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Comment devenir évêque aujourd’hui ?

Jacques Gaillot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°14 (3/2008)


Ne braquons pas trop vite les projecteurs sur l’homme providentiel qui devrait avoir toutes les qualités et porter tous les espoirs. Regardons d’abord la société qui nous entoure. Beaucoup parmi nous font l’expérience de la fin d’un monde et vivent la difficile naissance d’un monde nouveau. Les premières paroles de Jésus dans l’Evangile de Marc prennent, dans ce contexte, un relief tout particulier : « L’heure où tout se joue est venue. Le Royaume de Dieu s’est rapproché. Retournez-vous et placez votre confiance dans l’Evangile. » (Marc 1,15 traduction Bayard.)

Un changement culturel sans précèdent :

Prenons acte de ce changement : c’est l’individu qui est au centre avec sa liberté, sa conscience, son autonomie personnelle. L’individu entend se déterminer lui-même : droit de chacun, de chacune, à la réalisation de soi, avec la prise en compte de son expérience vécue. On assiste à un développement de l’esprit critique, à une émancipation des individus, à une privatisation du religieux. C’est un mouvement profond de notre époque.
La liberté de conscience est un fait considérable. La liberté de croire ou de ne pas croire est acquise pour tous et pour toutes. Ce n’est pas de la tolérance, c’est du droit. Il y a une mise à égalité des croyants et de ceux qui ne se réclament pas d’une croyance. Les citoyens sont d’abord des hommes et des femmes avant d’être des croyants. On n’est pas croyant avant d’être citoyen. La croyance vient après. C’est un choix personnel.
Dans ce contexte culturel, les vérités imposées ne s’imposent plus. Ce qui est institué recule. Il n’y a pas un sens venant d’en haut qui serait normatif pour nos vies. La conception descendante de l’autorité est remise en cause. Chacun, chacune, est confronté à la réalisation de soi et à se donner des repères. Comme il est difficile aujourd’hui de devenir, un homme, une femme ! C’est une tâche passionnante jamais achevée.
La modernité est une réalité historique qui fait partie de notre univers, mais l’opposition demeure entre le monde moderne et l’Eglise catholique. Frédéric Lenoir, philosophe et historien des religions, écrivait récemment que pour certains « Le christianisme est une institution qui opprime l’individu, s’oppose à la raison et rejette les valeurs de la modernité.» (Le Christ philosophe, chez Plon p.224).
Il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui le message de l’homme de Nazareth retrouve un éclat particulier. C’est un message libérateur à portée universelle : émancipation de l’individu, de la femme, égale dignité de tous : « Vous êtes tous frères ». Et l’Apôtre Paul commentera de façon magistrale, dans sa lettre aux Galates, la nouveauté radicale de l’Evangile : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; ni esclave, ni homme libre ; ni homme, ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. » Gal. 3,28
Comment ne pas être attentif à la façon dont Jésus rencontre, à l’improviste, des hommes et des femmes sur les routes de Galilée ! Il rejoint leur humanité, les libère de leurs fardeaux, les rend à eux-mêmes, les invite à renaître. Jésus croit en eux et les laisse aller leur chemin. Il ne cherche pas à les avoir, ni à les revoir. Il ne leur impose rien. Quelle confiance en la vie ! Quelle gratuité !

Un monde profondément marqué par l’injustice :

Un jour où je m’apprêtais à quitter la maison des Spiritains pour aller dans Paris, un jeune africain s’approcha de moi et me dit : « J’aimerais bien parler avec vous. Ce sera bref. » Nous sommes allés nous asseoir et je l’ai écouté : « Voilà, je viens d’être nommé évêque au Congo et j’aimerais avoir un conseil de vous avant d’être ordonné évêque. » Je lui ai répondu sans hésiter : « Lutte contre l’injustice, d’où qu’elle vienne. Si tu luttes contre l’injustice, ta lumière brillera comme l’aurore, dit le prophète Isaïe.» Alors il me répondit : « Oui, d’accord, ça va bien comme ça. » Il s’en alla. Je ne connais ni son nom ni celui de son diocèse au Congo. Je ne le reverrai sans doute pas, mais s’il lutte contre l’injustice, il sera une bénédiction pour son peuple.
Nous vivons dans un monde où les inégalités sont criantes et scandaleuses.
Il est inacceptable que de plus en plus de perdants soient laissés de côté alors que des gagnants s’arrogent tous les droits. Des êtres humains sont devenus une marchandise que l’on jette quand elle ne sert plus. Leur vie et leur mort ne comptent pas. Ils sont de trop. La société n’a pas besoin d’eux pour bâtir l’avenir. La loi du marché règne en maître. Le développement est basé sur le profit et non sur les gens. Les nouveaux maîtres du monde imposent leur loi d’airain, gaspillent les ressources non renouvelables et font peser des menaces sur l’avenir de la planète.

« A vin nouveau, outres neuves » Marc 2, 22

Ce pourrait être la devise du nouvel évêque. Il n’est pas interdit de rêver ! Puisque nous avons basculé dans un monde nouveau, les paroles de Jésus invitent au courage de l’avenir dès maintenant, sans attendre des jours meilleurs. Il ne s’agit pas de travailler à la survie de l’Eglise, mais à sa renaissance ; et d’ouvrir un espace de libre parole pour tous les chrétiens qui veulent la créativité au sein de l’Eglise.

Découvrir avec bonheur la maturité du peuple chrétien :

Quelle joie de rencontrer des personnes libres, responsables, adultes dans la foi, qui mettent en œuvre la justice et l’amour dus au prochain ! Quelle vitalité dans les communautés où les chrétiens se retrouvent sur pied d’égalité, se référant au message de Jésus sous le souffle de l’Esprit ! Comment ne pas sentir monter à nos lèvres la parole des béatitudes : « Heureux » en voyant tant de personnes vivre et agir !

« Annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ».

Toute sa vie, Jésus mettra en œuvre le discours de Nazareth. Il partira des pauvres, qui seront les premiers bénéficiaires de la bonne nouvelle.
Mgr Oscar Romero, l’archevêque assassiné de San Salvador disait : « Il n’y a aucun honneur pour l’Eglise à entretenir de bonnes relations avec les puissants. L’honneur de l’Eglise, c’est que les pauvres la sentent à eux.»
Je songe aussi à cette parole de Dom Helder Camara : « Si ma vie n’est pas une espérance pour les pauvres, je ne suis pas le prêtre de Jésus-Christ. »
Une Eglise qui fait de la justice sociale sa priorité en se portant là où le peuple souffre, là où le sort de l’être humain est en danger, devient prophétique pour l’humanité. On ne peut pas annoncer l’Evangile sans passion pour la justice.
Une Eglise qui ne prend pas le chemin de la détresse des gens, ne pourra jamais trouver le chemin du cœur où peut être accueillie la bonne nouvelle de l’Evangile.
Bienvenue à cet évêque qui se laissera façonner par son peuple pour devenir, avec la force de l’Esprit, un pasteur selon le cœur de Dieu.


Jacques Gaillot (évêque de Partenia)


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