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Spiritualité et transcendance. Comment vivre la vieillesse

José Arregi
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J’ouvre ces réflexions par deux phrases bibliques et trois remarques introductives.

“La riche expérience est la couronne des anciens”, dit le sage Ben Sirak dans un livre écrit vers 160avant J.-C. (Si 25,6).

“Apprends-nous à compter nos jours afin que nous acquérions un cœur sage”, dit le Psaume 90 (Ps 90,12).

Trois remarques introductives à propos du titre : “Spiritualité et transcendance. Comment vivre la vieillesse”.

1) Comment vivre la vieillesse, dit le titre. C’est peut-être trop prétentieux. Je ne suis pas là pour donner des conseils ou des recettes sur la façon de vivre la vieillesse, condition d’un secteur social heureusement de plus en plus nombreux, secteur social dont je fais partie. Ce que je vous dis, je vous le dis donc humblement, connaissant bien la distance qui va des paroles aux actes, et, malgré tout, convaincu que la vieillesse peut être un âge de plénitude vitale, c’est-à-dire de liberté dans le détachement, de fécondité dans la perte. C’est ce à quoi nous aspirons, j’en suis sûr, chacun à notre manière.

2) C’est en cela, dans ce miracle du détachement, qui nous permet de nous ouvrir à une nouvelle plénitude au milieu de pertes croissantes, que consiste finalement ce qu’on appelle la “spiritualité”. “Spiritualité” est un terme très équivoque. Je le traduirais par “le bien vivre” ou “la vie avec profondeur” ou “avec de l’âme”, ou selon les mots du vieux sage Marià Corbí, la “qualité humaine profonde”.

3) Le titre dit aussi “Spiritualité et transcendance”. Un autre malentendu. L’OMS, dans son rapport 804 (Cancer pain relief and palliative care [Soulagement de la douleur liée au cancer et soins palliatifs] de 1990, après avoir affirmé que la spiritualité est une composante de la santé intégrale, la définit comme “les aspects de la vie humaine qui ont trait à des expériences qui transcendent les phénomènes sensoriels. Ce n’est pas la même chose que la religion”. Que la spiritualité ne soit pas la même chose que la religion me semble indiscutable, mais qu’elle ait à voir avec des expériences qui transcendent les phénomènes sensoriels ne me semble pas aussi clair. L’expérience spirituelle ne se produit pas en dehors des sens, mais dans les sens et grâce aux sens, comme l’affection amoureuse ou l’émotion esthétique. La transcendance ne fait pas référence à un monde supérieur supposé au-delà de l’univers, ni à une entité suprême ou une divinité, ni à une vie au-delà de cette vie après la mort. La transcendance est la profondeur sans fond de tout ce qui est, le souffle vital qui nous anime dans cette vie et au-delà du passage, du transit, que nous appelons la mort.

Je vais maintenant souligner quelques traits de cette transcendance dans l’immanence, de cette profonde sagesse vitale, traits qui peuvent être en quelque sorte plus caractéristiques et spécifiques de la vieillesse.

1.  Temps de croître, temps de décroître

La vieillesse est une période de décroissance ou, plutôt, de croissance par décroissance.

Parmi les nombreux paradoxes qui nous constituent, nous trouvons celui-ci : personne ne veut mourir jeune (sauf quelques jeunes, trop nombreux, qui veulent mais ne peuvent malheureusement pas vivre), mais personne – disons-le ainsi – ne veut être vieux. Pas facile de s’en sortir. L’un des grands défis d’aujourd’hui est l’apprentissage de la vieillesse : l’acceptation des pertes et la jouissance des atouts de la vieillesse. L’indéniable fardeau et l’indéniable bénédiction d’être vieux. Accepter que nous sommes vieux et apprendre à être vieux.

Il y a un peu plus de 2 200 ans, un sage juif a écrit un livret de 10 pages connu sous le nom de Qohelet. Il dit par exemple : “Chaque chose a son temps, et chaque chose a sa saison sous le ciel : Temps de naître et temps de mourir (…), temps de détruire et temps de construire (…), temps de pleurer et temps de danser, temps de chercher et temps de perdre, temps de garder et temps de rejeter (…), temps de se taire et temps de parler” (Qoh 3,1-8). Et nous pourrions continuer à dire : temps de croître et temps de décroître, temps de gagner et temps de perdre, temps d’acquérir et temps de se dépouiller, temps de s’efforcer et temps de se reposer, temps d’apprendre et temps d’oublier, temps de prendre soin et temps de se laisser prendre en charge, temps de pouvoir et temps de ne pas pouvoir….

