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Une Église en transition

ou les limites du "système catholique"

Jean-Pol Gallez
Publié dans Bulletin PAVÉS n°66 (3/2021)

Lors de la Conférence Catholique des Baptisé.e.s francophones qui s’est tenue en ligne en raison de la pandémie, plusieurs ont pu apprécier l’intervention de Jean-Pol Gallez, théologien et père de famille. Juriste de formation au départ et titulaire d’un doctorat en théologie de l’UCL, avec une thèse sur la pensée de Joseph Moingt, il est animateur permanent pour Entraide et Fraternité et joint une expérience de chrétien engagé (notamment dans les contacts avec les mouvements sociaux au Nord et au Sud) à l’expertise intellectuelle. Nous le remercions de l’autorisation à diffuser ce texte : celui-ci pourra nourrir les réflexions individuelles et collectives et enrichir une culture du débat, si nécessaire dans la société civile et en particulier au sein de notre Église. Cette intervention argumentée prolonge les réflexions ouvertes depuis plus d’un an, notamment par Philippe Liesse et Pierre Collet, pour éviter de réduire la dimension de foi à l’attitude institutionnelle : les propos de Thomas Halik, de Mario Grech, de Jose Maria Vigil, et plus près de nous de Paul Tihon et d’Ignace Berten, relaient une espérance fondamentale qui ne se laisse enfermer ni dans la nostalgie ni dans l’ignorance des questions de fond qui continuent à travailler l’humain dans ses attitudes et son devenir, sans repli sur l’Europe occidentale. 


Jo Pirson


Quelques réflexions relatives à l’Église en confinement

L’exposé a été construit selon la perspective d’une théologie fondamentale. Mon optique consiste donc à questionner les "cadres" – en l’occurrence ceux de l’ecclésiologie catholique – à partir d’une réflexion sur la nature même du christianisme et d’un propos conduit en trois temps : une double mise en contexte (crise sociétale vs crise ecclésiale), une analyse du cas de la messe (qui a tant occupé les esprits et le champ médiatique) ; enfin les leçons à tirer de ces confinements (les signes des temps et le passage du cléricalisme à une Église en transition)

1. Mise en contexte : une double analogie entre la crise sociétale et celle de l’Église

Le covid a immédiatement été identifié comme le révélateur d’un système socio-économique à bout de souffle exacerbant ce que l’on savait déjà : la nécessité de changer de paradigme. Mais depuis longtemps, de nombreux scientifiques "lanceurs d’alerte" et les acteurs des réseaux dit de "transition" agissent et vivent déjà très concrètement dans le "monde d’après". Il en va de même pour l’Église. Le "système catholique" semble aussi usé. Et la nécessité de le refonder dans l’Évangile apparaît clairement à toute une série de théologiens et d’acteurs de terrains depuis les années ’60 certainement. Certains ayant déjà aussi pris des initiatives "hors cadre".

Des deux côtés, les "lanceurs d’alerte" savent que les décisions prises trop tard sont exponentiellement plus coûteuses que celles prises à temps. Une véritable mise en pratique des recommandations scientifiques – dans le cas de la planète –, des appels de nombreux chrétiens (théologiens ou acteurs de terrain) – dans le cas de l’Église – eurent épargné les crises actuelles : crises financières, sociales, environnementales dans un cas, déviances graves et systémiques dans l’exercice de l’autorité, dans l’autre cas. Des deux côtés s’annonce la "fin d’une histoire" : d’une part, celle d’un capitalisme financier intrinsèquement vorace et destructeur de vie, de l’autre, de l’ère d’un christianisme de religion particulièrement rebelle à toute refondation dans l’Esprit.

Les confinements actuels seront-ils vraiment les kairos tant attendus pour passer au "monde d’après" et à "l’Église d’après" ? Tout dépendra de la qualité de nos réponses et de nos capacités de résilience face aux effondrements tout proches qui s’annoncent des deux côtés.

