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L’asile chez nous

Jean-Marie Culot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°71 (6/2022)


Selon les relevés de l’Office des Étrangers (dofi.ibz.be), ont bénéficié du statut de ‘protection temporaire’, en Belgique, en 2022,

-       en mars, 25 931 Ukrainiens et 576 autres (Arméniens, Russes, Afghans, indéterminé),

-       en avril, 10 899 Ukrainiens et 219 autres,

-       en mai, jusqu’au vendredi 13 !, 3351 Ukrainiens et autres ;

-       faisant un total de 40 893 personnes (14 577 hommes, 26 293 femmes), dont 5633 garçons et 5439 filles de moins de 12 ans, dont 9885 femmes de 35 à 64 ans.

Procédure exceptionnelle que UE a instaurée en 2001 et a demandé à ses membres d’exécuter pour les Ukrainiens[1] du fait d’une arrivée en ‘flux massif’ et d’un besoin provisoire cadré sur une guerre. Elle prévoit un enregistrement accéléré, des séjours courts (90 jours max. ; ou rallongés moyennant visa), autorise le travail, ouvre des droits au logement et aux allocations et services de nos CPAS (revenus minimaux, accès aux soins, …), et peut se muer en demande classique de protection dite internationale.

Demandes additionnelles pour les CPAS donc, s’ajoutant à celles générées par la paupérisation infligée par la crise de covid et, désormais, par le surenchérissement de la vie. – Pour les logements structurels, les pouvoirs locaux tentent d’assurer. Alors qu’elle est bien loin d’avoir pu aider à reloger les victimes des inondations de la Vesdre, la Wallonie s’étonne de devoir accueillir 45 % des demandeurs ukrainiens plutôt que les 34 % initialement prévus en convention fédérale. – Peinant à produire ses 2 à 3000 logements sociaux par an et traînant indéfiniment ses 50 000 demandeurs en listes d’attente, la Région de Bruxelles se décide à solliciter, par appels publicitaires, des disponibilités d’espaces, de bureaux, d’entrepôts, de couvents ; espère les aménager et les ouvrir dès cet été pour ses 6000 demandeurs ukrainiens hébergés aujourd’hui chez l’habitant – La Flandre qui accueille à ce jour 50 % des arrivants au lieu des 60 % prévus, offre déjà 9000 places structurelles dans des villages de containers à Malines et à Anvers.

Les accueils ont pu être assurés par l’extraordinaire mouvement de solidarité de la population – salué unanimement, jusqu’à l’étonnement ; mais, pour des contraintes pratiques ou des difficultés de cohabitation, plusieurs ne pourront être que provisoires. La générosité de la Belgique et, plus impressionnante encore, celle de la Pologne, sont d’autant plus remarquables que des sondages[2] venaient de noter notre pays à 46 % et la Pologne à 48 % d’opinions défavorables à une immigration, jugée ‘menace pour l’identité nationale/européenne’ – les Belges craignant, à 60 % tout de même, une augmentation de la criminalité. Nous souvenons-nous encore de ces réfugiés poussés par la Biélorussie, refoulés par les gardes polonais, morts l’hiver dans la forêt – et, sans la condition désormais indispensable pour ‘exister’, sans photos ni reportages, inexistants donc ?

Les cours de français en promotion sociale sont pris d’assaut. Pour pouvoir échanger avec les hébergeurs, disent les uns, et en attendant le retour espéré. Pour préparer une reconversion, selon d’autres. Tous (toutes, surtout) très assidus. Mais à Bruxelles, manquent cruellement locaux et formateurs. Les écoles de la Communauté française, quant à elles, se demandent comment accueillir ces milliers d’enfants dans ses locaux déjà saturés, alors que déjà manquent enseignants, accompagnants et thérapeutes. Et tous les financements supplémentaires, inévitables, creuseront la dette (abyssale) de la Wallonie.

