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Les laïcs, la femme et le mouton

Jean-Marie Culot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°65 (12/2020)


Les attentats islamistes en France et les soutiens exaltés à la liberté d’expression ou même l’apologie du blasphème remettent à l’ordre du jour le thème de la laïcité de la République. Occasion de grapiller quelques indications, à l’aide d’ORELA[1], sur les spécificités du modèle belge : la neutralité positive de l’État à l’égard des organisations convictionnelles.

Par exemple, l’itinéraire particulier de la "laïcité". À l’origine, au 19e siècle, la question était celle du rapport tendu entre le religieux et le civil lorsque n’existait qu’une religion dans le pays, tentée d’encadrer opinions et pratiques ; s’instaura finalement un système de liberté religieuse subsidiée, initialement façonné pour le monde catholique. Tout en poursuivant son long combat en faveur d’un enseignement dissocié de toute ingérence religieuse, le mouvement laïque opta pour déposer des statuts en 1969, obtint la reconnaissance de l’État en tant qu’organisation philosophique non confessionnelle, assortie du financement public. Tournant majeur, il s’organisa en pourvoyeur de services sociaux pour l’égalité femmes/hommes, contre la précarité et l’enfermement (aumôneries en prison ainsi qu’en hôpitaux), pour l’accueil des immigrés, pour des cultes laïques alternatifs ; milita pour l’instauration d’un cours de philosophie. La laïcité prenait, en Belgique et en net décalage avec une "République laïque", le visage d’une organisation parmi d’autres et, selon les thèmes, en conflit ou en coopération avec les organisations religieuses.  

La question de la neutralité de l’État s’est trouvée inscrite à l’ordre du jour en 2019, s’emballant notamment sous la forme de débats parlementaires sur l’opportunité d’inscrire le principe de laïcité dans le préambule de la Constitution. Les responsables religieux y ont justifié leur opposition par trois arguments : « la liberté religieuse est suffisamment garantie par la Constitution ; sa modification risquerait de mettre en péril l’équilibre actuel du système belge entre État et religion, et notamment le Pacte scolaire ; l’existence d’une organisation philosophique reconnue se réclamant de la "laïcité" semble également être un obstacle, dès lors qu’intégrer la laïcité dans la Constitution mettrait à mal l’égalité de traitement avec les cultes reconnus. »[2] En avril 2019, le PS, le SP.A et l’Open VLD ont finalement été les seuls partis à voter en faveur de l’insertion d’un article relatif à la laïcité de l’État, menant au rejet de la proposition, au grand désarroi du Centre d’Action laïque pour qui cet échec fut une occasion manquée.

Autre sujet d’actualité, la présence des signes convictionnels dans les institutions publiques. Pratiquement, "le voile".  « Selon Henri Goldman (rédacteur en chef de la revue Politique), la Flandre suit une définition plus inclusive de la neutralité (vue comme liberté de pratiquer sa religion, seuls les actes des fonctionnaires devant être neutres, pas leur apparence), alors qu’en francophonie la tendance serait influencée par la laïcité telle qu’on la définit en France, et tendrait vers une neutralité plus exclusive – traduite par une interdiction du port de signes religieux par les fonctionnaires de l’État, voire par les usagers des institutions. » […] – Le service public Unia (service indépendant de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances) a dénoncé ce flou législatif en 2018, notamment concernant les établissements scolaires : « Il faut un cadre légal clair pour mettre fin à l’arbitraire actuel. » Concernant le port du foulard islamique, l’organisation craint que si de plus en plus d’écoles l’interdisent, cela crée une forme de ghettoïsation dans les écoles qui l’acceptent encore, et un manque de choix pour les élèves. Ecolo a obtenu la levée de l’interdiction du port de signes convictionnels dans les hautes écoles de la COCOF. Par contre, le Collectif Laïcité Yallah constitué de « croyants et non croyants ayant un héritage musulman […] préoccupés par la montée du fondamentalisme musulman, du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme », s’oppose quant à lui vigoureusement au port de signes convictionnels dans les écoles, et revendique un combat en faveur de la laïcité (y compris son inclusion dans la Constitution) et contre le communautarisme ethnique et religieux. Débats non clos à l’évidence.

