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Propos intempestifs sur la prière

En hommage à Jean-François Grégoire

Jacqueline De Cat - Hansen
Publié dans Bulletin PAVÉS n°66 (3/2021)

qui nous a quittés le 15 novembre 2020[1]


C’est le titre que Jean-François Grégoire avait donné à son exposé, entendu lors d’un week-end de notre Petite Communauté de Base de Nivelles, à Herne en 1999, où nous l’avions invité à nous parler de la prière. En relisant les notes que j’ai retrouvées, je suis frappée de voir y transparaitre… son portrait ! Les voici.

Avant de détailler son sujet en 10 points, Jean-François en avait donné les grandes lignes.

D’abord, en mettant en valeur son aspect humain, la prière comme construction de nous-mêmes. C’est une expérience d’harmonie, de communion, de sortie de soi, d’ouverture, de juste rapport entre le soi et le non-soi.

Ensuite, la prière comme expérience de nos limites. Nous sommes démunis face aux difficultés, aux malheurs. La prière répond à une peur, à un besoin de protection. Plus positivement, elle est disponibilité et confiance en Dieu et en l’avenir. Elle génèrerait une attitude d’attente et de silence, voire d’espérance.

Enfin, la prière en tant que relation avec, et avec qui ? Elle est dialogue, plus affectif qu’intellectuel. Elle peut se faire avec d’autres, en communauté, et avec Jésus-Christ en tant qu’homme. Il s’y pose la question de qui est Dieu, à qui s’adresse-t-on ?

Tout ceci s’inscrit dans une histoire.

1.    « Le matin, bien avant le jour, Jésus se leva. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. » (Marc 1, 35) Si Jésus se retire pour prier, à nous aussi de le faire. Michel del Castillo insiste sur le caractère à jamais inachevé de la création, toujours à accomplir dans la résurrection. 

 2.    Qu’est-ce que prier ?

L’étymologie de ce verbe nous apprend qu’il vient du latin precare : parler.

C’est une parole qui n’est ni définitive, ni discursive.

C’est une parole ouverte, altérée, pas catégorique ; parole qui suscite quelque chose d’autre, de l’autre.

C’est une parole autorisante – mais une encyclique n’est pas une prière !

C’est une parole qui laisse place au doute, mais n’amène pas de peur.

C’est une parole poétique. Elle ne montre, ni ne démontre. Elle crée, fait naître, donne sens.

C’est une parole naissance, source, qui cherche, hésite et parfois touche.

Alors, est-elle différente du poème ?

Oui, car le poème est centré sur le je, alors que dans la prière, c’est Tu, toi d’office au centre.

Il n’y a pas de prière qui ne soit organiquement dialogique – la prière est dialogue, elle s’adresse à, ce n’est pas un monologue intérieur. Elle n’est donc pas absolue, déliée de tout : c’est une parole relationnelle (Gesché), communicante. Il y a tu, il y a je, et entre les deux quelques paroles. Cela sonne du genre « le Verbe fait chair ».

3.    Seul un homme précaire est capable de prier

Un homme qui sait qu’il n’est pas tout à lui tout seul.

Le priant est convaincu que la plénitude ne fait pas le bonheur.

C’est un chercheur, qui veut comprendre et compatir. Il ne s’arrête pas, il marche ; c’est un nomade.

Il ne s’entoure pas de richesses, il les emporte avec lui. Il fait des choix.

L’homme qui prie a quelque chose à apprendre des autres, il nous réveille de notre torpeur.

Il n’impose rien, mais il s’expose : « tu as ce que je cherche ». Il s’expose au refus. Montrant ce qu’il désire, il s’expose à recevoir des coups. Ou de l’émerveillement : me demandant à moi, il me révèle qui je suis : c’est un révélateur, un catalyseur.


4.     La prière d’action de grâce est d’une importance cruciale

L’homme de prière sait qu’il n’est pas tout, qu’il n’est pas sa propre origine.

Sa vie, il l’a reçue et la reçoit toujours. Il sait qu’il est en désir, en dette. Et cette dette, ce n’est pas lui qui l’a creusée. Il n’a rien demandé, c’est à quelqu’un d’autre qu’il doit d’être là, quelqu’un pour qui sa vie a du sens, qui attend de lui quelque chose.

Le désir, c’est le signe d’une dette partagée, transcendée, dépassée, un signe de pardon.

Il est comme celui qui répond au mot posé avant lui. Il y a là une invitation à prier sans cesse.

Prier, c’est créer des conditions d’accueil, de réceptivité, d’ouverture. Ce désir n’a rien d’infantile.

L’homme de prière est un homme de parole. Il est à distance et n’en finit pas de s’approcher.

La prière d’action de grâce la plus éminente est la prière de demande. On ne risque de requête qu’à qui pourra y répondre.

Ce qui honore Dieu quand on lui demande, c’est la demande de l’Esprit.

C’est la force du matin propre à Dieu, qui fait que oui est oui, et non est non.

C’est ce qui nous fait crier "Père", nous fait ressembler à Lui, nous justifie de lui faire demande dans le Notre Père :

- Que ton règne vienne. Quel règne ? De paix, de justice et développement.

Où le loup habitera avec l’agneau (Isaïe), où on recevra la terre en héritage, etc. (Béatitudes).

Un règne sans hiérarchie, d’amis, frères et sœurs, où la foi et la confiance auraient remplacé la loi.

- Que ta volonté soit faite. Quelle volonté ? Celle du consentement.