Tous ces temps de l’un et de l’autre – contradictions apparentes – sont propres à chaque âge, mais la vieillesse est plus particulièrement le temps de la perte, du repos, du lâcher prise, de l’abandon. L’apprentissage essentiel de la vie, à tous les âges de la vie, devient radical dans la vieillesse. Et la racine et le radical, le plus radical, de la vie, la source du plus grand bien, c’est d’apprendre à perdre, à décroître. Ce n’est qu’en décroissant que nous pouvons croître en profondeur, croître vers le bas. Ce n’est qu’en apprenant à perdre que nous pouvons être plus pleinement et librement, sans nous accrocher à une forme ou à une possession. C’est la grande exigence et la grande chance de la vieillesse : vivre de plus en plus avec de moins en moins. Nous sommes vieux, mais il est temps de vivre. C’est le moment de perdre – de perdre la force, le pouvoir, la proéminence, la santé – oui, mais savoir perdre fait partie du savoir vivre plus à fond.

La vieillesse est le moment de vivre plus à fond, plus pleinement, plus détaché et plus libre, plus serein et réconcilié. Pour toutes ces raisons, la vieillesse est, ou devrait être, l’âge privilégié pour vivre la spiritualité, c’est-à-dire l’acceptation paisible de la perte et de la décroissance.

C’est le grand défi personnel pour ceux d’entre nous qui sont déjà vieux. Mais savoir décroître pour être plus est l’un des grands défis auxquels la société est confrontée au niveau local et mondial. Apprendre la sagesse de vivre mieux avec moins, et de partager ce que nous avons, est un défi culturel, politique, économique et écologique. Il s’agit au fond d’un défi spirituel. C’est aussi un défi majeur que d’offrir aux personnes âgées les moyens de vivre plus pleinement en décroissant de plus en plus. Nous, les personnes âgées, ne vivons pas seulement de pain et de confort.

2.  Temps de libération

Dans l’hindouisme traditionnel, il est enseigné que la vie d’un être humain comporte quatre étapes, appelées ashrama. Je vous les présente avec une certaine liberté :

1) La première étape comprend les 20 premières années : au cours de celles-ci, l’enfant naît et grandit, devient jeune, se développe, acquiert des capacités ; en tant que jeune apprenti célibataire (Brahmacharya), il se prépare au voyage court et complexe de la vie.

2) La deuxième étape se situe entre 20 et 40 ans : le jeune adulte forme un couple, élève une famille ou crée une société, travaille et s’investit, participe pleinement à la vie sociale, est occupé, est un protagoniste, est un Grihastha qui vit occupé par mille corvées et responsabilités.

3) A 40 ans – c’était à l’époque… – il est déjà libéré des charges de la famille et de la société, et peut passer à la troisième étape, jusqu’à 60 ans : pour cela, il se retire, devient ermite (Vanaprastha), se tait, voyage vers l’intérieur, dans les profondeurs de lui-même et de tout, ne faisant qu’un avec le Mystère et la Présence et le Tout dans chaque partie, au-delà de toutes les catégories d’intériorité-extériorité.

4) Enfin, à partir de 60 ans, il peut accéder à la liberté ultime dont il est capable, il se libère de ses aspirations, de ses succès ou de ses échecs, de la servitude du moi et de tous les autres liens, il abandonne tout – maison, famille, possessions – et devient un renonçant (Sannyasi), un vagabond errant, sans toit ni lieu à lui ; au détour d’un chemin, la mort le surprendra, mais elle le trouvera sans rien en propre et uni à tout, de sorte que rien ne pourra le vaincre, la mort ne sera pour lui que son passage vers l’être plénier sans forme ou vers la Vie qui ne naît ni ne meurt.

