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Le jour où la Durance..., de Marion Muller-Colard

Laure-Elisabeth Lorent
Publié dans Bulletin PAVÉS n°62 (3/2020)

Le jour où la Durance…

 

 

L’auteure de ce livre, Marion Muller-Colard, est une théologienne protestante, d’une intelligence et d’une sensibilité exceptionnelles. Mais elle est surtout cette mère dont le fils a frôlé la mort à l’âge de deux mois et qui s’est effondrée lorsque ce fils a guéri, alors qu’elle aurait dû aller mieux. 

*

Le Jour où la Durance… (Gallimard, 2018) est un roman profondément original par sa thématique et par son style. Il évoque la panique qui s’empare d’une famille lorsqu’un bébé s’avère gravement handicapé. Elles sont souvent tragiques les contradictions qui déchirent, non seulement les parents mais aussi les grands-parents d’un petit infirme. Les uns s’enfuient, les autres se  taisent ou disparaissent. Souvent le père se réfugie dans son travail.

Le petit Bastien a été un enfant "bleu" : son cerveau n’a pas été oxygéné pendant plusieurs secondes et il est devenu un être étrange, incapable de bouger et peut-être de ressentir le moindre sentiment. Sa mère a poussé son landau jour après jour, en fin de nuit dans la campagne…

Née quelques années après son frère, Clothilde a beaucoup joué avec Bastien et, pour elle, celui-ci était doué de conscience. Les tensions étaient fréquentes à ce sujet entre la jeune fille et sa mère.  « Au fond tu es jalouse, Maman, parce que Bastou m’aime plus que toi ! » crie un jour Clothilde à sa mère. Clothilde aurait-t-elle aimé Bastien plus que Sylvia ne l’a aimé ? Que s’était-il passé le jour où Sylvia avait été "distraite" et était arrivée juste à temps pour empêcher que Bastien ne se noie ?

Bastien meurt brusquement, à 37 ans. Quelle cérémonie organiser pour la mort de celui dont on a toujours caché l’existence ? Sylvia et Clothilde se retrouvent pourtant chez le curé du village, qui hasarde quelques mots de soutien.

La pluie survient et tombe pendant des heures. Bien qu’un barrage ait été construit 50 ans auparavant pour cadrer la Durance, l’eau monte à nouveau dans certaines zones autour du village. Pourquoi Sylvia conduit-elle sa voiture vers la zone dangereuse ? Est-ce le suicide de son père qui la hante, un suicide lié à la construction du barrage ? Quoiqu’il en soit, elle-même échappe de justesse à la noyade... Peut-être sa vie est-elle si dure que, pour tenir le coup, elle doit se protéger par une digue aussi solide que le mur construit par les hommes pour sauver la région ?

Certains ont le don des larmes mais Sylvia a toujours eu les yeux secs. Elle porte la vie comme un vêtement qui n’est pas à elle. Le jour des funérailles, elle reste d’abord droite et silencieuse mais finalement elle s’abandonne : « Elle se rend, toute entière (…) et personne ne se précipitera pour la reconstituer, car il faut parfois laisser les barrages céder »… «  Elle est comme l’eau vive que les enfants poursuivent…» dans la chanson de Guy Béart.

Le jour où la Durance… est un roman poignant. Marion Muller avait déjà écrit des livres pour la jeunesse, mais elle se révèle ici une romancière d’un grand talent. Le lecteur a parfois l’impression d’un certain désordre, dans le traitement du temps et le jeu des images, mais en fait tout est savamment lié. La Durance secoue les personnages du roman et les lecteurs ! « Combien sont-ils dans le lit de la Durance ? Combien de croisements, d’interférences, de déviations depuis la source claire de la petite enfance ? »

*

Marion Muller était née dans une famille qui ne fréquentait aucune Église et elle a "rechoisi" le protestantisme parce que son grand-père était pasteur. Lorsque son fils a frôlé la mort, elle s’est révoltée contre ce Dieu qui lais-sait mourir son enfant alors qu’elle-même avait multiplié les visites à des malades ou à des handicapés. Plus tard cependant elle avait compris que nos bonnes actions ne nous donnent aucun droit. « Avec Job elle renoue avec une autre foi, audacieuse et sans contrat. » Dieu sauve Job in extremis et sauve aussi le bébé de Marion Muller. D’autres innocents meurent hélas…

  « J’ai mis du temps à admettre, profondément, qu’il n’existe aucun système qui puisse prévenir ou analyser en amont les malheurs de mon fils. […] Je crois entendre, dans le livre de Job, la supplication muette d’un Dieu qui cherche un homme pour le sauver. Le sauver de la relation contractuelle dans laquelle la religion le ligote si souvent… Rien n’est dû, tout est donné. »

                                              

Laure-Elisabeth Lorent

Notes :
[1]                L’Autre Dieu. La Plainte, la Menace et la Grâce. Labor et Fides. 2014. Dernière page de couverture et pages 120 et 121. 

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