Séparer le ministère ordonné de la prise de décision.
Elise Ann Allen
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L’une des religieuses les plus éminentes de l’Église catholique a déclaré que la pression en faveur de l’ordination sacerdotale des femmes dans l’Église catholique met en évidence une question plus profonde qui doit être posée et a souligné la nécessité de séparer le ministère ordonné de la prise de décision.
« Je pense qu’il y a une question plus importante, qui est en fait le discernement des ministères qui sont nécessaires dans l’Église et dans le monde aujourd’hui », a déclaré Sœur Patricia Murray, membre de l’Institut de la Sainte Vierge Marie et secrétaire générale de l’Union internationale des Supérieures générales (UISG).
Sœur Murray, qui s’est exprimée lors d’un webinaire en ligne organisé le 1er février par l’ambassade d’Irlande auprès du Saint-Siège, intitulé « Les femmes fortes ; hier et aujourd’hui » a souligné l’importance du discernement lorsqu’il s’agit de sujets de discussion majeurs dans l’Église.
Notant que la tradition spirituelle de son ordre découle de Saint Ignace, dont les enseignements sont également le fondement de l’ordre des Jésuites, auquel le pape François a appartenu, Sœur Murray a déclaré que le discernement lui-même « exige un examen à un niveau profond de ce qui est requis par le Saint-Esprit au service de l’Église dans le monde ».
« Ce n’est pas un processus qui peut être précipité, et c’est aussi un processus qui doit être testé », a-t-elle déclaré. « Ce n’est pas une réponse rapide à des groupes de pression sur x, y ou z, mais le fait de prendre en considération des préoccupations profondes que les gens expriment, et de les examiner par rapport aux besoins du monde, aux besoins de l’Église dans un endroit particulier… et ensuite une réponse en testant quelque chose et en faisant de petits pas en avant ».
Elle a ensuite évoqué la vie des Irlandaises, la Vénérable Nano Nagle (fondatrice au XVIIIe siècle des Sœurs de la Présentation de la Bienheureuse Vierge Marie) et la Vénérable Catherine McAuley (fondatrice des Sœurs de la Miséricorde en 1831), qui ont été au centre du webinaire de lundi, organisé en l’honneur de Sainte Brigitte.
Ces deux femmes, a déclaré Sœur Murray, ont commencé avec des projets bien différents de ce qu’elles ont fini par faire, et cela parce qu’« elles ont appris au fur et à mesure qu’elles avançaient ».
« Une des choses que le Pape François nous dit est que oui, d’une part, des voix s’élèvent au sujet de l’ordination des femmes, mais peut-être y a-t-il une question beaucoup plus profonde sur le changement du ministère et la façon dont nous regardons le ministère en général. »
Tous les ministères de l’Église, qu’il s’agisse d’enseigner la catéchèse, de s’occuper des malades ou des mourants, ou de servir les pauvres, doivent être « revalorisés », a-t-elle dit, ajoutant qu’« il y a différentes façons de servir Dieu dans le monde ».
« Il y a différents ministères, et je pense qu’avec le temps certains ministères ont été majorés », comme le ministère ordonné. Ces ministères ordonnés sont « extrêmement précieux, mais d’autres ministères qui sont tout aussi importants » ne reçoivent pas le poids qu’ils méritent, a déclaré Sœur Murray, ajoutant que selon elle, la question du rôle de la femme dans l’Église ne peut être réduite à la seule ordination.
Sœur Murray s’est exprimée aux côtés d’autres intervenants, dont Sœur Anne Lyons, la postulatrice de la cause de canonisation de Nano Nagle, et Sœur Brenda Dolphin, la postulatrice de la cause de Catherine McCauley.
Dans ses propres remarques, qui portaient sur les « Femmes fortes et de foi dans le monde contemporain », elle a mis l’accent sur les femmes dans l’Église institutionnelle et sur les femmes qui servent dans tous les domaines en tant que membres du peuple de Dieu, religieuses et laïques.
