Un cri d’alarme
Paul Mayence
Publié dans Bulletin PAVÉS n°71 (6/2022)
C'est l'événement "scandale" par excellence. Beaucoup d'entre nous connaissaient et appréciaient le Père Bruno Delavie (décédé en 2018) et les "matinées de formation" que son équipe continuait d'organiser le samedi à Cour-sur-Heure. La décision autoritaire du nouveau curé d'interdire ces rencontres et la liberté liturgique qui les accompagnait, sans dialogue ni concertation, nous a paru assez grave pour mériter ce cri d'alarme.
Pendant plusieurs années Bruno Delavie OP a accompagné un groupe de chrétiens désireux de vivre autrement leur appartenance à l’Église. Tant au niveau liturgique qu’au niveau ecclésiologie, ces chrétiens ont fait confiance au point de vue de Bruno. Ils venaient d’un peu partout de la région de Charleroi et remplissaient souvent la petite église de Cour-sur-Heure.
Ils assuraient des célébrations liturgiques ouvertes, participatives et pleines de sens dans un langage qui n’avait plus rien de conventionnel. Avec Bruno, ils organisaient des conférences le samedi où ils invitaient des personnalités hors du commun branchées sur les vrais problèmes de société d’aujourd’hui.
Bruno prenant de l’âge, je me souviens avoir demandé à un des acteurs principaux de cette communauté enthousiaste et créative ce qui se passera lorsque Bruno ne sera plus là. Il me répondit « Tout est prévu, on continuera ».
Bruno est décédé en 2018. La communauté a continué à célébrer et à organiser des conférences. Tout semblait pouvoir bien se passer. Mais en 2022, le même acteur qui m’avait dit que, après le départ de Bruno, ils comptaient bien continuer m’informa qu’un certain ralentissement décourageait l’un ou l’autre. La communauté était âgée et quelques départs l’ont un peu fragilisée
Ils avaient été rejoints par Jean-Marie Georgery, prêtre pensionné. Jean Marie les a accompagnés. Il a pris une part active, sans problème, dans la façon de vivre les célébrations de la communauté.
Et voilà que le 19 mai dernier, je reçois un courriel de mon interlocuteur habituel.
Je vous joins ci-dessous :
19 mai
Cher Paul,
Nos activités, célébrations et conférences, à Cour-sur-Heure sont arrêtées brutalement avec l’arrivée de deux nouveaux prêtres quadragénaires plutôt conservateurs et trop heureux de casser ce que Bruno aurait pu laisser.
Et même notre évêque se réjouit du renouveau qui s’installe dans nos paroisses et s’en donne à cœur joie sur le site de l’U.P. : « Nous ne sommes pas là pour renforcer un club qui essaie de survivre » (Guy Harpigny). Suite à cela, plus personne de notre communauté ne souhaite continuer quoi que ce soit dans l’U.P. C’est le moment de la réflexion.
Jean-Marie Georgery a été prié de ne plus célébrer à Cour-sur-Heure. Nos libertés liturgiques auxquelles il participe grandement et ses prières eucharistiques non conventionnelles nous plongeraient dans le péché !
C’est peut-être le temps d’un rapprochement avec la communauté de Gosselies. Qu’en penses-tu ?
Amitiés,
P.S. : ci-dessous la communication qui nous a été adressée sans la moindre concertation, et le refus de toute négociation. Pourtant, il y a quelques semaines, nous avions reçu le feu vert pour reprendre les conférences du samedi matin et poursuivre nos célébrations.
***
8 mai 2022
Je vous ai annoncé le début de ma mission à Cour-sur-Heure comme prêtre référent des clochers de l’entité communale Ham-sur Heure Nalinnes.
Je vivrai cette mission en étroite collaboration avec M. le chanoine doyen Philippe Pêtre qui est le premier responsable de la pastorale après notre Évêque de Tournai ainsi qu'avec l’abbé Naveau qui est le vicaire résident dans la commune de Cour sur Heure.
Les deux idées maîtresses de ma mission pastorale dans votre clocher seront: "d'annoncer la vérité dans la charité » et de s’entraider pour vivre « la communion au sein de l’Église catholique » afin que nos célébrations soient des moments d’accueil et d’ouverture à tous, selon l’enseignement de cette même Église.
Comme je vous l'ai annoncé, je célébrerai chaque samedi la messe anticipée dans le clocher, la première étant le samedi 14 mai 2022 à 18h. L’abbé Naveau m’aidera dans cette tâche .
Afin de vivre cette mission sacerdotale dans une ambiance fraternelle et charitable tout en respectant ma responsabilité envers la hiérarchie de notre Église catholique quelques normes seront à établir :
-A partir de la date du 14 mai 2022, aucune célébration liturgique ou aucun événement d'aucun genre (répétition, conférence, prière, projection, récital, exposition...) ne doit avoir lieu dans l’église ou en son nom sans ma connaissance et ma permission ou celles de mes supérieurs. (Le doyen, l’évêque ou ceux qu’ils délèguent).
- Tous les cinq prêtres nommés dans l’unité pastorale Sambre et Heure pourront officier dans l’église (selon un programme établi par le doyen). L’abbé Naveau nous informera des messes de semaine célébrées en la présence d’une assemblée. Tout autre prêtre devra prendre ma permission ou celle de mes supérieurs. (J'ai déjà remercié au nom du doyen l'abbé Jean Marie georgery à la fin de sa mission à Cour sur Heure)
- Aucun laïc n’a le droit d’ouvrir le tabernacle, distribuer le Saint-Sacrement sans ma permission ou celle de mes supérieurs.
À ne pas oublier : toute célébration catholique de tout genre dans le territoire géographique de l’unité pastorale ne peut être célébrée sans la permission du doyen ou de ses supérieurs.