Protégés, accueillis ou refoulés

Depuis 2008 (avec une moyenne annuelle de 23 705 arrivées et le pic mémorable de 44 760 en 2015) pas moins de 355 580 demandeurs ont obtenu en Belgique le statut (classique) de ‘Protection internationale’, dont

-  européens, 9555 Albanais, 22 256 Russes, 10 749 Serbes, 13 998 Kosovars, 6625 Macédoniens, 2389 Ukrainiens, 7.445 Turcs ;

-  africains, 5846 Camerounais, 11 602 Congolais, 7284 Erythréens, 17 596 Guinéens, 4527 Rwandais, 9365 Somaliens ;

-  asiatiques, 44 096 Afghans, 6963 Arméniens, 6016 Géorgiens, 27 411 Iraquiens, 5 295 Pakistanais, 35 674 Syriens, 8751 Palestiniens, 1005 Yéménites.

Nos centres d’accueil, une trentaine de par le pays, ont une capacité de 30 500 places ; les candidats y attendent, parfois très longuement, les décisions quant à leurs situations, peuvent y suivre des cours de langues. Ainsi : sur un mois, mars 2022 par exemple, le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides a pris 1925 décisions concernant 2240 personnes. Seulement ! Car, grave carence, l’arriéré se monte à 16 412 dossiers (concernant 19 620 personnes).

Les conditions favorables de la ‘protection provisoire’ accordée aux Ukrainiens sont inévitablement mises en rapport avec celles de la formule courante de la ‘protection internationale’ alors que, par exemple, les Syriens, les Afghans, les Yéménites fuient aussi la guerre, mais ont eu le tort de n’être pas arrivés ‘en flux massif’ ni pour un temps court. On ne peut manquer de s’interroger, de plus, – mais l’on pressent les réponses – sur les raisons pour lesquels des humains seraient moins ‘visiblement’ frères que d’autres. Ou pourquoi, encore, il semble plus légitime de fuir la guerre que la misère. Des corrections sinon des progrès pourraient-ils être envisagés, tant que l’Europe n’est pas davantage rongée par les droites xénophobes[3], tant que notre gouvernement et notre Secrétariat ‘asile-migrations’ ne penchent pas trop à droite ?

Vu d’un peu plus loin…

Le politologue bulgare Ivan Krastev pressent que les opinions publiques quant à l’issue de la guerre vont se polariser autour de deux formules : un camp de la paix quoi qu’il faille céder, un camp de la justice ne tolérant que la victoire de l’agressé. Il n’écarte pas un cessez-le-feu sans accord de paix.

Il y a la guerre sur le terrain (avec des armes ‘en progrès’), la guerre économique (l’Amérique ressaisissant le leadership mondial), la guerre des opinions (la séduction des droites extrêmes, la propagande des régimes autoritaires). Qui gagne, ici et là ?

Un responsable africain : « Ne soyez pas étonnés que le fait de voir des blancs tuer des blancs ne constitue pas une priorité pour nous ». Ou encore : « Lorsque les ‘leucodermes’ (les blancs, donc) s’affrontent entre eux pour une question régionale, le monde entier est prié de choisir son camp et on frôle la guerre mondiale. Chez nous, on parlerait de rébellions, de guerres ethniques… ». Un Tigré agressé par l’Éthiopie, les pays du Sahel menacés par les djihadistes, le Yémen, le Myamar ne sont pas vraiment considérés, par nous, comme des enjeux mondiaux. Quant aux demandeurs d’asile africains, ils se savent voués au refoulement sur leur rive de la Méditerranée – une frontière de l’Europe n’étant pas l’autre !

