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Éditorial. Quand les caricatures deviennent des banderilles

Philippe Liesse
Publié dans Bulletin PAVÉS n°65 (12/2020)


En 2015, les attentats de Paris ont semé le chaos, engendrant le dégoût. Comment peut-on être fanatique au point de semer la mort ? Cela ne peut provoquer que nausée et répulsion, mais aussi et malheureusement, amalgames, jugements stéréotypés, réactions identitaires et sécuritaires.

Des foules nombreuses se sont rassemblées autour du slogan Nous sommes Charlie ! Au milieu de ces foules, quelques pancartes disaient Nous sommes Charlie, mais pas Charlie Hebdo. Devant certaines mosquées, des Imams et quelques fidèles n’ont pas hésité à clamer Pas en notre nom, pas au nom d’Allah !

En 2020, Samuel Paty, un professeur d’histoire, a été décapité pour avoir donné un cours sur la liberté d’expression. Il avait montré à ses élèves les dessins de caricature de Mahomet. La mort de Samuel Paty est un crime abject commis par des gens qui caricaturent la vie, mais la réponse du pouvoir politique n’est peut-être qu’une caricature de la liberté d’expression ! La caricature n’engendre que la caricature, comme la violence n’engendre que la violence ! Nous sommes dans le cycle de la spirale ! Lorsque le chef de l’État français a rendu hommage à Samuel Paty, il a déclaré qu’il fallait continuer à ne pas avoir peur de montrer les caricatures de Mahomet. En réponse à cette déclaration, ce fut l’attentat au couteau dans la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption à Nice !

Comment briser cette spirale infernale ? Il y a l’image de cet anonyme musulman, le voisin d’une des trois victimes, qui est entré dans la basilique pour déposer une petite flamme à l’endroit où sa voisine a été tuée. Il y a aussi tous ceux qui veulent prendre du recul par rapport aux événements tragiques pour « réfléchir » à la liberté d’expression plutôt que de la caricaturer dans un slogan stéréotypé.

Si l’on veut améliorer le « vivre ensemble », il est indispensable de « porter intérêt » à l’autre dans son « vivre ». Car en prônant le « chacun chez soi », en disant que « c’est son problème, pas le mien », on ne fait que renforcer les idéologies mortifères. L’opinion qui grandit en circuit fermé n’ouvre à rien, elle se referme plutôt sur une identité indiscutable. « Quand on fait sortir la religion du débat public, alors elle n’est plus soumise à la critique. […] À respecter les religions dans leur coin, on se trompe. […] Il faut refaire de la religion une question d’opinion universalisable, c’est-à-dire sur laquelle il est possible d’échanger des arguments contradictoires. »[1]

Au nom du respect de la vie privée, faut-il continuer à considérer les religions comme des « corps étrangers dans l’État »[2], ce dernier ne sachant qu’en faire sinon leur concéder la liberté d’exister ? N’est-il pas urgent, au contraire, d’accepter que le discours religieux ait toute sa place dans la recherche du « vivre ensemble », mais toujours dans la confrontation et la critique avec d’autres types de discours ?[3] En laissant les religions résonner et raisonner uniquement dans la sphère privée, n’en vient-on pas à favoriser l’émergence des extrémismes et des fanatismes ? En les considérant comme des corps étrangers dont le seul droit accordé est celui de vivre, ne sommes-nous pas en train de nous focaliser sur une société clanique ? Et la caricature n’aura plus aucun rapport avec l’humour, elle se réduira à une blessure que l’on veut infliger. Elle est comparable à une scène de corrida dans laquelle la bête est excitée par les banderilles que lui plante le torero !

La vie en société n’est-elle pas plus qu’une corrida ?


Philippe Liesse

Notes :

[1] Adrien Candiard, Du fanatisme. Quand la religion est malade. Éd. Cerf 2020, 89 pages. Adrien Candiard est un frère dominicain et islamologue qui veut souligner que notre approche du fanatisme ne fonctionne pas.

[2] Jean-Louis Schlegel, Les cinq piliers de la laïcité, dans Esprit, novembre 2020.

[3] C’était le sujet de la place du cours de religion dans l’enseignement, à la différence de la catéchèse.




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