- Aucune annonce ne doit être publiée sur le panneau de l'église sans ma permission (à l’exception des annonces de l’unité pastorale et du diocèse- évêché).
- Les horaires de l’ouverture de l'église pour les visites et les moments de prières personnelles seront discutés ultérieurement avec les personnes concernées.
L’aménagement du lieu de célébration :
-Afin qu’on puisse célébrer pratiquement et correctement une messe catholique : un autel ou une table d’au moins 100 cm de hauteur est requise . L’autel sera couvert par une nappe avec deux cierges. Tout arrangement floral sera mis à proximité. Du linge d’autel propre et plié selon les usages liturgiques sera requis.
- Un siège de présidence sera placé à gauche de l’autel pour y dégager le centre à l’autel et à la croix.
- Un ambon pour les lectures de l’Ancien et le Nouveau Testament sera placé à droite de l’autel et à distance de celui-ci (couvert d’un voile de lutrin si possible)
- Pour la disposition des sièges de l’assemblée je vous laisse la liberté de choisir.
- Nous veillerons à la propreté, l'ordre et la beauté de l'église et de la sacristie avec les personnes concernées.
Pour le déroulement de la célébration liturgique, un cadre général est obligatoire dans l’Église catholique. N'empêche, beaucoup de détails pourront être discutés dans une ambiance de dialogue loin des préférences personnelles et des goûts particuliers :
- Tout chant chrétien catholique sera admis tant qu’il est en lien avec les lectures et qu’il est à sa place dans la liturgie.
- L’acte pénitentiel sera à choisir parmi les suggestions ainsi que la mélodie du Gloria.
- Les trois lectures proposées par l’église seront exigées sans discussion (Ancien testament ou actes des apôtres, psaume avec son refrain, évangile avec l’acclamation de l’alléluia).
- Les modalités de l’homélie peuvent être discutées. (L’introduction et la conclusion seront réservés au célébrant).
- Pour le credo : je laisse le choix entre le symbole des apôtres et celui de Nicée-Constantinople.
- Les modalités de la prière universelle peuvent être discutées tant que les intentions restent universelles en communion avec toute l’Église et le monde.
- Des idées pour les offrandes sont discutables.
- Je laisse la liberté de choisir une des préfaces proposées pour un temps liturgique donné dans le nouveau missel romain.
- Je laisse la liberté de choisir une des quatre prières eucharistiques complètes (du sanctus ou de la préface à la fin de la prière).
- L’introduction de Notre Père et les modalités de sa prière (chanté ou récité) peuvent être discutées.
- La manière de vivre le geste de paix peut être discutée.
- La messe sera célébrée dans un calice, une patène et un ciboire faits d’une matière incassable comme l’exige les normes liturgiques (ni en verre ou en Cristal ou en terre…)
- Les modalités de communion peuvent être discutées en respectant les usages de la conférence des évêques locale et dans le respect des gestes barrière s’ils existent.
- Les modalités de la prière d’action de grâce peuvent être discutées.
- La messe sera clôturée par une bénédiction donnée par le prêtre et un chant d'envoi.
Comme je vous l'ai exprimé, mon souci est celui de mes supérieurs: c’est d’être en communion avec l’Église et son cadre liturgique en essayant au mieux et selon le pouvoir limité que j’ai comme prêtre de faire vivre l'eucharistie à l’assemblé. Je suis confiant que puisque le Christ est le centre de votre communauté paroissiale ces exigences communes à toutes les paroisses de l’Église catholique dans le monde seront un moyen de joie à chacun de vous et un chemin pour être en communion avec tous.
N'oublions pas que le Christ nous appelle "sans avoir peur" à passer vers l'autre rive. Que l'Esprit-Saint soit alors le garant de notre discernement toujours à la lumière de l'Écriture et de la Tradition de notre chère Eglise universelle.
Votre Frère Karim,
Prêtre dans l'Unité Pastorale Sambre et Heure, du Diocèse de Tournai.
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Le samedi 21 mai, j’ai envoyé un courriel au Père Haddad dont voici copie :
Révérend Père, bonjour.
Par différents intermédiaires, j'ai eu connaissance du courrier que vous avez envoyé le 8 mai dernier aux paroissiens de Cour-sur-Heure.
Je tiens à vous dire toute ma déception concernant ce type de "gouvernance" dans notre Église.
C'est justement sur ce problème de gouvernance que le synode sur la synodalité sera invité à réfléchir à la demande de François, l'Évêque de Rome !
Votre courrier devrait être versé au dossier de ce prochain synode au titre de pièce à conviction.
J'ai très bien connu et apprécié Bruno Delavie OP et la vie communautaire qu'il avait pu mettre en place à Cour-sur-Heure.
Avec d'autres chrétiens, je me réjouissais qu'après le décès de Bruno une équipe de laïcs ait repris le flambeau avec, notamment pour la liturgie, l'aide de Jean Marie Georgery.
Fraternellement.
Paul Mayence sj, Foyer Marie Martine, 15 rue du Calvaire.
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Suite à cet événement et dans le contexte de la préparation du synode universel sur la gouvernance dans nos communautés chrétiennes, je pense qu’il est souhaitable de tirer la sonnette d’alarme.
Donnons de la publicité à cette façon de gouverner qui date d’un autre âge.
Le cléricalisme, hérité des siècles passés et si souvent dénoncé par François, l’évêque de Rome, est encore très présent dans la mentalité d’une bonne partie de chrétiens.
Une réflexion est entamée sur la synodalité de nos façons d’exercer toute responsabilité dans l’Église.
Puisse-t-elle aider notre Église à sortir de ses ornières mortifères et laisser grandir les germes qui annoncent une nouvelle façon de faire Église.
Paul Mayence (s.j.)