconcerté et peiné, un quelconque rayon de lumière à nous offrir.

Je réponds catégoriquement : « Oui, elles contiennent d’innombrables étincelles de lumière pour vivre la communion planétaire de la vie. »Mais à une condition : celle de savoir les lire aujourd’hui. L’écriture constitua une chance immense pour les traditions religieuses : la transmission digne de foi aux générations à venir de tous les temps et de toutes les cultures. Mais fixer par l’écrit constitua pareillement la pire des tentations, le plus grand des dangers : celui de figer par l’écrit la sagesse originelle, l’inspiration vitale.

Comment les lire aujourd’hui ? Telle est la question : comment lire ces textes religieux millénaires, comment récupérer le souffle vital qui bat en eux, avec toutes leurs ambiguïtés, dans leurprofondeur la plus véritable ? C’est la question et le propos qui nous poussent, la Fondation Eretten et les associations Agora et Gune, vont organiser pour les deux prochaines années universitaires des cycles de relecture des textes fondateurs des grandes traditions religieuses ou des sagesses, à Oñati et en euskera (si tu voulais t’informer, nous t’accueillerions avec plaisir à testufundatzaileak@agora21.eus).

Lire c’est relire, car le texte est comme une fontaine qui jaillit : le mot de l’écrivain, d’origine lointaine et obscure, devient un mot réédité sur les lèvres du lecteur, et ce qui est dit replonge dans la terre de ce qui est indicible. S’accrocher à la signification du passé est dessécher le cours du texte, son jaillissement toujours nouveau, sa possibilité illimitée à [acquérir] des sens nouveaux. L’eau de la fontaine ne se refait jamais, ce n’est que quand elle est nouvelle qu’elle est toujours la même. Le texte est la fontaine et non l’eau. C’est la forme et non l’esprit. Il eut un sens à son origine : ce que l’écrivain « voulut dire » ; mais cette première signification là acquit avec le temps de nouvelles nuances et de nouveaux sens tout au long de l’histoire de la lecture. Tout texte est ouvert à l’Infini indicible au-delà de ce qui est dit.Marc-Alain Ouakin, prestigieux rabbin, philosophe et théologien a écrit que la Bible est l’Infini devenu fini dans le texte comme dans une prison étroite : c’est au lecteur d’ouvrir ses barreaux et de rendre à Dieu son Infinitude. « Ce qui est écrit est écrit », dit Pilate, et il condamna Jésus. Jésus fut condamné par ce qui « est écrit », car disait-il : « C’est écrit, mais moi, je vous dis… », quelque chose de toujours nouveau. Celui qui se limite à répéter ce qui a été dit, la signification, convertit le texte en idole. Il n’y a que celui qui se risque à le réinterpréter qui reconnaît l’infinitude de Dieu. C’est en cela que lire consiste. 


José Arregi - Espagne)

Notes :
Traduction : Dominique Pontier
Source : Golias Magazine n° 181, octobre 2018


retourner dans l'article


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux