Hommage à Jacques Drèze (1929-2022)
Joseph Pirson
Publié dans Bulletin PAVÉS n°73 (12/2022)
Le 25 septembre dernier Jacques Drèze nous quittait. Sa vie n’a pas simplement été celle d’un brillant économiste, verviétois d’origine. Éminent professeur d’université, il aurait pu, dans son immense talent de chercheur et d’enseignant, recevoir le Prix Nobel d’économie, n’en déplaise à sa modestie ! J’ai toujours été impressionné par sa franchise, la finesse de ses analyses, son engagement social et sa passion pour une économie solidaire.
Je l’avais personnellement rencontré dans les années 1980, dans sa qualité d’ancien responsable national de la JEC : je souhaitais recueillir ses impressions par rapport à l’évolution de l’association et je l’avoue, son appui pour la collecte de fonds dans l’aide à un mouvement, qui, comme d’autres mouvements de jeunesse, était confronté à d’importants problèmes financiers. Il m’avait impressionné par son écoute et sa capacité de cerner rapidement les enjeux d’un travail avec le monde lycéen et étudiant, qui n’était plus celui des années 1970. Cette même attention aux changements m’a également marqué lorsqu’il m’avait interpellé, quelques années après, sur la nouvelle appellation de la JEC qui, de Jeunesse Étudiante Chrétienne, devenait Jeune et Citoyen ! Ce n’était pas chez lui une expression de nostalgie, mais bien la poursuite d’un questionnement sur l’évolution sociétale et le devenir de la vie associative, dans une perspective sensible et critique. C’était chez lui une attitude permanente et un gage de sérieux, de la part de quelqu’un qui cherchait sans cesse à dépasser les postures faciles et les slogans…
Même si nous n’avons pas échangé sur tous les aspects de sa vie de chrétien actif socialement, j’ai recueilli son attitude critique vis-à-vis de la place réelle occupée par les femmes dans l’Église catholique, son désappointement par rapport à des courants traditionalistes face aux lenteurs institutionnelles, pour opérer les mutations nécessaires et retrouver une posture authentiquement évangélique, en particulier pour plus de justice et d’égalité !
Il avait fondé en 1966 à l’UCL le Center for Operations Research and Econometrics (CORE). Lors d’une rencontre au Galway College en 1990 avec les responsables d’étudiants catholiques irlandais, un de ses anciens étudiants-chercheurs, Julian Mac Airt, professeur au Trinity College de Dublin, m’avait confié combien la présence de Jacques Drèze avait été pour lui stimulante dans une perspective scientifique critique, celle d’un enracinement de la recherche dans ce que nous appelons « l’économie réelle », ainsi que des exigences de justice et de solidarité, alors que la vague néolibérale prenait peu à peu, mais puissamment, ses marques. Il a été marqué par la crise économique de la fin des années 1970, la problématique des déséquilibres économiques et du chômage : il a plaidé sans cesse pour la protection de l’emploi. Cet engagement ne signifiait pas pour autant une vision débridée de la croissance : en 2016 encore il demandait un investissement fort de l’Union Européenne dans le logement social, les transports publics et les énergies renouvelables (en réaction au plan Juncker, qui était alors président de la Commission).
Son engagement social en tant qu’enseignant a également été reconnu au sein de la Faculté ouverte de Politique Économique et Sociale (FOPES) où il a formé des générations d’étudiantes et étudiants et dirigé des mémoires. Avec son épouse Monique, il a été un acteur important de la vie sociale de l’UCL. Notons qu’il a également marqué ses fils Benoît actif dans le secteur de l’économie sociale et Jean, fortement engagé pour le développement de l’Inde, son pays d’adoption.
Pour tout cela, merci !
Joseph Pirson