Non pas ma volonté, mais celle d’un autre, une volonté de salut, c’est-à-dire de libération.

Libération des idoles, des aliénations, des séductions, des sidérations de ce qui dénature le désir.

Libération des oppressions, des injustices,

des regards obtus, des curiosités qui ne soignent rien,

des visières qui ôtent la possibilité de voir plus loin,

du destin, du regard en arrière, de s’en remettre aux évidences.

- Que ton nom soit sanctifié. Quel nom ? C’est un nom qui n’est pas un nom, enfermant. Il suscite l’interrogation, l’étonnement. Ce n’est jamais on, toujours je ou tu, bref, un nom vrai.

« Qu’est-ce que la vérité ? » demandait Pilate. S’il avait écouté, il aurait entendu « Je suis le chemin, la vérité et la vie » : une instance d’avenir, d’ouverture, d’imprévu.

C’est un nom qui bouge, nomade, qui se cherche, qui ne tient jamais en une formule. Il est imprononçable, ce nom sur lequel on bute toujours un peu.

C’est un nom éclaté, lumineux.

5.     Prier sans cesse

Mais il y a un temps pour chaque chose. Toute la vie peut être mise sous l’éclairage de la prière, mais prier, c’est autre chose aussi, une effraction dans la vie quotidienne, autre chose que la vie qui va.

C’est chercher l’invisible, circonscrire un espace d’intermonde, d’interface, de communication, de pardon (dans le sens non-culpabilisant de me reconnaître précaire, de parier sur l’avenir), de confiance, de tout ce qui fait espérer et aimer.

Il n’y a pas de professionnels de la prière ! L’oraison des moines ne nous dispense pas de prier, nous.

On ne prie pas à la place de qui que ce soit.

Adorer, c’est important, même si c’est ringard. C’est y mettre de l’insistance : il s’agit de cette personne-là. Aimer passionnément.

Comment être disséminé, distrait, sans rapport avec qui on aime ? On est prêt à prendre du temps, à consentir à faire passer sa vie avant la mienne propre.

C’est un cadeau de me demander tout et plus encore.

6.    Veiller et prier

C’est un binôme insécable. Prier c’est veiller. On ne prie pas endormi, mais toujours sur le qui-vive, dans l’espérance : le pire est derrière nous, le meilleur à venir.

Il importe de veiller, d’être attentif, de ne pas être embobiné par des statistiques, de la propagande…

La vérité est devant comme un projet. Il ne faut pas de regrets ni de remords.

C’est pourquoi il faut veiller et prier pour ne pas se tromper d’objectif.

Il s’agit d’être veilleurs, éveillés et éveilleurs – exister et faire exister, être debout et mettre debout.

Et ainsi voir plus loin, au-delà des évidences, dans l’espace propre de la religion : les reliances.

7.     « Quand tu pries, n’imite pas les hypocrites, va dans ta chambre, ferme ta porte »

La prière est pudique, elle rime avec secret.

C’est un temps critique, un espace où l’on confronte son action à celle qui nous sert de modèle comme chrétien. Il s’agit d’écouter les résonnances d’un récit qui nous dit ce qu’est vivre, moyen dont je dispose pour orienter ma vie.

La prière se situe dans le sens du jeûne, en vue de l’aumône, la mesure, la maîtrise, la modération.

Elle me laissera assez d’énergie pour que personne ne manque d’essentiel : de pain, considération, amitié, langue, avenir. L’homme a besoin des autres.

8.    Prier, c’est aussi une affaire de position

Écouter, parler, et se tenir d’une certaine manière.

La tradition privilégie la position debout, à hauteur d’homme, prêt à prendre la route.

Jean-François prie souvent en marchant ; il s’ouvre à de nouveaux horizons. On n’est pas un propriétaire.

L’homme qui prie ne possède pas, il se détache.

9.    Jean-François évoque ses difficultés face à la prière communautaire

Chanter, c’est prier deux fois, mais il est gêné qu’on chante trop ! Est-ce toujours chantable ? On empêche d’écouter ce qui se dit dans le silence. De même avec les discours verbeux.

Quand on est ensemble, on se force à des attitudes, à des rites qui divertissent plus qu’ils ne concentrent.

Michel del Castillo critique la parade de la foi collective et lui préfère l’écoute des autres.

10. Tout ce qui précède n’a fait que décrire l’eucharistie

Le pardon, la bénédiction, le partage autour des textes, la demande, l’action de grâce, la communion, l’envoi pour faire ce qu’on dit là où on est.

Werner Lambersy note : « Je ne sais pas prier. Je mets de la place à l’intérieur, je range mes petites affaires, et quelqu’un vient qui ne dit rien ».

Prier, c’est discerner, c’est un travail de vigilance. Mais prier, c’est une parole de reconnaissance au double sens du terme : c’est une déclaration d’amour.

Jean-François GRÉGOIRE

Notes retranscrites par Jacqueline DE CAT



Jacqueline De Cat - Hansen (Communautés de Base)

Notes :
[1]  Voir l’hommage de Martin Buysse dans notre bulletin précédent ;  http://www.paves-reseau.be/revue.php?id=1803. Depuis lors, les éditions du Pairy ont réédité le livre de Jean-François Grégoire, Croire. À l’ombre des évangiles, qui date de 2019. A commander par paiement préalable de 19 € (15 € + port) au compte de l’éditeur BE49 2100 4862 8071 en mentionnant « Croire JFG ».


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