Tsunami
Lorsque le terrible interroge nos représentations de Dieu.
Marie Muraille-Meunier
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues
Pouvons-nous confesser le Dieu du credo chrétien, celui des récits judéo-chrétiens, en face d'un désastre humanitaire comme le Tsunami? Il s'agit d'une catastrophe naturelle génératrice de malheurs. La question du malheur se pose devant la mort d'un enfant. La question se pose, mais autrement, en face du mal que l'humanité est capable de faire dans l'histoire de ses décisions et de ses violences, comme à Auschwitz. "Dire encore Dieu après Auschwitz, est-ce possible"?
Le 26 décembre dernier, des cités entières de l'Asie du Sud-Est ont été anéanties en quelques minutes. Immédiatement couvert par toutes les télévisions de la planète, l'événement nous a touchés au plus profond. Le terrible a bousculé le cours ordinaire de la vie. Le monde que nous désirons harmonieux est apparu dans une de ses faces devant laquelle nous nous percevons presque rien. Comment penser notre condition devant ce qui advient ? Et comment penser nos représentations de Dieu ?
La première et juste réplique au malheur : l'action solidaire.
La presse a répercuté les conséquences du sinistre : les informations annoncent quelque 300.000 morts, et elles parlent de millions de personnes qui ont perdu la santé, le logement, les moyens élémentaires de vivre.
La première réaction au désastre n'a pas perdu de temps à interroger les causes, ou les responsables ... parmi les dieux ou parmi les humains. La réaction est venue de l'émotion du grand nombre. Devant la catastrophe qui touchait des anonymes, beaucoup ont eu à coeur d'agir, et d'apporter ce qu'ils ont pu. L'immense élan de solidarité suscité par l'émotion a été la riposte la plus intelligente que des peuples et nombre d'entre-nous ont donnée au désastre naturel, transformé en catastrophe humanitaire. Le philosophe Michel Serres a explicité à sa manière les motifs de cet élan. D'abord, il a été hautement médiatisé, touchant ainsi presque tous les habitants de la planète. Aussi, plus subtilement, la catastrophe n'était pas causée par des guerres ou des violences humaines. Personne ne pouvait sérieusement se donner bonne conscience en concluant sur un « c'est de leur faute», ou un « tant pis pour eux, ils l'ont cherché ». Enfin, chacun a mesuré que sans la solidarité et sans l'intelligence qui sont le propre de l'humanité, celle-ci n'a aucune chance de vie et de résistance devant les violences engendrées par la nature.
Pour un moment, nous avons éprouvé notre fragilité et, en même temps, la puissance de l'humain, dont le coeur et le génie technique peuvent donner la réplique au malheur. Des multitudes ont perçu spontanément le sens de la règle d'or qui peut aussi se traduire ainsi: «Ne laisse pas subir à autrui ce que tu détesterais qu'il te soit fait à toi-même ». Ne reste pas indifférent au sort de l'autre. L'humanité commence-t-elle par une affirmation qui veut la vie, laquelle inclut la mienne et celle des autres?
Et les figures de Dieu dans tout cela ?
Que nous le voulions ou non, nos représentations du divin sont mises à l'épreuve par le malheur. De quelles convictions, de quelles expériences, de quelles confiances peuvent témoigner de bonne foi les credos qui parlent du sens de Dieu? Pouvons-nous, peut-être, humblement, confesser au vu des réactions possibles au malheur que le sens de Dieu commence par une certaine capacité d'humanité? Les attributs de toute-puissance que les monothéismes ont attachés au Dieu créateur sont-ils identifiables aux images que nos représentations donnent de la puissance? Quelles figures de Dieu donnent les récits de l'évangile, dont l'un, celui de Jean, rappelle que personne n'a jamais vu Dieu, mais que Jésus en est une icône, l'image qui s'accomplit dans la fragilité du temps de la condition humaine. A chacun d'en répondre de bonne foi.
Marie Muraille-Meunier (Hors-les-murs)