La femme[3] donc, et le nœud du voile, mais le mouton ? L’abattage rituel des ovins, caprins et bovins, prescrit tant par l’islam que le judaïsme, crée une polémique où s’affrontent deux principes : liberté de religion contre bien-être des animaux ; s’y invitent aussi l’autorisation de la chasse ainsi que la lutte contre les nuisibles…

La réglementation européenne interdit l’abattage des animaux sans étourdissement préalable, tout en accordant aux États membres le droit de reconnaître des exceptions en faveur de l’abattage conforme à un rite religieux, à condition que celui-ci soit conduit dans un abattoir agréé et permanent. Principe adopté par les gouvernements régionaux mais auquel s’opposent des organisations confessionnelles juives et musulmanes, rappelant qu’en 2017 le Conseil d’État avait estimé que l’interdiction de l’abattage rituel allait à l’encontre de la liberté de religion. S’y trouvent de même convoqués la Convention européenne des Droits de l’homme relative à la liberté de pensée, de conscience et de religion ainsi que le principe de la séparation de l’Église et de l’État.

Depuis janvier 2019, en Flandre comme en Wallonie, les abattages peuvent avoir lieu mais après un étourdissement réversible. Bruxelles par contre autorise l’abattage sans étourdissement mais à condition qu’il ait lieu dans un abattoir fixe et reconnu. Des observateurs suspectent, en l’affaire, une immixtion du politique dans le religieux, les députés s’autorisant à interpréter des prescriptions du judaïsme et de l’islam dans un sens opposé à celui des responsables religieux. Les décrets régionaux sont-ils compatibles avec la liberté religieuse ? La question est portée actuellement devant les justices belge et européenne.

Les questions de la position des femmes dans la société, de l’abattage rituel mais aussi celles, très sensibles, de la bioéthique (Euthanasie, IVG, …), des funérailles et des sépultures, et ravivées aujourd’hui, toutes celles touchant à l’écologie et à l’environnement, ces questions mettent aujourd’hui sous tension les organisations religieuses et la laïcité et, tout autant, dans sa neutralité, l’État lui-même.

Pour sa part et depuis quelques années, la laïcité organisée connaît, dans son positionnement, une évolution remarquée. À beaucoup d’égard, elle se retrouve sur le même plan que les organismes religieux et, pour certains objectifs, évolue de la contestation à la coopération. Ainsi, « un Conseil du Dialogue a vu le jour en 2017 qui réunit les responsables des cultes et philosophies reconnus et les autorités fédérales au moins deux fois par an. […] Ses membres ont signé en 2017 une charte affirmant notamment que malgré leurs différences profondes, les représentants des cultes et philosophies reconnus se retrouvent dans un objectif commun : un monde vivable, une société du bien-être pour tous, la liberté, la paix, la tolérance et le maintien de l’État de droit démocratique. »[4] Tentant avec peine à se défaire de l’image d’une organisation défendant les intérêts d’une communauté parmi d’autres, le CAL s’intègre comme partie-prenante du pluralisme institutionnalisé ; sur plusieurs thèmes, sa voix anticléricale s’est nettement atténuée, ses positions voisinant à l’occasion avec celles des représentants des cultes. Le climat belge, tempéré ?


Jean-Marie Culot (Hors-les-murs)

Notes :

[1]  Les religions et la laïcité en Belgique, Université libre de Belgique, rapport 2019 par JulietteMasquelier, Jean-Philippe Schreiber et Cécile Vanderpelen-Diagre, 142 pages.

Disponible en https://o-re-la.ulb.be/index.php/analyses/item/3387-rapport-orela-2019-les-religions-et-la-laicite-en-belgique

[2]  Les nombreuses références de bas de page du texte source sont ici gommées par souci de concision. Le sujet est traité pour lui-même ci-dessous, pages 29 à 32.

[3]  Nous n’aborderons pas, dans notre rapide survol, les questions, majeures, de la défense des droits des femmes et de la lutte contre les violences mais aussi des inégalités de genre et de l’accès aux responsabilités cultuelles et théologiques, thèmes où les organismes religieux se distinguent autant par des avancées organisationnelles et leur publicité que par de tenaces et obscures réticences théologiques.

[4] En 2019, ces responsables ont appelé leurs fidèles à faire barrage aux partis radicaux lors des élections. Retour du religieux en politique ?




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