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Adieu à Charles Chalant (1922-2020)

Pierre Collet
Publié dans HLM n°162 (12/2020)


 

 

Charles et Cécile, un couple indissociable qui vient donc de connaître son "dénouement" avec le départ de Charles à l’âge de 98 ans, dans la douceur d’une "mort naturelle" dirait-on, mais pendant ce deuxième confinement dû au Covid. C’est dire qu’il n’a pas été possible de lui rendre l’hommage que Cécile aurait tant voulu et que nous allons tenter de lui rendre ici, au nom de l’association en tout cas, et de notre amitié qui ne s’est jamais démentie. Pour tous ceux qui l’ont bien connu et aimé à Hors-les-Murs ou ailleurs, en présence si chaleureuse ou dans ses nombreux articles tant appréciés…

Quarante ans de compagnonnage et d’amitié ! Charles et Cécile étaient du groupe des quelque septante-cinq fondateurs de Hors-les-Murs à la Maison de l’Amérique latine à Bruxelles, le 26 avril 1980. C’était la fin de la décennie qui a vu tant de "départs" de prêtres, pour se marier souvent, un quart du clergé catholique, c’était surtout le début du pontificat de Jean-Paul II qui allait resserrer les boulons d’une attitude jugée trop "laxiste" de "réduction à l’état laïque"… ! Des groupes de prêtres qui se mariaient sont nés spontanément, surtout en Europe et dans les deux Amériques, avec deux objectifs affirmés : nous soutenir mutuellement face à une culpabilisation facile des autorités, voire des confrères et des familles, et continuer le combat commencé dès la fin du concile pour abolir l’obligation du célibat pour les prêtres.

Charles ne s’est pas contenté d’être du nombre des fondateurs, il fut dès le départ et pour une douzaine d’années le secrétaire de l’a.s.b.l., et plus tard pendant quatre ans le responsable de la revue trimestrielle jusqu’en 2000. Quelques années auparavant, il avait orchestré un numéro spécial fait de témoignages de compagnes de prêtres (et de quelques-uns d’entre eux qui voulaient bien se dévoiler) et qu’on avait intitulé les "clandestines", et sa signature se retrouve dans presque tous les numéros de la revue des décennies 80 et 90.

On se souviendra de la part importante que Charles avait prise à l’organisation et à la tenue du dixième anniversaire de HLM à l’abbaye de Floreffe. C’est d’ailleurs lui qui y intervenait en premier avec un témoignage qui n’a

pas pris une ride tant l’analyse y est pertinente et même exhaustive et reste d’une très criante actualité : Hémorragie ou hémophilie d’une Église ?[1]

La rencontre que nous avions organisée en 1992 avec Émile Morin, l’exégète devenu jardinier, l’avait aussi mobilisé d’une manière extraordinaire. C’est lui qui en avait trouvé le thème et le titre : Confidences sur l’essentiel. On était allé très loin dans le partage, et Charles avait publié ensuite plusieurs articles inspirés de cette expérience. Vingt-cinq ans plus tard, il parlait encore de cette rencontre et du partage de ces témoignages sur l’essentiel et du titre donné à la communication d’Émile Morin : Mon père était un araméen errant… Il le rejoignait pour dire que l’essen-tiel est du côté de l’abandon des certitudes, de la marche, de la priorité accordée à l’expérience, des choix à faire à la lumière de la seule conscience…

Évoquons encore dans la foulée et parmi d’autres, une troisième journée mémorable, celle de 1999 à Saint-Gérard : c’est Charles une fois de plus qui était à la manœuvre pour inviter Bernard Feillet qui venait de publier L’errance, ainsi qu’une de ses amies et ancienne collègue, Gisèle Prégardien sur "une pédagogie du doute et de l’errance" : quel programme ! On trouvera ci-dessous le bel hommage qu’elle a prononcé aux funérailles de Charles.

