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Villégiature.

Avec Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth

Jean-Marie Culot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°61 (12/2019)

Cette "évocation" devrait être suivie par l'interview de Daniel Marguerat par Benoît DE SAGAZAN. Elle a été reproduite dans notre version "papier" avec l’aimable autorisation de Le Monde de la Bible qui l’a publié dans le n° 228, mars-avril-mai 2019. Tout le dossier de ce numéro porte sur le Jésus historique et compte 6 articles comme celui-ci, dont un autre de Daniel Marguerat sur les raisons du procès et de la mise à mort de Jésus. On peut se procurer ce beau numéro en version papier ou numérique sur https://www.mondedelabible.com/boutique/jesus-a-t-il-fonde-une-nouvelle-religion/


P. Collet


Ces quelques pages s’inspirent des trois premiers chapitres du livre de Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth[1]. Extrait de la 4e de couverture : « Jésus est à la mode. Historiens, écrivains, cinéastes tentent de percer le mystère : qui était l’homme de Nazareth ? A-t-il eu un père ? Qu’ambitionnait-il de faire ? Pourquoi est-il mort ? Ce livre n’esquive aucune question : il est l’oeuvre d’un historien, théologien, spécialiste de l’Antiquité. Il entraîne le lecteur, la lectrice, à examiner les documents, à chercher les preuves, à dépasser les réponses ressassées pour en apercevoir d’autres. […] La fabuleuse destinée de Jésus dans les trois grands monothéismes est aussi retracée : christianisme, judaïsme et islam ont construit de lui une image à chaque fois différente. »

Le lecteur pardonnera peut-être la liberté avec laquelle j’ai interprété des éléments que l’auteur et les chercheurs cités présentent avec beaucoup de prudence et à titre d’hypothèse ; acceptera de même le tour fictionnel proposé. J’avoue avoir été ému au cours de cette lecture : jamais Jésus de Nazareth ne m’est apparu si proche, audible, crédible. Me réservant sur le thème de la divinité, je me suis trouvé conquis par cet homme ainsi ‘révélé’. Ce à quoi aide la pensée claire, le style alerte et la prodigieuse documentation de cet éminent spécialiste.

* * *

L’arrière-saison se prête à un dépaysement paisible et, tant qu’à faire, à l’exotisme dans le temps comme dans l’espace. Beaucoup me recommandent les Origines, les années 50. Je me méfie du compliqué, de ces joutes obscures entre Pierre et Paul et opte pour les années 30 mais ni à Jérusalem la fiévreuse avec ses relents de viandes grillées, ni à Tibériade même si l’hellénisme y offre désormais du résidentiel confortable. Me décide pour la Galilée des villages, à l’ancienne, au calme. Trouve logement chez un certain Yaël et sa souriante Késiah[2] et me prends bientôt de sympathie pour cet ancien disciple de Jean, rongé de chagrin et de colère depuis l’assassinat de son mentor. Découvre bientôt que le pays n’est que grondements et tempêtes, confrontations entre clans et même projets de soulèvement armé contre l’occupant.

Yaël est intarissable, notamment sur Yeshuah de Nazareth que je rate de peu. « Bien sûr, c’est exaltant, beaucoup veulent monter à Jérusalem pour les fêtes. Yeshuah lui-même vient d’y partir alors qu’on attend encore beaucoup de lui ici, à la campagne. Il est si doué pour expliquer les Ecritures – Késiah peut raconter par cœur ses paraboles qui provoquent et enchantent – et il faut voir comment il sait répondre aux experts de la Loi. Surtout, il a ce don de rassurer, de pacifier, de réconcilier, de guérir. Même ses disciples guérissent. Il suscite sans cesse la controverse mais, comment dire, on se sent mieux avec lui, invité à se réformer, et c’est là le signe, dit-il, du Royaume qui advient. »

Remontent les souvenirs des grandes heures et Yaël se relance sous le sourire sceptique de Késiah ! « Nous étions nombreux des villages à être descendus au Jourdain. On s’y retrouvait en étrange compagnie, avec soldats romains, prostituées, collecteurs d’impôts, tous traversés de crainte autant que d’espoir et nous préparant à l’irruption de la justice du Seigneur, au feu des derniers temps. Seule importe la droiture du coeur, répétait Jean, non les sacrifices du Temple : manifestement c’était un prophète, un vrai, un homme de Dieu, pas un de ces charlatans qui traînent partout aujourd’hui et abusent du désespoir des gens. Et je me suis aussi décidé, un matin, à lui demander l’immersion, promettant publiquement, haut et fort, de me repentir et de me comporter selon la justice. Et il m’a plongé dans l’eau purificatrice. Grand moment. J’en suis sorti nouveau.

Il y avait eu ce jour où nous avait rejoints ce Yeshuah. Il retenait l’attention. Par sa stature ? Grand, pâle, blond ? Non, normal, un gars de chez nous, plutôt costaud, artisan dans le bâtiment à Nazareth, passablement résistant, se démarquant par sa conviction, son énergie. Il pouvait s’enfoncer dans les jeûnes délirants, à l’écart, aux portes du désert, comme Jean, comme les Anciens qui y avaient rencontré le Seigneur ; veiller de longues nuits de prière. Puis un jour, bien qu’éprouvant une grande estime pour le maître – qui le lui rendait – il avait pris ses distances, emmenant quelques amis avec lui, baptisant aussi, mais revenant au pays, parcourant les chemins et les villages, fréquentant la synagogue, se permettant d’y mener la lecture. Il n’insistait pas, lui, sur l’ascèse sinon qu’il menait avec ses familiers un train de vie modeste comme un nomade et, qu’à l’occasion, à notre incompréhension, il ne refusait ni invitations ni bonnes tables. Comme Jean, que certains croyaient de famille sacerdotale, il était passablement critique sur les pratiques du Temple comme si le sacrifice d’un animal, même cher payé, pouvait nettoyer l’ardoise. Et on se demande bien pourquoi il a tenu à monter à Jérusalem pour les grandes offrandes.