Au vote de l’Assemblée générale des Nations Unies exigeant de la Russie l’arrêt des combats, pas moins de 35 pays se sont abstenus, trente-cinq ! Sans doute le Mali parce que ‘protégé’ désormais par les mercenaires Wagner. Mais pourquoi le Sénégal ? L’Afrique australe ? Se souvenant de l’aide soviétique la libérant de l’apartheid ? Et des milliers d’étudiants africains, de leur accueil dans les universités de l’Est ? Au Maghreb, on connaît cette Europe arrogante s’en venant tuer Kadhafi en Lybie, et cette Amérique s’en allant écraser l’Irak et exhiber la dépouille de Sadam Hussein. Un journaliste algérien, Abed Charef[4] : « Désormais, quand les gens du Sud entendront un Occidental […] parler de solidarité, de fraternité, d’humanisme, de droits des peuples, ils sauront que cela ne concerne pas les peuples du Sud, africains, yéménites, palestiniens, libyens, irakiens et autres […]. Ils croyaient que les Occidentaux étaient prêts à défendre ces valeurs. Ils constatent aujourd’hui qu’ils les défendent quand ça concerne leur monde. »

Vu du ciel…

Au Chemin de Croix du Colisée, François avait invité, côte à côte, deux jeunes infirmières, russe et ukrainienne – geste commenté par Mgr Shevchuk, chef de l’Église gréco-catholique : « Les gestes de pacification ne seront possibles que lorsque la guerre s’achèvera et que les coupables de crimes contre l’humanité seront condamnés. » Question : Dieu est-il pour la paix ou pour la justice ?

À Pâques, Sa Sainteté Kyrill, patriarche de Moscou, invitait ses fidèles à choisir entre le Bien et le Mal, ce qui est de saine homélie. Et donc, si vous avez quelque peu suivi, entre une Russie aux précieuses valeurs traditionnelles et un Occident décadent, dont la Gay Pride serait la manifestation la plus représentative. Ainsi, pour la route, deux questions encore : Qu’en pensent, débarqués chez nous, ‘nos’ immigrés ? Et pour le salut de qui, vont-ils prier ?

Quand je serai mort, mettez-moi

Dans le tertre qui sert de tombe

Au milieu de la plaine immense,

Dans mon Ukraine bien aimée,

Pour que je voie les champs sans fin,

Le Dniepr et ses rives abruptes,

Et que je l’entende rugir.

                                                    Taras Chevtchenko[5]

Note. Sous le statut de ‘protection temporaire’, ont été enregistrés en Belgique 26 507 personnes en mars, 11 035 en avril et 5712 en mai ; à savoir 42 229 Ukrainiens, 146 Arméniens, 131 Russes, 102 Afghans, 110 ‘Indéterminés’ et 536 ‘Autres’, au total 43 254, dont 5887 garçons et 5694 filles de moins de 13 ans. (Chiffres IBZ.be au 28 mai).


Jean-Marie Culot (Hors-les-murs)

Notes :

[1] Pour tout renseignement à ce sujet : voir le récent site www.info-ukraine.be

[2] Sondage Yougov du 2 au 14 décembre 2021, cité par Le Soir du 23 déc. 2021, p.7

[3] Est pointée, en Belgique, une carence grave dans les délais de traitement des dossiers (des reports allant jusqu’à 3 ou 5 ans) causant des malaises psychologiques profonds qui handicapent aussi bien les entretiens que la réussite d’une insertion dans la vie active. Des embauches de personnel et des formations seraient, dit-on, en cours. – Par ailleurs, l’agence européenne garde-frontière Frontex est gravement mise en cause, suspectée d’avoir instauré un ‘système anti-migrants’. À l’occasion de la démission de son patron, un inquiétant dossier dans Le Soir du 6 mai 2022. Pour une analyse documentée du fonctionnement de notre accueil et pour des pistes de correction ou de réforme, voir pour la Belgique : https://www.myria.be/fr (droits fondamentaux, chiffres, traite des êtres humains, …)

[4] Le Soir du 8 avril 2022, p. 5 : Face à la guerre, les Africains sont restés au balcon par Colette Braeckman et Une empathie pour l’Ukraine refrénée par Baudouin Loos.

[5] Poète ukrainien, 1814-1861




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