Elle a fait remarquer que si de nombreuses femmes vivent et servent dans l’ensemble du Nord, qui tend à être plus développé, la grande majorité des femmes catholiques vivent dans l’ensemble du Sud et de l’Est, où la pauvreté, les conflits, la guerre et la discrimination sont plus répandus.
Même dans le Nord, le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser, ce qui rend les contextes dans lesquels les femmes travaillent et servent encore plus complexes.
Murray a fait l’éloge des millions de femmes qui sont membres des conseils paroissiaux, qui sont lectrices lors de la messe, qui distribuent la communion, qui enseignent ou qui travaillent dans les cliniques, les prisons, les refuges pour sans-abri et les camps de réfugiés.
Elle a accordé une mention spéciale aux femmes qui sont missionnaires dans des régions éloignées ou dangereuses du monde, comme l’Amazonie ou le Sud-Soudan, ainsi qu’à celles qui aident les victimes de la traite des êtres humains et celles qui sont touchées par l’actuelle pandémie de coronavirus.
Partout dans le monde, les femmes, qu’elles soient consacrées ou laïques, « se sentent appelées à la solidarité et à la compassion » en raison de leur foi, a-t-elle déclaré, ajoutant que « toutes ces femmes rendent la mission de Jésus visible de manière pratique et tangible ».
En ce qui concerne l’Église au niveau institutionnel, Sœur Murray a déclaré qu’au cours des dernières décennies, les femmes ont fait de plus en plus entendre leur désir de participer aux niveaux décisionnels afin que leur point de vue et leur vision puissent contribuer à façonner l’Église aujourd’hui.
« Quand je regarde les femmes dans l’Église aujourd’hui, je constate des changements depuis Vatican II », a-t-elle déclaré, en notant que les femmes ont trouvé plus d’espace dans l’Église institutionnelle.
En donnant des exemples, Sœur Murray a fait remarquer que les femmes étudient de plus en plus de disciplines théologiques variées et qu’elles enseignent et écrivent aux plus hauts niveaux, et qu’il y a un nombre croissant de laïques catholiques qui sont expertes en droit canonique. De nombreuses femmes ont été nommées à des postes importants au sein de la Curie romaine, qui est l’organe directeur du Saint-Siège, et davantage de femmes ont été invitées à participer aux synodes des évêques.
« Je crois moi-même que l’accent mis sur la dé-cléricalisation de l’Église et le processus de rupture du lien entre l’ordination et la prise de décision a commencé et devra être modifié de manière significative », a-t-elle déclaré.
Notant que les catholiques « partagent également la mission et le ministère de l’Église » par leur baptême, Sœur Murray a souligné une ligne de l’exhortation Evangelii Gaudium du pape François pour 2013, dans laquelle il dit que « lorsque nous parlons de pouvoir sacramentel, nous sommes dans un rôle de fonction, et non de dignité ou de sainteté ».
Lorsqu’il s’agit des différents ministères au sein de l’Église catholique, cet état d’esprit doit être appliqué, a-t-elle dit, ajoutant : « Je pense que le rôle et la fonction des femmes au sein de l’Église institutionnelle sont en évolution ».
« J’ai certainement vu, pendant mon séjour à Rome, de nombreux changements, une présence accrue des femmes dans la réflexion, le discernement et la prise de décision à différents niveaux », a-t-elle déclaré, notant que, selon son expérience, l’un des plus grands défis pour les femmes dans l’Église aujourd’hui est toujours le désir que « nos voix soient entendues et qu’un espace soit fait pour la participation à tous les niveaux dans l’Église ».
« Je pense que le Pape François est un modèle en la matière », a-t-elle déclaré. « Ce n’est pas facile, pas sans difficulté, mais je pense que l’espace est créé, et je vois que cela se passe aussi au niveau des paroisses et des diocèses. Il y a un changement qui se prépare ».
Ce changement est « inégal, et dans différentes parties du monde, il est à des stades différents des autres, mais une fois que le progrès commence dans cette direction », ce n’est qu’une question de temps, a-t-elle dit, ajoutant : « Nous devons dire notre vérité et revendiquer notre espace avec dignité et courage ».
Elise Ann Allen - USA)
Traduction : Lucienne Gouguenheim
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