Et des bruits couraient. Déjà qu’il n’était plus tout jeune lorsqu’il est descendu nous rejoindre, il faisait bien sa trentaine. Tard pour se décider ! Surtout – et là, les rumeurs ! – il n’était toujours pas marié comme se doit de l’être tout enfant d’Israël qui célèbre la bénédiction de Yahweh – alors qu’on le voit si pieux et que les femmes ne sont pas indifférentes. On a rapporté récemment – stupéfaction tout de même ! – que ses relations avec sa mère, ses quatre frères et ses sœurs peuvent se tendre durement, et éclater en esclandre, en pleine rue. La question de sa filiation reste manifestement tabou, certains laissant entendre que Joseph s’était constitué père légal pour sauver l’honneur de la jeune Marie mais le silence n’a jamais été levé ni sur sa paternité biologique ni sur son lieu de naissance. Et la Loi est claire : comme l’on sait, il est impossible à un bâtard de prendre épouse, sinon une femme souffrant du même handicap légal.

Et cependant tout le monde, à l’exception des pieux et des coincés, s’accorde à reconnaître qu’on n’a jamais rencontré un homme à la fois si religieux et si accueillant pour les rejetés du système, les impurs selon la Loi. Voyez comme il a réussi à entraîner tant de monde alors qu’il partait avec un tel handicap, traînant tant de suspicion. Et jamais personne n’a parlé du Très-Haut comme d’un Père et avec une telle ferveur.

Lorsque Yeshuah nous en a reparlé, nous avons découvert à quel point l’immersion pour le pardon des péchés, qu’il avait lui aussi demandée, fut un moment non seulement marquant pour lui mais proprement décisif : il aurait été saisi d’une telle émotion, d’une telle conviction, qu’en tenant de nous l’expliquer il ne pouvait que recourir aux mots et aux visions d’Élie : le ciel soulevé d’un souffle d’abîme, l’oiseau de majesté planant sur les eaux primordiales. Il eut la sensation abrupte, le sentiment bouleversant d’être aimé, la révélation d’être choisi par le Tout-Puissant, comme un fils. Il ne sera plus le même. Il avait trouvé sa voie.

Jean appréciait Yeshuah qui lui rendait son estime et le défendait contre les critiques. Lorsqu’il fut emprisonné à Macheronte, il nous envoya lui demander s’il était « celui qui doit venir » ou s’il fallait en attendre un autre. Yeshuah contourna la question : puisque des aveugles voient, des sourds entendent, puisque des gens se sentent mieux, plus dignes, plus confiants, puisqu’ils se convertissent à la justice et la bienveillance, n’est-ce pas que, maintenant déjà, le royaume de Dieu lui-même advient parmi nous ? Il avait cette étonnante assurance d’être désormais la main et la voix de Dieu : son don de thérapeute, son talent de conteur, sa maîtrise du débat, sa connaissance des Écritures, son charme, son autorité naturelle, il les savait inspirés par le Tout-Puissant qu’il appelait Père. Ce n’était plus la peur qui devait pousser à la conversion mais la confiance. Je suis revenu de cette mission traversé de mille questions. »

Troublé moi-même, plus que reposé au sortir de mon séjour dans cette Galilée effervescente, je remerciai ce charmant couple, promettant de revenir et de rencontrer cet étonnant Yeshuah : il ne manquera pas de retrouver le lac et ses villages familiers au retour de Jérusalem. Et Yaël de me retenir un moment encore sur le pas de la porte : « Mais s’il est vrai, comme le prédisait notre maître, que le Tout-Puissant va venir sous peu instaurer la Justice en notre monde, éradiquer dans le feu les maux auxquels se complaisent notre peuple et les étrangers, ne dois-je pas d’urgence renoncer à mes désirs, à mes possessions, à ma famille, à ma douce Késiah et me présenter aux anges justiciers le coeur dépouillé comme la pierre du désert ? Puis-je espérer le salut ? »

Le retour en bord de Senne à l’entrée de l’hiver fut abrupt.[3] « Tu n’as pas bronzé ! »


Jean-Marie Culot (Hors-les-murs)

Notes :

[1] Daniel MARGUERAT, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Le Seuil, 2019, 410 pages, 23 €.

[2] Ce couple est aussi fiction que cette excursion dans le temps et l’espace, … fallait-il le préciser ?

[3] C’était le moment grave du choix et de l’ancrage des balises : le Non du Jourdain ou le Oui de Nazareth. Mais aussi cette découverte d’une résurgence du Temple : il est possible de reconnaître aux femmes l'accès aux ministères institués du lectorat et de l'acolytat, ainsi qu'au diaconat permanent, … thématique à approfondir théologiquement. Mamma ! Prêtres et lévites, en robes de célibataires, vont en rumination lente déterminer quel est le coefficient sacramentel optimal des femmes et jusqu’à quel parvis elles pourront s’avancer.




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