Une approche fondamentale ou le questionnement du cadre

Le fonctionnement sociétal comme celui de l’Église ont tous deux besoin de réponses "hors-cadre". Mais celles-ci ne peuvent provenir que de questions renouvelées ! Il faut donc apprendre à questionner les questions. Du côté de la crise ecclésiale, ce renouvellement ne peut provenir que d’un questionnement de fond opéré à la lumière d’une conception du christianisme.

C’est ainsi que les questions habituellement rabâchées – faut-il améliorer la formation psycho-affective des prêtres ? envisager la fin du célibat ecclésiastique ? accorder l’ordination aux femmes ?... – seront questionnées par une autre question : « le christianisme a-t-il besoin d’un clergé pour exercer sa mission ? ». Même plus : « son existence est-elle compatible avec l’"essence du christianisme" » ? Dit autrement encore, la pertinence des premières questions sera mise en doute dans la mesure où elles se meuvent dans le cadre – un dispositif de religion – sans jamais l’interroger – « le christianisme en est-il une ? ». En tout cela, c’est notre pensée qui doit d’abord se déconfiner.

Examinons à présent la principale question qui, malheureusement – mais de façon extrêmement révélatrice – a occupé le débat ecclésial et médiatique en confinement : le cas de la messe que, dans la perspective que je viens de préciser, je prends de plus en plus l’habitude de distinguer de l’eucharistie – et de son rite le plus essentiel : le partage du pain et du vin.

2. Le cas de la messe

Puisque Lumen Gentium (n° 11) dispose que « le sacrifice eucharistique est source et sommet de toute la vie chrétienne », je me poserai la question de savoir si nous sommes donc encore chrétiens sans la célébration de la messe ? Deux options semblent s’ouvrir a priori au regard des débats de confinement :

- L’option "religieuse" : pour les tenants de cette option, la messe constitue le chrétien. Pour qu’elle soit valide, il faut un expert consacré à cet effet et une assemblée de fidèles présente pour recevoir le sacrement. Dans le cas de la messe par internet, j’observe que certains défenseurs de cette vision n’ont eu aucun mal à évacuer la dimension communautaire de la célébration et se sont satisfaits des seuls gestes rituels pratiqués par un prêtre en solo derrière son écran. Pour éviter cette incohérence, d’autres chrétiens de la même tendance ont adopté deux attitudes opposées : soit s’en priver par respect pour ce "très grand sacrement", soit revendiquer le "droit à la messe" et, dans la foulée, une exception au confinement, comme nous venons d’y assister en France, et timidement de ces jours-ci en Belgique ;

- L’option "fraternelle" : pour ces chrétiens – qui ont « choisi la meilleure part » –, la charité prévaut sur le rite et la messe ne vaut que si elle célèbre l’amour du prochain. Cela est très vrai sauf que, pour eux, le rite eucharistique peut attendre, voire ne jamais avoir lieu. Dans cette veine, j’ai observé des évêques avancer que la messe n’était pas le seul moyen de rencontrer le Christ et que le confinement ouvrait la possibilité de redécouvrir d’autres rituels domestiques. Mais l’eucharistie est-elle encore « source et sommet de toute la vie chrétienne » dans ce cas ?

Je questionne d’abord le cadre. Posée comme telle, l’alternative revient à envisager la question comme suit : « choisir entre la messe ou le frère ? ». Mais le déconfinement de la pensée ouvre à une autre question : « comment garantir en toute circonstance un lien entre le frère et le rite eucharistique – que je distingue cette fois de la messe – pour que celui-ci reste bien "source et sommet de toute la vie chrétienne" » ? Si, comme je le pense, l’eucharistie et l’amour du prochain sont bien un même devoir indissoluble pour le chrétien, c’est que l’eucharistie n’est pas un droit – en l’espèce contrecarré par l’impossibilité sanitaire de se réunir et illusoirement compensé par une messe virtuelle – et que l’amour du frère, toujours praticable même "à distance", doit toujours pouvoir être prolongé par chaque chrétien à travers le geste de la fraction du pain commandé par Jésus.

