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L'adoption par des couples homosexuels

Et si c'était une chance ?

Michel Elias
Alain Fohal
Publié dans Bulletin Pavés n°5 (12/2005)

Pendant des millénaires les gens ont mis des enfants au monde sans trop se poser de questions sur leurs responsabilités, leurs capacités éducatives ou le droit des enfants à naître. Beaucoup ne savaient même pas très bien comment «on faisait» les enfants. Ils vous venaient, on les prenait ou on les abandonnait, on les éduquait bien ou mal selon les cas.

Au XXe siècle, avec l’arrivée de la contraception conjuguée à une révolution culturelle, le rapport au corps s’est modifié. Les femmes et les hommes deviennent responsables, bon gré mal gré, de la décision de mettre un enfant au monde et de l’éduquer. L’enfant cesse de «survenir» dans ma vie, il devient le fruit de ma décision, de mon désir d’enfant. Décider d’avoir un enfant est une responsabilité aussi nouvelle que lourde. Serai-je un bon parent ? Notre couple, notre famille est-elle en état de donner à cet enfant qui va venir tout ce dont il aura besoin ?

Il serait présomptueux de croire que nous, homosexuels, savons mieux que les autres ce qui est bien ou pas pour l’enfant. La question de l’adoption par les couples de même sexe est une question grave qui mérite débat. Il est sain de faire le tour de la question, que la controverse ne soit pas escamotée, que les points de vue soient entendus le plus largement possible dans un climat serein et d’écoute mutuelle.

Soucieux d’un débat approfondi, le Conseil Interdiocésain des Laïcs a identifié des questions à 3 niveaux : les principes (homosexualité et famille), l'éthique (droits de l'enfant et droits des agents de l'adoption) et le juridique (droits des adoptants). Nous nous bornerons ici à quelques réflexions sur les droits de l’enfant.

Les droits de l’enfant

Le fait est là: des homosexuels hommes et femmes élèvent déjà des enfants. Il convient de donner à ces enfants élevés dans des familles homoparentales les mêmes droits qu’à ceux de familles «traditionnelles». La proposition de répondre à cette nécessité par la création d’un droit spécifique appelé «parenté sociale» crée une situation de discrimination, les enfants «homoparentaux» relevant d’un droit égal «pas tout à fait le même». Cette différence de statut entre enfants ne s’apparente-elle pas à de l’homophobie ? Des opposants à l’adoption avancent l’argument qu’on n’aurait pas le droit d’imposer des «problèmes supplémentaires» aux enfants. C’est en effet déjà difficile d’élever des enfants dans un couple «normal» ; que serait-ce alors dans un couple où il y a deux papas ou deux mamans ? Bonjour les dégâts !, on voit arriver les problèmes identitaires, de développement psychique,…! En poussant cette logique jusqu’à l’absurde, ne devrait-on pas alors interdire l’adoption aux personnes de couleur, aux parents obèses,...?

Nous ne tirerons pas argument des études montrant qu’il n’y a pas de problème, ni des pratiques séculaires qui consistaient à confier les bébés abandonnés à des monastères (on se demande comment se développait le psychisme des chérubins dans ces univers à la sexualité niée), ni même de tant d’enfants élevés, de tout temps, par des mamans seules ou des grands papys, et qui n’ont pas manqué cependant de trouver dans leur entourage les référents sexuels masculins et féminins. Les gays et les lesbiennes vivent dans le monde «normal» avec des femmes et des hommes très proches d’eux qui partagent leur existence.

Dans les faits, le modèle traditionnel «papa, maman et moi» est en perte de vitesse. De nombreux enfants sont élevés de nos jours par des familles monoparentales ou recomposées. Ils apprennent à se construire au travers des fluctuations relationnelles de leurs géniteurs. Ils ont ainsi parfois deux ou trois papas ou deux ou trois mamans, et plus encore de papys et mamys, d’oncles et de tantes… Et finalement, c’est peut-être une bonne chose !

L’argument que nous voudrions faire entendre est celui qui vient de notre propre témoignage de vie. Nous sommes des gays et des lesbiennes, mais nous avons été des enfants et nous avons vécu la vie d’enfants homosexuels. Nous nous souvenons de ce que cela a été comme souffrance, comme calvaire parfois, d’être élevés dans des familles et des univers sociaux où n’existait aucune référence positive à l’homosexualité, où les seules images qu’on nous proposait de nous-mêmes étaient des caricatures et des insultes. On dit que les temps ont changé, que la société a évolué, qu’aujourd’hui les homosexuels ont des droits. Certains pensent même que nous en avons trop, que nous sommes un puissant lobby ! Sait-on que le taux de suicide chez les adolescents homosexuels en France est 13 fois supérieur à celui des ados hétéros ? Sait-on aussi que ceux qui ont raté leur suicide ont expliqué que le plus insupportable pour eux n’était pas tant leur homosexualité, mais le sentiment de totale solitude et l’homophobie ambiante, souvent familiale ?

Nous pensons qu’être élevés dans des familles où circulent des modèles ouverts est un droit pour les enfants et qu’il est gravement dommageable qu’un enfant sur dix (il paraît qu’on est 10% sur terre !) soit privé de modèles positifs d’identification. Rencontrer à la crèche, à l’école, dans la vie quotidienne des petits garçons et des petites filles élevés par deux papas ou deux mamans, c’est pour beaucoup d’enfants une condition pour se sentir normal. Plus encore si ces familles sont vraiment acceptées et socialement reconnues par le droit comme des familles normales à part entière. Le mariage et l’adoption par des personnes de même sexe est un signal social fort de la «différence réellement acceptée».

L’enfant n’est pas un objet sur un marché

Deux arguments à l’encontre de l’adoption sont particulièrement nauséabonds. L’argument des «pays d’origine» pourvoyeurs des enfants étrangers adoptables dans notre pays est une atteinte à l’universalité des droits humains. Ces pays n’acceptent pas l’homosexualité et s’ils s’aperçoivent que la Belgique la tolère, ils ne nous enverront plus d’enfants. La morale doit-elle donc être: soyons homophobes et en récompense nous continuerons à recevoir des enfants ?

Pire encore est l’argument de la concurrence intolérable que représenteraient les adoptants homos alors qu’aujourd’hui déjà il n’y a pas assez d’enfants adoptables pour les couples normaux. Cet argument de pénurie sur le «marché» de l’adoption est déconcertant ! Qui a dit qu’il ne fallait pas confondre droit de l’enfant et droit à l’enfant ?

L’Église

Il y aurait encore beaucoup à dire, notamment sur les arguments développés par l’Eglise catholique. Constatons simplement que ce que disent les autorités ecclésiastiques de la sexualité semble frappé de non-pertinence sociale tant, sur ce chapitre, nos contemporains catholiques ont manifestement décidé de vivre leur vie sans écouter leurs éminents pasteurs. Regrettons toutefois cette difficulté de la hiérarchie à rejoindre les réalités vécues, notamment par les chrétiens homosexuels.

Michel Elias (Communauté du Christ Libérateur)
Alain Fohal (Communautés de Base - )


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