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Devenir consom’acteurs, suite… et pas fin

Gerda Hilgers-Compère
Publié dans CEM n°134 (3/2022)

Un partage du pain qui engage un vrai partage solidaire

dans l’esprit de l’encyclique Laudato Sí

 

Au sein de notre équipe A.R.S. (Action et Réflexion Sociale) à la paroisse du Saint Curé d’Ars, nous voulons articuler les ressources de la tradition chrétienne du Repas du Seigneur (revisitée à neuf) et notre engagement de conversion sur un chemin de transition écologique intégrale.

« C’est un privilège de pouvoir se soucier de la nature, d’en parler confortablement autour d’un bon repas, c’est une discussion de privilégiés. Nous qui avons ce privilège nous devons utiliser cette chance pour prendre soin de la nature et faire découvrir ses trésors aux gens qui nous entourent. »

C’est dans cet esprit « privilège = responsabilité », « grâce = mission » que nous avons entrepris notre processus de conversion de nos habitudes alimentaires et de consommation.

Le cadre d’une paroisse offre des ressources en termes d’organisation matérielle et de compétences des paroissiens. La diversité des personnes fait la richesse de la communauté quand elle est vécue dans l’esprit d’égalité baptismale et célébrée dans la foi d’être ensemble corps du Christ pour la vie du monde.

Devenir consom’acteurs ensemble, car beaucoup dans la paroisse le sont déjà individuellement. Nous encourager mutuellement à faire notre part pour que la terre, notre maison commune, reste habitable pour tous les vivants, humains et non humains, animaux et végétaux. Une utopie ? Oui ! Tout comme le Royaume de Dieu est une utopie à laquelle nous croyons.

Voir la réalité systémique de la crise climatique, sanitaire, économique, humaine dans laquelle nous sommes piégés pour visionner courageusement la possibilité d’en sortir par un changement de cap, rien moins qu’une conversion.

Le point d’appui du levier pour le changement qui nous paraît, très pragmatiquement, le plus immédiatement à notre portée, c’est de commencer par changer le contenu de nos assiettes. « L’assiette - et ce qui s’y trouve - est devenue le symbole des inégalités qui ternissent nos sociétés. Il est temps que cela change, car nous avons tous à y gagner.» [1]

Si nous nous mettons résolument en chemin vers des habitudes de consommation respectueuses de la vie de tous sur la planète, c’est avec la conviction que notre démarche vers une nouvelle culture alimentaire nous libère des injonctions à l’accumulation de biens et restaure nos liens à notre intériorité, aux autres, à la nature et à Dieu. « La croissance économique ne peut donner sens à nos vies, les biens relationnels comptent tout autant, sinon plus, que les biens matériels ou les actifs boursiers ; l’avenir de l’idée même de croissance est dans une croissance vécue comme un élargissement et approfondissement, et non comme fuite en avant. »[2]

Nous ne voulons pas d’une croissance ... de la pollution, du fossé entre richissimes et nouveaux pauvres, croissance du nombre de réfugiés climatiques sans parler des conséquences sanitaires de l’alimentation low cost. La formation[3] a renforcé, exemples à l’appui, notre conscience de l’injustice insupportable de la politique productiviste qui règne sur l’agriculture et qui, si elle avait des raisons d’être après la guerre, les a perdues depuis des décennies et crée le problème qu’elle était censée résoudre : ce sont les ménages pauvres – ceux qu’elle était censée protéger de la faim – qui en paient aujourd’hui le prix exorbitant. En négligeant la qualité au profit de la quantité, l’alimentation low cost ruine la terre et coûte beaucoup plus en termes d’accès à une vie saine que ce qu’elle ‘améliore’ en termes de pouvoir d’achat.

Nous avons conscience que s’indigner ne suffit pas. Il est urgent de passer à l’action. Par nos choix de consom’acteurs nous voulons rendre l’alimentation de qualité accessible à tous. Nous voulons croire au rêve d’un monde où tous mangeraient des produits de qualité à la fois bons et sains. Et où les agriculteurs seraient dignement rétribués.

Nous voulons être les hôtes responsables, libres, égaux et fraternels de notre maison commune, la terre, seule planète dont dispose la famille humaine quoi qu’en pensent des milliardaires fous qui payent des fortunes pour s’en faire expulser après en avoir épuisé les ressources à leur seul profit.

Remonter aux sources du processus

Notre projet Devenir consom’acteurs est la suite logique d’un processus de conversion à l’écologie intégrale et juste entamé en paroisse fin 2018 par trois matinées de formation à la lecture engagée de l’encyclique Laudato Sí animée, avec les outils du Centre Avec, sous la guidance de Guy Cossée de Maulde sj, membre actif de ce centre et prêtre dans notre paroisse du St Curé d’Ars. Cette formation nous a permis de dégager, dans la tradition judéo-chrétienne, ce qui donne un surcroît de sens à notre engagement en faveur de l’habitabilité de notre terre par tous.