Lors de toutes ces interventions, il n’était pas difficile de deviner quel talentueux professeur Charles avait dû être à Saint-Roch dans sa jeunesse et dont d’anciens élèves continuent de témoigner, et plus encore sans doute le professeur de morale à l’école d’infirmières Sainte-Julienne au moment de l’affaire Peers, et le professeur d’école normale à Sainte-Croix dont la directrice de l’époque, Rose Loly, témoignera aux funérailles : « Tu t’es vraiment intégré dans les équipes de professeurs, tu étais jovial, sympathique, empathique et tu as très vite été reconnu pour ton apport pédagogique et ton souci de faire progresser les étudiants. Dans les conseils de classes, tes capacités d’analyse, ta lucidité et ta facilité à t’exprimer de manière juste et précise ont très vite impressionné, voire jalousé. Apprécié aussi de tes étudiants à qui tu faisais découvrir une vision plus scientifique et plus raisonnée du cours de religion en même temps qu’une réelle préoccupation pédagogique de formation. » Charles à Sainte-Croix, c’est 25 ans d’engagement, mais c’est aussi la rencontre de Cécile, l’amour de sa vie, dont il remplira trois carnets d’un lyrisme surprenant…

Une association, comme chacun sait, c’est des réunions (une petite quarantaine d’assemblées générales et une bonne centaine de conseils d’administration…) mais aussi des amitiés, des tensions, et des malentendus… Charles et Cécile ont fait beaucoup pour la convivialité, comme les participants qui sont encore là pourraient en témoigner. Mais HLM c’était aussi des missions à remplir, et d’abord l’écoute de prêtres en difficulté et surtout de leurs compagnes éprouvées, en souffrance, en désespoir parfois. Charles et Cécile ont pris plus que leur part de cette mission. Ils ne rechignaient pas non plus à rencontrer les médias, avec tous les risques d’incompréhension et de manipulation rencontrés à chaque fois.

Assurer un pluralisme pacifique dans l’association était une préoccupation constante de Charles, et c’est lui qui a suscité dès 1988 la naissance du groupe Corinthe qui puisse poursuivre l’objectif de « faire réagir l’Église ». Se sentant lui-même plus enclin au doute qu’à la foi, il disait s’être « tout à coup rendu compte qu’il avait perdu la foi comme on perd ses clés… » Quant à l’Église, il écrivait déjà en 1984 : « Elle s’est détournée, je l’ai quittée, nous n’avons plus rien à nous dire. » Puis revenant là-dessus en 2005 : « Je découvre que quelqu’un, désormais incroyant, qui disait n’avoir plus rien à dire à l’Église, ne va cesser de lui parler [dans HLM] avec constance et ténacité. » Charles reste un paradoxe pour moi : nous aurions encore eu tant à discuter…

La présence de Charles et Cécile ne se limitait évidemment pas à Hors-les-Murs ! Leur appétit culturel, cinéma et expositions, n’était jamais rassasié. Mais surtout Charles avait hérité d’une famille vraiment nombreuse grâce à Christiane qui avait été accueillie par sa maman et qu’il considérait comme sa "fille de cœur". Il parlait beaucoup de "ses petits-enfants et leurs familles" avec attention et avec affection, et on sait à quel point c’était réciproque.

Puis-je dire enfin, sur le ton de la confidence, ce qui me poursuit depuis que j’ai commencé ce papier : qu’aurait donc été Charles sans Cécile… ? Merci Cécile de nous avoir montré une telle union pendant 46 ans et d’avoir accompagné Charles avec tant d’attention et de douceur jusqu’à son dernier souffle.

Pierre COLLET

 

Trois paroles prononcées aux funérailles, le 5 novembre à Liège

 

Pour le hors la loi…Beaucoup ont besoin des lois… par peur du vertige de la liberté et de l’exigence de la création…. Toi, tu es sorti hors des sillons et as osé être toi.

Pour l’existence de l’ego… Beaucoup prônent l’"humilité" par peur d’exister en singularité… Toi, tu as conscience de la belle personne que tu es.

