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Benoît XVI a eu cent jours pour convaincre …

Pierre Collet
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Dans la fièvre médiatique qui entourait la maladie et la mort de Jean-Paul II, puis l’élection de Benoît XVI, notre déception n’avait pas eu le courage de s’exprimer. Nous nous étions dit ensuite qu’on lui donnerait bien 100 jours avant de réagir, répondant d’ailleurs ainsi à la suggestion de Hans Küng qui invitait à la patience : "car l'expérience enseigne que le pontificat dans l'Église catholique d'aujourd'hui représente un défi d'une telle ampleur qu'il est susceptible de transformer n'importe quel homme. Tel cardinal progressiste peut sortir du conclave en pape conservateur (Montini - Paul VI); tel autre cardinal conservateur peut en ressurgir en pape progressiste (Roncalli - Jean XXIII)."

Cent jours plus tard, des journalistes commencent à publier les premiers bilans, et il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent. On constate effectivement que, jusqu’ici et pour l’essentiel, Benoît XVI est en train de suivre le calendrier de son prédécesseur : visite le 29 mai au Congrès sur l’eucharistie à Bari, promulgation du Catéchisme dans sa version brève, JMJ à Cologne du 18 au 21 août et Synode des évêques en octobre… Peut-être ne sera-ce qu’alors que le pontificat de Jean-Paul II prendra fin réellement. Mais ce n’est pas certain, et Pablo Richard (théologien chilien qui enseigne au Costa Rica) n’hésite pas à dénoncer que "Ratzinger n’a été choisi que pour donner une suite théologique et dogmatique au modèle d'Église construit par Jean Paul II"…

Sans trop laisser vagabonder mon imagination, je trouve pourtant déjà matière à réfléchir dans quelques domaines sensibles : l’image du pape, l’œcuménisme, le peu d’engagement politique, les prises de position morales, la manière de gouverner.

Ce qui saute aux yeux, c’est un certain changement de style. La visite au Congrès eucharistique italien de Bari n’a duré que quelques heures et n’a guère laissé de place aux enthousiasmes populaires. Si quelques bains de foule, montés en épingle par la télévision italienne, ont permis de manifester une certaine continuité avec le pape polonais, on n’a pourtant pas l’impression que ce soit très "naturel" : guère d’émotion dans tout ça... Et bien que sa fonction impose au pape des prises de position fréquentes, elles se sont faites de manière si confidentielle qu’il serait sans doute imprudent d’en tirer des leçons. Bref, on est sans doute parti pour un style plus discret, moins médiatique, moins "personnel" en tout cas. Irait-on vers un pontificat un peu "minimaliste" ? Ce ne serait pas pour nous déplaire…

Au-delà du "discours-programme", quelques signes apparaissent qui laissent déjà prévoir certaines des priorités du nouveau pape. La première concerne vraisemblablement le dialogue inter-religieux. C’était déjà une volonté de Jean-Paul II. Benoît XVI est convaincu et affirme nettement son opportunité comme réponse de fond à la récente vague d’attentats terroristes, récusant fermement l’interprétation d’un "choc des civilisations". Il a fait ajouter au programme de sa prochaine visite à Cologne, à côté de son entrée dans une synagogue, une rencontre avec des représentants musulmans. Soit. Il faudra voir comment concilier cette approche strictement "religieuse" et l’extrême prudence constatée au niveau politique ou économique : à ma connaissance, Benoît XVI n’a pas encore dit un mot de la guerre en Irak, moins encore bien sûr de l’impérialisme de certaines puissances "chrétiennes", et c’est un de ses proches, le cardinal Kasper, qui vient d’appeler à "une alliance en faveur de la redécouverte des racines chrétiennes de l’Europe"…

Dès son élection, le pape a annoncé son intention de travailler à relancer l’œcuménisme et plus particulièrement le dialogue avec les orthodoxes, principal échec de son prédécesseur. Signal relayé par le cardinal Kasper et visiblement bien reçu. Les orthodoxes ont confirmé que le dialogue théologique entre les deux Églises, interrompu il y a quatre ans, pouvait désormais reprendre. Benoît XVI devrait se rendre à Istanbul le 30 novembre prochain pour fêter la Saint-André. Mais la candidature de la Turquie à l'Union européenne ne sera pas absente des discussions : les chrétiens de Turquie, partisans de cette adhésion, auront fort à faire pour convaincre Joseph Ratzinger qui avait nettement marqué son opposition à ce projet... Le cas de la Russie est différent : très remonté contre le prosélytisme romain des "Églises catholiques orientales", le patriarche Alexis affirme aujourd’hui "ne plus exclure la possibilité d’une visite du pape en Russie"…

