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Église, démocratie et laïcité

Jo Bock
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Le moment est venu pour l’Église, pour les croyants de la Bonne Nouvelle, d’apprendre à relire la longue histoire du christianisme afin de comprendre la situation où nous sommes aujourd’hui. En Europe, la civilisation contemporaine est marquée par la modernité démocratique et laïque. L’Église se trouve ainsi dans un contexte radicalement neuf.

A l’époque où nous nous trouvons, la démocratie, la laïcité peuvent apparaître comme des conditions plus favorables à la liberté de l’acte de foi que des situations antérieures. Notre époque porte en effet comme idéal la démocratie, la confiance dans les pouvoirs de la raison humaine, ainsi qu’une volonté d’autonomie de la société par rapport à toutes les sujétions religieuses, en un mot, la laïcité.

À un premier niveau de sens, la laïcité désigne une société qui accueille en son sein le pluralisme religieux, philosophique, culturel, politique. Elle désigne donc la neutralité du pouvoir politique par rapport au sens de la vie, les options le concernant étant renvoyées à la liberté des individus, à la liberté de leur conscience et de leur pensée.

Mais un second niveau de sens est nécessaire au premier : il consiste à fonder la laïcité, c’est pourquoi il inclut une constellation de valeurs éthiques. Bref la laïcité est inséparable des valeurs qui la fondent, et du coup dire qu’elle serait neutre sur le plan éthique est un non-sens. On osera même avancer que la notion de valeur, au sens moderne de ce mot, est contemporaine de l’émergence de la laïcité. Le concept de valeurs éthiques (tolérance, dialogue, accueil, ouverture, fraternité, amitié) découle fondamentalement du principe de laïcité.

À un troisième niveau de sens, la laïcité est aussi une nouvelle manière de construire et d’instituer l’espace social. Ce sens politique de la laïcité se compose de deux principes solidaires : l’autonomie et la distinction. L’autonomie dit que la société laïque se réfléchit comme le simple produit de l’interaction des humains, comme réalité purement humaine, autonome par rapport à un fondement transcendant, sacré, religieux. Du coup, les citoyens doivent assumer la totale responsabilité de leur société.

Dès lors, si la société est autonome par rapport à toute religion, ou à tout sacré, il importe que les institutions de cette société, et éminemment les institutions politiques, soient distinctes des institutions qui structurent les religions.

C’est donc l’émergence de l’idée démocratique et du principe de laïcité qui crée une situation historique radicalement nouvelle et qui défie l’Église, la mettant en demeure de s’arracher à son ancien rapport à la société, pour en inventer un nouveau, sous peine de perdre le contact avec l’humanité.

Le difficile abandon de l’ancien rapport Église - société

Comment passer d’un rapport Église – société, aujourd’hui dépassé, à une nouvelle façon pour l’Église de se situer dans le monde ?

Regardons un peu l’histoire. À partir du XVIIIe siècle, à travers la philosophie des Lumières, l’hégémonie de l’Église sur l’ensemble de la culture et de la société suscite un mouvement de refus qui s’amplifie, un profond désir d’autonomie. Celui-ci s’exprime, notamment sur le plan intellectuel, par l’anticléricalisme et le rejet de toute pensée dogmatique. Le refus a également un aspect moral. À partir de la Révolution Française, la remise en cause portera finalement sur l’ensemble de l’ordre politique et culturel.

Dans ce contexte, la création de l’école laïque sera avant tout perçue comme un arrachement à l’Église de son rôle dans l’éducation, et interprétée comme instrument d’un combat idéologique contre la foi, ce que résume la formule « école sans Dieu ».

La création de l’école laïque, puis la loi de la séparation de l’Église et de l’État (en France) seront donc les étapes décisives grâce auxquelles la société française achèvera la conquête de son autonomie, c’est-à-dire l’affirmation du principe selon lequel les sociétés n’ont pas à se décharger sur des instances supérieures religieuses ou sacrées du poids de la responsabilité qu’elles ont d’elles-mêmes.