Pour l’Amour à tout prix… Beaucoup font l’éloge de "l’autonomie et de l’indépendance"… par peur d’aimer et de se laisser aimer en toute intimité… Toi, tu as su sortir de tes protections pour entrer en Amour avec ta femme et en Amitié avec tes proches, sans limite.

Pour l’abondance de l’expression… Beaucoup se retirent dans la "pudeur" par peur du trouble de la transparence et de la connivence… Toi, tu sais hurler et répéter à tout vent tous tes sentiments.

Pour l’invention hors des rôles du sang… Beaucoup restent figés dans les fonctions dictées par la généalogie… par peur de se perdre loin des normes du physique… Toi, tu as porté tes fruits dans des paternités et des fraternités toutes nouvelles, grâce à ta créativité de cœur.

Pour tout cela, et encore bien plus de dimensions… plus indicibles…

Je te remercie "mon" Charles, d’être toi et d’être là, fidèle des fidèles, présent en amitié avec moi. J’espère que tu mesures à quel point ta présence dans les mouvances de ma vie m’est précieuse…

Quant à toi, Cécile, tu es, à l’évidence, indissociable de tout ce que j’exprime à Charles… fusion amoureuse "oblige".

Charles est parti, emporté dans les mots de Parménide : "les cavales qui m’emportent m’ont conduit aussi loin que mon cœur pouvait le désirer".

Ton cœur dans ton corps s’entend… ton cœur libre nous reste profondément présent ! (Gisèle PREGARDIEN)


***


Charles, je voudrais te dire "merci" 

Merci pour ta force de vie, la force de tes engagements et de ta détermi-nation, cette force qui t’a soutenu tout au long de cette belle et longue vie.

Cette force intérieure t’a permis de rebondir dans les difficultés que tu as rencontrées, et particulièrement dans les grands changements d’orientation de ta vie. D’ailleurs, tu as écrit toi-même : "J’ai eu deux vies et j’ai été heureux dans chacune d’elles".

Tu as vécu la vie en cycles, tout comme la lune et d’autres astres : un début, un crescendo, une plénitude et ensuite un renouvellement. Tel est le cycle de la lune, tel est le cycle de la vie.

Cette force, tu nous la laisses comme un pilier, un roc, un repère, une lumière…

Mais d’où viennent cette force et cette capacité permanente de rebondir ? Elles viennent de ce que Charles, avec une grande indépendance d’esprit, s’est toujours placé du côté de la vie – celle-ci est toujours devant – et de la liberté.

Aussi, je te dis merci pour cette grande capacité d’écoute et pour tous les encouragements qu’elle a prodigués.

Combien de personnes, qui sont venues à toi, ont été écoutées, soutenues, réconfortées, encouragées ? […] (Francis MINET)


***

 

Charles aimait la vie

Il acceptait l’ordre de l’univers et ses lois.

Il acceptait qu’il fallait "faire son temps" et puis s’en aller en laissant si possible, un monde meilleur.

Il avait fait sienne la réflexion d’Alain Minc : "si le rêve de reconstruire le monde n’est pas possible, il nous reste à bricoler la réalité".

Bricoler la réalité pour construire un monde meilleur pourrait être, je crois, un testament qu’il nous laisse. Modeste. Ambitieux. À la mesure des talents de chacun.

C’est dans cet esprit que je vous propose d’accompagner son départ, de le laisser partir, en peine aujourd’hui mais surtout, surtout, dans la reconnais-sance heureuse de ce qu’il nous a donné, et de ce qu’il a fait de sa vie, en amour et vérité.  (Cécile)


Pierre Collet (Hors-les-murs)

Notes :
[1]  Ce témoignage ainsi que les autres cités plus loin sont accessibles sur http://www.pretresmaries.eu/fr/Temoignages.html#277 On trouvera aussi une liste de certains articles de Charles en tapant son nom dans l’outil de recherche du site http://www.paves-reseau.be/revue.php


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