Du questionnement du cadre, je passe à la réflexion fondamentale. Car l’enjeu n’est pas, pour l’institution, de se perpétuer à travers ses prêtres par écran interposé ou, pour cette frange ultra-minoritaire de chrétiens, de réclamer leur « dose hebdomadaire de religion » au mépris des lois et de la santé de tous. Est-il, par contre, acceptable que le chrétien soit privé de rite eucharistique sous prétexte de confinement ? Le kairos de celui-ci renvoie simplement à la responsabilité de chaque chrétien de creuser le sens profond de l’eucharistie sous forme d’une nouvelle alternative : celle-ci est-elle présence réelle chosifiée obtenue par la manipulation du rite ? ou mémoire célébrée de notre réelle présence à nos frères à l’imitation de Jésus ? De la fausse alternative posée au début de ce point, le déconfinement de la pensée fera sortir par un double sursaut : pour les tenants de la première option, il s’agira de découvrir le caractère intrinsèquement profane et domestique du christianisme ; pour ceux de la seconde, d’oser exercer son devoir de faire mémoire de Jésus. Par la foi qu’elle suscite, l’expérience chrétienne fait passer de l’attachement au sacré des religions à la considération de la puissance symbolique d’un geste tout humain et, pour ce motif, toujours disponible.

Un autre questionnement du cadre peut surgir de ces temps de confinement : « pourquoi, de manière générale, ne va-t-on plus à la messe ? ». Pour Jean-Louis Schlegel[1], à l’inverse des explications extérieures habituelles (sécularité, société du loisir, manque d’éducation religieuse…), le motif principal réside dans le mouvement de resacralisation / recléricalisation constaté à rebours de l’esprit de Vatican II. Mais que cherche-t-on ? À sauver le système capitaliste malgré la destruction en cours de la planète ? De même, à sauver le "sacerdoce ministériel" malgré l’évidence du cléricalisme et la fin de la religion, alors que cette sortie est inscrite dans l’Évangile lui-même – j’y reviendrai ?

3. Leçons de confinement pour l’Église : sacraliser ou humaniser ?
Les "signes des temps" : passer de la rhétorique à l’effectivité

La question précédente nous fait entrer dans le grand questionnement ecclésiologique de notre époque : combien de temps l’Église va-t-elle tenir son grand écart entre une posture pastorale ad extra aux accents heureusement de plus en plus humanistes – « aller aux périphéries » – et un conservatisme fonctionnel sacralisant ad intra, tant au plan dogmatique que pratique ? Si le changement sociétal semble obstrué par la persistance de ce que certains appellent des "ultraforces"[2], incarnées par la puissance des multinationales, des géants du numérique, de la finance ou de l’agro-business, analogiquement encore, je soutiendrai que la révolution nécessaire à l’Église est entravée par l’ultraforce de la sacralisation et de l’attachement à la religion. Tout comme le monde politique ne se résout pas facilement à entendre les justes prévisions des scientifiques sur l’état de nos écosystèmes, davantage encore l’autorité ecclésiale sera restée sourde aux "théologiens-lanceurs-d’alerte" qui, depuis Vatican II, voire avant, indiquaient les limites bientôt atteintes du "système catholique".

Sur cette toile de fond, j’observe un discours ecclésiastique assez fréquent – souvent homilétique – recourir à la rhétorique des "signes des temps", mais néanmoins toujours tenu à distance d’une véritable remise en question. Comme pour nombre de citoyens confinés prenant conscience de l’interconnexion des crises actuelles à la lumière de la pandémie, le confinement du chrétien peut être son kairos devant lui permettre de discerner et d’analyser les causes systémiques du véritable "signe des temps" à considérer, à savoir le désamour entre la culture et l’Église. Je rêve d’un Laudato Si’ appliqué à l’Église qui ferait apparaître un « tout est lié » du problème ecclésiologique comme le même texte le met remarquablement en œuvre s’agissant des crises sociétales multiples que nous vivons. Urgence climatique pour l’Église de mesurer ce que le déclin de la religion signifie sur, et pour elle-même.