L’étape suivante, l’atelier Bouge ta planète, le dimanche 8 mars 2020 s’était clôturée prématurément (en raison des restrictions sanitaires) non sans avoir abouti à une piste d’action concrète visant à nous engager ensemble, en paroisse, pour une justice environnementale, sociale et économique.

José Angeli, un des quatre membres de l’équipe A.R.S., disposait d’outils de formation et d’animation adéquats grâce à son travail professionnel dans le Réseau Intersyndical de Sensibilisation à l’Environnement www.rise.be, structure commune à la CSC et à la FGTB, qui a pour mission principale de soutenir l’action environnementale dans les entreprises.   

Les participants à l’atelier Bouge ta planète avaient marqué une nette préférence pour une réflexion-action ciblée sur nos habitudes de consommation alimentaire, une réalité qui nous concerne tous et sur laquelle il nous reste une possibilité de choix éthiques et engagés, non seulement à l’échelle individuelle et familiale mais dans nos moments collectifs de convivialité et de solidarité en paroisse.

Dès que nous avons pu reprendre les activités en présentiel, nous avons proposé la formation en trois matinées animées par l’équipe et enrichies par l’enseignement et le regard extérieur éclairant de Bernard Van Meenen.

Nous faisons le lien entre notre démarche vers une nouvelle culture alimentaire et le Repas du Seigneur qui nous réunit le dimanche. Le geste du pain rompu et de la coupe d’alliance par lesquels Jésus a résumé sa vie, donnent un surcroît de sens à nos efforts d’habiter notre quotidien dans la semaine de la manière la plus humaine, et donc aussi la plus chrétienne, possible.

Notre démarche de conversion veut être un encouragement mutuel à entrer dans un processus de changement vers une nouvelle culture alimentaire, de manière pragmatique et lucide, ce qui n’empêche pas la joie. Porter un regard critique sur les incohérences inévitables de notre fonctionnement au sein de la société sans être paralysés par la culpabilité ni découragés par notre impuissance devant l’énorme défi de la révolution économique et sociale qui s’impose. 

Cinquante années de productivisme consumériste nous font complices d’une politique agro-alimentaire dont il nous faut sortir coûte que coûte si nous voulons rester sains de corps et d’esprit. Contempler le contenu de nos assiettes nous relie à ce qui nourrit l’humain en nous, à ceux qui l’ont préparé, au monde qui l’a produit et acheminé jusqu’à nous. Cet exercice de contemplation nous fait goûter le sens profond de la convivialité et découvrir avec reconnaissance (gratitude et conscience) combien nous sommes interdépendants et appelés à prendre soin les uns des autres, dans un esprit de fraternité universelle et l’espérance d’un autre monde possible ici et maintenant, en solidarité avec là-bas et demain. Nous reconnaissons aussi le travail de tous ceux qui agissent poussés par l’urgence d’un changement de paradigme, qui partagent notre foi en l’homme sans partager nécessairement notre foi en un Dieu qui croit en l’homme.

Ensemble nous sommes plus forts pour relever le défi d’une croissance, non pas du PIB, mais du BPB (bonheur personnel brut) dont les indices sont l’accès à la santé pour tous et le respect de la dignité de chacun, indépendamment de sa condition sociale, économique, culturelle, de genre, d’appartenance religieuse ou politique ...

Se convertir signifie rompre (richesse du signe du pain rompu), perdre nos illusions d’en sortir par la technologie ou l’efficacité numérique sans passer d’abord par un retissage des liens essentiels à la vie et au bien commun.

Prendre allègrement le chemin de la simplicité volontaire, consentir avec reconnaissance à faire appel aux talents bien présents dans la communauté riche de ses différences et de la créativité que celles-ci suscitent dans une ambiance chaleureuse et conviviale.

Le monde chrétien a une expérience millénaire de résilience, vivre après l’effondrement est pour ainsi dire la ‘spécialité de la maison’ dans les traces d’un crucifié-ressuscité !

Nous n’avons de leçons à donner à personne, nous sommes en chemin ce qui est déjà un but. Nos ateliers continueront dans une ambiance joyeuse et ouverte aux expériences d’autres, proches et lointains. Les révélations des 2e et 3e volets de la formation nous ont confirmé notre responsabilité d’action en vue d’un commerce équitable, avec l’outil pédagogique du ‘jeu de la ficelle’ (3e samedi de la formation). Nous mesurons la complexité inouïe de la toile dans laquelle nos existences sont prisonnières des ultraforces du capitalisme.

En remontant aux sources du Récit Christ que nous célébrons ensemble, laïcs et prêtres, à égalité, au nom de notre dignité baptismale, nous espérons vivre plus fraternellement. Une aventure risquée qui nous sauve du dé-vivre.

St Curé d’Ars, Bruxelles


Gerda Hilgers-Compère (Communautés de Base)

Notes :

[1]  Vincent Delcorps, LLB, 13 mars 2020.

[2]  Christian Arnsperger dans l’introduction au livre d’Émeline De Bouver, Moins de biens, plus de liens.

[3]  Le numéro de septembre 2021 de la revue en donne un aperçu, p. 52-53.




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