Éléments pour comprendre le nouveau rapport Église – société

L’Église saura-t-elle, fidèle à l’esprit de l’Évangile, aller à la rencontre des hommes vivant dans ce contexte de démocratie et de laïcité ?

Non seulement un nouveau rapport est possible, mais il est souhaitable. Car la société moderne renvoie l’Église à son essence. Elle lui refuse désormais toute confusion avec la société, avec l’État, elle lui refuse aussi le droit de se construire comme contre-société. Elle la prive de la possibilité d’imposer la volonté de ses responsables en s’appuyant sur le bras séculier. Elle la met en demeure de revenir à elle-même, elle la renvoie à son essence de communauté de croyants saisis par l’éclat de l’Évangile, et appelés à montrer la présence du Christ à travers la qualité de leur vie.

Du coup, la communauté, l’institution même, doivent s’en remettre au lien d’amour, d’agapè qui est censé relier les croyants entre eux, s’ils veulent vivre de la présence du Christ et ne pas trahir la vérité. Il y a là une chance inouïe pour que l’élan spirituel ne soit plus perverti par une instrumentalisation politique.

Cette Église rendue à elle-même, privée de l’appui des pouvoirs pour obtenir le consentement des masses, sera une institution qui se trouve devant la tâche immense d’inventer d’urgence des formes d’expression et de vie collective en accord avec son essence. Cette Église est mise au défi de mieux vivre la logique spirituelle de l’Évangile. Il lui revient d’inscrire dans l’espace de la société le lien d’agapè qui doit exister entre les croyants et qui est censé exprimer la présence du Verbe aimant à l’humanité. En même temps, cette Église doit vivre la tension interne de l’Évangile : le lien entre les croyants, cet amour source et sens de tous les amours, est censé être offert à toute l’humanité, ce qui interdit la clôture sectaire de l’Église sur elle-même. Elle ne peut pas se limiter à des communautés chaleureuses, mais fermées, elle est vouée à être ouverte à toute l’humanité. Elle a l’exigence de se fonder sur une absence de pouvoir de l’homme sur l’homme, de reposer sur une radicale liberté des personnes.

Cette nouvelle situation ouvre la voie à une Église qui cultive chez les croyants l’urgence d’un engagement au service de l’ensemble de la société, et de l’humanité entière. Dans ce qu’elle dit, dans ce qu’elle fait, tout ce qui peut être entendu comme peur de la liberté humaine devient, dans ce nouveau contexte de la démocratie, cause d’incompréhension par rapport à l’Évangile. En elle désormais, c’est la fonction d’accueil de tout être humain dans la spécificité de son être qui est l’exigence première.

La perspective esquissée ici conduit l’Église à ne pas se réfugier dans la neutralité, par rapport à la mise en œuvre effective de la démocratie, de la laïcité, des valeurs communes. Rien n’assure que la société démocratique et laïque demeure constamment fidèle à ses principes et à ses valeurs. Du coup, apparaît l’espace d’un droit de critique et d’interpellation de l’Église par rapport aux pouvoirs et aux institutions de cette société, questionnement qui doit certes respecter la légitimité et l’autonomie des pouvoirs, mais qui les renvoie à l’idéal proclamé de cette société elle-même.

D’autre part, l’Église ne sera porteuse d’un rapport fécond à la société, du point de vue spirituel, que si elle poursuit un effort de conversion à l’appel de l’Évangile. Celui-ci a des formes originales dans chaque contexte historique, l’entendre exige une immense disponibilité à l’Esprit. Il y a urgence en ce début du XXIe siècle à comprendre de quelle façon et selon quelle forme le Seigneur appelle l’Église à se convertir.


Jo Bock (Communautés de Base)

Notes :
d’après un article de Guy COQ.
L’original, qui fait 7 pages, a été résumé par jobock@belgacom.net



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