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Hommage à José Lhoir

Jean-François Grégoire
Publié dans HLM n°159 (3/2020)

J’ai plus d’une fois entendu José affirmer sans ambages qu’il n’était pas un professionnel de la foi. Comprenons quelque chose comme ceci : « Même si je suis croyant à tout instant, primo c’est en tant que chercheur de Dieu que je le suis, comme tout croyant, c’est-à-dire par monts et par vaux, sans beaucoup de certitudes confortables pour ma raison ni pour ma conscience, etc., et secundo, il va de soi qu’à certains moments, cet ami ou cette amie croit d’une manière telle qu’il pourrait me faire la leçon ! » Cela dit, pour José, la foi n’est pas une question de plus ou de moins. Elle est et se vit comme c’est possible. Il n’y a pas de héros de la foi. Il y a des croyants qui font ce qu’ils peuvent pour que grandisse le royaume.

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Le royaume, précisément : pour José, il est toujours proche dans l’habitude des jours. Pas question d’une réalité à posséder, mais d’une relation à vivre. C’est que le royaume de Dieu est aussi une réalité qui nous est intérieure, qui ultimement se joue en chacun d’entre nous. On pense au mystique rhénan, Angelus Silesius, écrivant : « Le royaume de Dieu est en nous. Si tu possèdes dès cette terre un royaume en toi, pourquoi craindre de tomber dans la pauvreté ? ». Ce royaume-là doit croître, il est appelé à devenir un grand arbre. « Saint Paul dit que nous devons atteindre la taille de l’homme adulte dans le Christ, note José dans une de ses homélies, que nous ne pouvons demeurer des enfants dans la foi. On n’est donc jamais chrétien, on le devient sans cesse – dût-ce prendre plus que le temps d’une vie ! Avoir l’ambition de grandir en christianisme, c’est-à-dire en connaissance et en amour du Christ – jusqu’à ce qu’il devienne tout en moi, comme il est appelé à devenir tout en tous ! » Il ne faudrait d’ailleurs pas parler de cela en termes de "devoir", notait encore José, car la parabole (du grain de sénevé ou du levain dans la pâte) nous apprend que Dieu est à l’œuvre discrètement mais efficacement, qu’il est infiniment patient et que nous ferions bien de l’imiter, si nous voulons être des vivants, c’est-à-dire de nous glisser dans sa patience, tout en restant extrêmement vigilants afin de ne pas rater la moindre occasion de grandir et de porter du fruit. 

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Est-ce lui, José, qui m’a appris ce que j’étais censé savoir depuis belle lurette : que "dogme", en grec, signifie "éclat" ? Non pas la Vérité (tout entière) sur telle question, mais un éclat de vérité qui, telle une loupiote, me permet de voir plus clair, de mieux saisir de quoi il retourne concernant telle question spirituelle/théologique que je me pose. Pas une somme de vérité, donc, mais un "éclair" qui me permet de me dire que, de ce côté, il y a du vrai à découvrir. Du vrai, pas la vérité : c’est assez différent !

Et ce vrai n’est pas intéressant "en" lui-même mais par ce qu’il éclaire et qui a à voir avec la bonté, la gratitude, la patience, le pardon – bref : les grandes questions qui traversent les paraboles, les dires et les actes du Christ. On se souvient que durant la Passion, Pilate se lance dans une conversation métaphysique qu’il termine en demandant à Jésus rien moins que : « Qu’est-ce que la vérité ? » Et Jésus se tait. Non qu’il n’ait rien à dire, mais il a déjà répondu à cette interpellation en s’exclamant par exemple (Jn 14) : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » : les trois, en lien, avec la vérité au milieu, qui se révèle sous les traits de "Je", se laisse entraîner sur le chemin (et on se souvient que le croyant, c’est une définition valable, je pense, est un chercheur de Dieu et aussi bien de vérité, "en chemin") et se donne pour but la vie. Vérité dynamique, vivante, un peu comme l’Esprit dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va…

Du coup, on comprend (et Dieu sait combien José aura contribué à me le faire comprendre à travers ses homélies, les conversations partagées, ses diverses prises de paroles) que la foi, la vérité de la foi n’est pas une matière qu’on pourrait enseigner comme un cours de philosophie, de littérature ou de mathématique "dans le cadre" d’un cours, mais, "hors cadre" et dans la clarté de l’évangile, des récits (de vie, de route) à partager, des expériences dont témoigner, des conversations à prolonger – un peu sur le modèle du récit des disciples d’Emmaüs où "tout" s’éclaire au fur et à mesure que les récits, les questions, les remarques se croisent.

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Quelques mots enfin concernant une réalité à propos de laquelle José m’aura « salutairement » ouvert les yeux : le sacerdoce. Il y a plusieurs manières d’envisager le sacerdoce. Certains se considéreront comme des médiateurs (du) sacré(s), d’autres comme serviteurs de la parole. Ceux-ci, ont très souvent une allure prophétique, mais ils ne la revendiquent pas, parce qu’ils s’en fichent un peu et/ou qu’ils ne cherchent rien de tel.

Un jour, José a écrit ceci, qui m’intéresse beaucoup : « Je ne veux pas être l’homme du sacré, je ne suis pas "médiateur sacré", mais serviteur, parce que, pour Jésus, il n’y a pas de sacré. Jésus met fin aux temps sacrés, aux lieux sacrés, aux personnages sacrés. Plus rien n’est sacré ou bien tout est sacré. Le seul sacré, c’est l’homme. Il n’y a pas de truc pour se rendre la divinité favorable, il n’y a plus que Matthieu 25 : j’avais faim, j’avais soif, j’étais nu… Jésus met fin à la religion. »

Ces prêtres-ci, serviteurs (de la parole) et prophètes, ont le souci, comme le Christ, de sortir de l’ombre les choses cachées depuis la fondation du monde, c’est-à-dire, en gros, et pour le dire avec René Girard que José lisait : le meurtre des prophètes au nom du Dieu vers lequel ils suppliaient le peuple, et singulièrement sa hiérarchie, de revenir avec humilité, afin de retrouver le bon chemin, la paix, la justice, la bonté. Girard a tiré parti de cette situation dont Jésus lui-même a été victime pour peaufiner la théorie du bouc émissaire : celui dont on se débarrasse parce qu’il nous embarrasse, met à mal nos petites ou grandes compromissions. Il me semble qu’avec gentillesse et pondération, José a été de ces pasteurs prophètes, serviteurs de la parole et des communautés vers lesquelles il était envoyé, et donc rebelle à toute prise de position peureuse, inauthentique de l’Église "institution", comme on dit – de son manque de discernement, parfois, de ses frilosités, de ses compromissions, de ses prises de parole biaisées, etc. Il opérait là un acte de foi magistral si, comme le souligne Stanislas Breton, philosophe et théologien, la foi est essentiellement ironique (je n’ai pas dit : sarcastique, mais un peu distante, capable d’autodérision), critique – et d’elle-même pour commencer, ne se considérant jamais comme acquise, mais bégayant vers la vérité, en avant, toujours, comme aurait dit José lui-même…

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« Ne le cherchez pas en arrière, écrit Teilhard de Chardin, ni ici, ni là, ni dans les vestiges matériels qui vous sont naturellement chers. Il n’est plus là, il ne vous attend plus là. C’est en avant qu’il faut le chercher, dans la construction de votre vie renouvelée… Soyez-lui fidèle là, et non point dans une sentimentalité rétrospective avec laquelle il faut avoir le courage de briser. […] Ne pas oublier, mais chercher en avant. »


Jean-François Grégoire


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