Pas mal, dira-t-on… Mais du côté des anglicans et des protestants, le dialogue risque de devenir assez difficile, et en particulier en raison des positions de plus en plus tranchées concernant l’accès des femmes aux ministères ordonnés. Et on se rend vite compte que la dimension œcuménique est absolument liée à l’ouverture aux réformes internes. Parmi elles, la place des femmes sera sûrement un domaine-test, pour nous en tout cas : la garantie d’une égalité entre femmes et hommes et donc la participation pleine et entière des femmes à tous les niveaux seront le signe que l’Église catholique a vraiment écouté ce que la culture contemporaine avait à lui dire. Mais Samuel Kobia, secrétaire général du Conseil Œcuménique des Églises, se veut optimiste : "Benoît XVI s’est dit prêt à collaborer avec le COE. Il en a reconnu et souligné la compétence. Je veux le prendre au mot. "

Revenons donc à la gestion "interne" de l’Église catholique. Dans ce domaine, et jusqu’ici en tout cas, l’ancien "gardien du dogme" n’a provoqué aucune surprise… Il a réaffirmé l’opposition de l’Église à l’avortement et à l’euthanasie, sa conviction que l’abstinence sexuelle était le seul moyen "vraiment sûr" de se protéger du SIDA, et surtout le refus d’accorder l’eucharistie aux divorcés remariés. On attendait pourtant des ouvertures sur ce dernier sujet, mais il paraît qu’il sera à l’ordre du jour du synode des évêques en octobre prochain. Un indice quand même qui risque de mettre à mal nos dernières illusions : la nomination de son successeur à la Doctrine de la Foi… Non seulement Mgr Levada est connu pour ses batailles contre la communauté homosexuelle de San Francisco et pour sa campagne anti-Kerry et anti-avortement aux dernières présidentielles, mais il ne passe pas pour un théologien d’envergure… En nommant un terne apparatchik, Benoît XVI voudrait-il garder la main sur la doctrine de la foi ? Ce serait évidemment cohérent avec l’obsession qu’il a manifestée depuis quelques années, et tout récemment dans son discours d’entrée en conclave, contre le "relativisme" dénoncé comme la perversion suprême de la civilisation occidentale.

Pour faire de réels pronostics sur la manière de gouverner l’Église, nous en sommes réduits à attendre les prochaines restructurations – ou simples nominations – de la Curie. Elles se feront sans doute au fil des dépassements de l’âge de la retraite et, en attendant, il semble bien que la machine tourne au ralenti. On prétend que Benoît XVI écrit lui-même tous ses discours et ne délègue rien… Il confirme d’ailleurs avoir passé ses vacances à écrire un livre et à commencer sa première encyclique. Comment interpréter cette attitude ? Faut-il le voir en bourreau de travail qui réfléchit beaucoup et prépare ainsi la bonne occasion pour "mettre de l’ordre dans la boutique" ? Ou en despote éclairé qui porte bien évidemment des gants de velours et affiche un perpétuel sourire de circonstance ? L’enjeu est de taille : il s’agit de la mise en œuvre – enfin – de la collégialité réelle promise par Vatican II, de la décentralisation du pouvoir, d’une plus grande autonomie des Églises locales. Attendre… Mais ces premiers actes de Benoît XVI ne nous paraissent pas très encourageants ni faire droit à nos espoirs de réforme…

La dernière information est en effet particulièrement affligeante, nous semble-t-il. À la fin de ses vacances au Val d’Aoste, le pape a rencontré les prêtres de cette région et a dressé un tableau très noir et désabusé de la société occidentale. Surtout, il y a parlé du manque de vocations sacerdotales (sauf en Afrique qui connaît un véritable "printemps de la foi" : félicitations… et mise en garde contre l’assimilation à une promotion sociale) et de la dérive de "l’expérience française des assemblées dominicales en l’absence de prêtre : une fausse solution". "Il a expliqué qu’elles pouvaient parfois poser problème car il pouvait y avoir une perte de sacralité, une protestantisation…"  C’est vrai que, vu sous cet angle, on ne voit pas bien quelle "réforme" on pourrait encore espérer.

Pierre Collet (Hors-les-murs)


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