« En finir (enfin) avec le cléricalisme »

Je consonne pleinement avec Loïc de Kerimel[3] lorsqu’il met en lumière, avec d’autres, que le cléricalisme n’est pas une déviance dans l’exercice de l’autorité mais le fait d’un système. « Tout est lié », disais-je. Je soutiens, effet, que le cléricalisme est le symptôme le plus avancé de cet attachement à la religion et, qu’ensemble, ils expliquent pour une grande part, l’"exculturation" du christianisme par la société, en cours depuis les années ’60. L’homme contemporain a une double raison de ne pas reconnaître en l’Église un modèle adulte de vie spirituelle : il sort de religion et il est acquis par sa culture démocratique au principe d’égalité. « L’Église n’est pas une démocratie », répliqueront les tenants de la première option. Je serai d’accord avec eux mais dans un sens radicalement opposé au leur car l’Évangile va bien plus loin que la démocratie lorsqu’il s’agit d’établir l’égale valeur de tout être humain et, a fortiori, entre chaque disciple de Jésus. Enraciné dans une ecclésiologie tout simplement absente des évangiles et des deux premiers siècles de l’Église, la dichotomie clerc-laïc est à l’Église ce que la pandémie révèle du fonctionnement sociétal, à savoir la maltraitance d’un système vital : la nature et la communauté humaine d’un côté, la communauté de foi de l’autre côté.

Revenons à la fraction du pain. Après avoir écrit mon propos à ce sujet ci-avant, je découvre, au gré de mes lectures, l’interview du nouveau secrétaire du Synode des évêques, Mario Grech[4], lequel estime que la principale leçon du confinement consiste dans la « réhabilitation de l’Église domestique » qu’il qualifie de « prémisse valide de la nouvelle évangélisation ». Le même Mario Grech développe un propos inattendu de la part d’un responsable ecclésiastique de son rang à l’endroit de ce qu’il présente comme un nouveau ministère – celui du "service" – que l’homme d’Église relie, last but not least, au geste de la fraction du pain à la maison. Et de rappeler l’évidence aveuglante de ce passage des Actes : « ils rompaient le pain à la maison et mangeaient leur nourriture avec un cœur heureux et généreux » (Actes 2,46). Et le cardinal de conclure : « Il est du devoir de la communauté paroissiale d'aider la famille à être une école de catéchèse et un espace liturgique où le pain peut être rompu sur la table de la cuisine ».

Suis-je occupé à me focaliser abusivement sur la messe ? J’ai simplement observé que celle-ci était le principal point de crispation surgi du milieu des débats de confinement. Si elle a tant occupé les esprits, que ce soit pour la sauver à distance – s’agissant de ceux qu’Eugen Drewermann appelle les "fonctionnaires de Dieu"[5]  –, ou la revendiquer dans la cité au mépris des lois – pour ceux qui entretiennent le cléricalisme des premiers –, ou pour la mettre entre parenthèses – les cléricaux, prêtres et laïcs, pour en préserver le caractère sacré ou les promoteurs de l’amour du frère pour en indiquer la légitime priorité sur le rite, c’est qu’elle indique bien le "signe des temps" à discerner entre tous : le système catholique s’est construit tout entier sur elle et risque bien de disparaître avec les derniers chrétiens qui la fréquentent – faut-il encore citer les chiffres ? Réciproquement, cela indique que l’Église doit renaître ailleurs.

Mais alors l’Église se serait-elle trompée depuis des siècles en ordonnant des prêtres ? Je le pense depuis un peu plus d’une dizaine d’années. La source du cléricalisme ne se trouve ni dans la formation des prêtres, ni dans le refus d’ordonner des femmes ou des hommes mariés, ni dans des attitudes subjectives de domination ou de soumission des fidèles, mais dans la séparation structurelle des chrétiens en deux catégories. Et pourquoi cette distinction est-elle infidèle à l’Évangile ? Parce que Jésus n’a cessé de supprimer les frontières entre le pur et l’impur, entre le sacré et le profane ; parce qu’il n’a institué personne pour se poser en intermédiaire entre l’humanité et son Père ; in fine parce qu’il est mort en raison de sa mise en cause permanente de la religion et, pour ces motifs, parce que le christianisme n’est pas une religion mais un puissant appel à en sortir par la foi, c’est-à-dire par la confiance mise en cette voie qu’il a ouverte en sa personne. Du seul fait de leur baptême, disposition nécessaire et suffisante, les chrétiens sont pourtant disponibles (mais pour combien de temps encore ?), pour réconcilier le monde avec l’Évangile en lui disant qu’il n’est plus besoin de rejeter la religion chrétienne puisque le christianisme n’en est pas une – mais à condition donc, pour eux-mêmes, de ne plus y "sacrifier" non plus.

L’Église en transition

Une autre histoire du christianisme est à présent à écrire. Église et monde peuvent encore se rencontrer. Mais puisqu’il se dit porteur d’une "Bonne Nouvelle", c’est le chrétien qui donnera le ton d’un travail de raison à effectuer de part et d’autre : le chrétien par une relecture critique des déviations religieuses de sa propre tradition ; l’"exculturateur contemporain", aidé par l’attitude du premier, à l’égard de ses préjugés, par la reconnaissance du caractère évangélique des valeurs fondamentales de notre culture commune. Des deux côtés gît une même (in)suffisance intellectuelle, une même prétention à savoir, à juger sans connaître.

Comme je le disais, les réseaux de la transition vivent autrement depuis longtemps. Ils n’ont pas attendu les échecs successifs annoncés des "COP" et autres forums mondiaux, ni les mesurettes locales sur l’utilisation des sacs plastiques, pour vivre dans un sens favorable au Bien commun. Reprenant son baptême à pleines mains, le chrétien n’attendra pas les injonctions de l’autorité ecclésiastique – ni ne se plaindra de son inaction – pour donner progressivement corps à un nouveau visage historique de l’Église, pleinement humanisé, parce que résolument désacralisé. Quels pourraient être les grands principes sur lesquels fonder "l’Église d’après" ? Étonnamment, je conduirai cet exercice à partir de la tripartition classique "prêtre-prophète et roi", mais sciemment néanmoins, puisque même la doctrine officielle professe que nous le sommes toutes et tous. Reste à en pousser la logique jusqu’au bout afin d’établir une vraie cohérence entre la vie interne de l’Église et le rapport qu’elle entretient avec le monde, véritable enjeu de toute refondation :

« Tous prêtres » : dans son discours, l’institution aime à rappeler que tous les chrétiens sont « prêtres » au sens où il leur revient tous – et toutes – de sanctifier le monde. Mais dans sa pratique interne, la sanctification devient une fonction à caractère sacré restrictivement conçue à l’intérieur de la liturgie et des sacrements. Esprit d’égalité au dehors, reliquat de societas perfecta inégalitaire au-dedans, "l’Église d’après" n’évitera le contre-témoignage que si elle abandonne cette distorsion entre un discours d’égalité – "tous prêtres" – pourtant contredit par un système structuré sur la supériorité sacrée de quelques-uns sur tous les autres ;

« Tous prophètes » : de la même façon, l’Église semble abandonner sa posture d’enseignement lorsqu’elle s’adresse au monde et lui préfère celle, plus conforme, de l’"annonce". Sauf qu’à l’intérieur, prévaut toujours la différence essentielle entre l’Église enseignante et l’Église enseignée, structurée autour de la distinction clerc-laïc. La correction de ce déséquilibre interne proviendra d’un difficile apprentissage de la culture du débat – par ailleurs bien installée dans la société –, par un rapport décléricalisé à la vérité et, surtout, par le principe de la réformabilité du dogme. Sur ces trois points, la forte progression du nombre de chrétiens diplômés en théologie fait son œuvre depuis un certain temps déjà ;

« Tous rois » : quantité d’analyses historiques ont montré depuis longtemps comment l’Église a reproduit, par étapes successives, le modèle impérial de l’exercice du pouvoir, jusque dans les titres reconnus aux ecclésiastiques selon leur "rang". Par la disparition de la dichotomie clerc-laïc, l’Église refondée retrouvera, bien plus dans l’Esprit du Christ que dans l’air du temps démocratique, de quoi nourrir une véritable participation de tous les chrétiens à la conduite des tâches ecclésiales. Du canal clérical et patriarcal de la grâce, l’Église aura vraiment transité vers la voie de l’intelligence collective et du discernement partagé.

Ouverture : plaidoyer pour un nouvel état de conscience chrétienne

De nombreux observateurs et experts en diverses disciplines s’accordent sur le constat d’un changement actuel d’ordre civilisationnel. Il est question d’un accès à un autre niveau de conscience spirituelle de l’humanité de nature "post-religieuse". De façon à mon sens excessive, certains appellent à une "mutation génétique" de l’Église pour survivre dans ce contexte.[6] Je ne pense pas, en effet, que le christianisme doive changer d’identité mais simplement retrouver la sienne, recouverte par des siècles de religion. Libérée de la religion par son propre mouvement, la foi fait accéder à un autre niveau de conscience spirituelle en nous enfantant à une nouvelle relation à nous-mêmes, à l’autre et à Dieu.

Atterrée, comme beaucoup, par l’ampleur des scandales liés aux abus dans l’Église, une sœur bernardine du monastère de Collombey (Suisse) affirme avec clairvoyance un propos qui vaut tant pour la crise de l’Église que pour celle de nos sociétés épuisées : « Toute crise n’est pas salutaire. Elle pose une question. Tout dépend de la manière dont on va y répondre. »[7] Achevant la rédaction de mon texte, je tombe sur cet article, publié mercredi dans un quotidien national belge[8], consacré, encore et toujours à la question de la réouverture des cultes. Son chapeau est rédigé comme suit : « Et si nous assistions à un moment charnière dans l’histoire de l’Église catholique ? Le "lockdown" des cultes l’oblige en effet à se renouveler et à s’engager dans un redoutable examen de conscience. »

 5 décembre 2020


Jean-Pol Gallez

Notes :

[1]  Cf. J.-L. Schlegel, Pourquoi on ne va plus à la messe ? dans Études, octobre 2019 (n° 4264), p. 83-94

[2]  Cf. l’interview de Pascal Chabot dans la revue du "Centre Avec" En Question, septembre 2020 (n° 134) p. 21

[3]  L. de Kerimel, En finir avec le cléricalisme, Paris, Seuil, 2020. Voir notre présentation sur http://paves-reseau.be/revue.php?id=1727 (NDLR)

[4]  Interview du 23 octobre 2020. Cf. https://www.laciviltacattolica.com/bishop-mario-grech-an-interview-with-the-new-secretary-of-the-synod-of-bishops/

[5]  E. Drewermann, Les fonctionnaires de Dieu, Paris, Albin Michel, 1993

[6] Cf. J.M. Vigil, Ce n’est plus le temps des réformes, mais d’une rupture radicale : https://www.academia.edu/44270239/VIGIL_Ce_nest_plus_le_temps_de_r%C3%A9formes_mais_celui_dune_rupture_radicale

[7] Interview du 12 mars 2019. Cf. https://www.cath.ch/newsf/soeur-marie-paule-nous-assistons-a-une-faillite-monumentale-de-leglise/

[8]  Cf. La crise sanitaire pousse les catholiques dans leurs derniers retranchements, dans La Libre Belgique, 2 décembre 2020 : https://www.lalibre.be/debats/ripostes/la-crise-sanitaire-pousse-les-catholiques-dans-leurs-derniers-retranchements-5fc67d639978e23b12d8db79




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