Il n’est pas dans mon intention de vous présenter comme un modèle valable et applicable aujourd’hui ces quatre étapes qui, soit dit en passant, se référaient à l’origine aux hommes de la caste des brahmanes, de sorte que la majorité de la population n’avait même pas la possibilité de passer par les quatre étapes et de devenir libre. Quel jeune aujourd’hui peut, à l’âge de 20 ans, avoir un travail décent, une maison correcte, atteindre l’autonomie économique, former un couple, créer une famille s’il le souhaite ? Quel adulte est libre de ses fardeaux à l’âge de 40 ans ou se consacre à la contemplation à 60 ans ?

Il est impensable d’appliquer le modèle idéal de la tradition hindoue, et je ne sais même pas si c’est souhaitable. Mais le défi est là, tout comme les questions sur notre civilisation. Le monde a beaucoup changé au cours des deux derniers millénaires, et regardez ce qui a changé au cours des 200 dernières années seulement, depuis le début de la révolution industrielle jusqu’à l’ère post-industrielle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Beaucoup de choses ont changé en bien, mais il est loin d’être certain que le bilan global de l’évolution s’avère positif pour la vie ordinaire : des jeunes de 20 à 40 ans en masse, mieux formés que jamais, se retrouvent exclus de la société, sans emploi décent ni logement à eux; les équilibres de la planète, communauté des vivants, craquent. Où va notre espèce Homo Sapiens, si étonnamment capable et si terriblement contradictoire, car ce qui lui permet de faire plus de bien que jamais auparavant sert aussi à provoquer des blessures et des malheurs personnels et planétaires ?

Nous avons besoin de la sagesse de l’Orient et de l’Occident. La sagesse d’un authentique progrès humain libérateur. A quoi bon le progrès sans la libération ?

La spiritualité est une question de libération personnelle et politique, et cela s’applique à tous les âges de la vie. Mais je reviens à la sagesse traditionnelle hindoue, à la substance de son enseignement au-delà du détail littéral. Son intuition de base s’applique à nous aujourd’hui comme à l’époque : la vieillesse comme un moment de libération radicale difficile mais nécessaire et possible. C’est vrai hier comme aujourd’hui.

Il arrive un âge – je souhaite qu’il arrive pour tout le monde – où nous sommes libérés de nombreuses charges familiales et sociales, de la compétitivité, des responsabilités professionnelles, du protagonisme stressant, des plans et des projets d’avenir. Bien sûr, une fois libérés de ces fardeaux – dans le meilleur des cas – d’autres viennent : problèmes de santé, perte de force, marginalité sociale, solitude, mort prochaine… C’est le temps de la grande libération, le temps d’être libre de tout et de soi-même, le temps de renoncer aux projets, aux succès et aux profits, le temps d’apprendre à perdre ou, mieux encore, à être plus avec moins, à gagner en perdant. La maladie et la mort sont des attaches sévères et radicales que la vieillesse apporte avec elle, mais ceux qui accèdent à la racine de leur être en sont également libérés, rien ne peut les lier car ils n’ont rien.

Cela demande une vie entière de travail intérieur. La libération ne s’improvise pas dans la vieillesse. Mais une fois que nous aurons atteint la vieillesse, libérés de nombreux fardeaux, il ne serait pas mauvais que nous puissions nous consacrer un peu plus à ce voyage intérieur qui nous libère plus profondément.

3.  Temps de détachement

La libération profonde exige le détachement. Le détachement est le terme clé dans toutes les traditions de sagesse. Apprendre à vivre, c’est apprendre à se détacher des succès et des échecs, de ce qui a été réussi et de ce qui a échoué, des projets et des protagonismes, de ce qui a été gagné et de ce qui a été perdu. De son propre ego, en somme.

La Bhagavad Gita (3e siècle avant J.-C.) est l’un des textes qui résume le mieux la sagesse hindoue, et le plus populaire et le plus lu. La clé de la libération, de la paix et du bonheur, dit-elle, est le détachement. Nous lisons, par exemple, au chapitre II :

“Car l’action, ô Dhananjaya, est bien inférieure à l’action désintéressée ; réfugie-toi dans l’attitude de détachement. Malheureux sont ceux qui cherchent des fruits dans leurs actions (49).O Partha, lorsqu’un homme met de côté tous les désirs qui surgissent dans l’esprit et se console uniquement dans l’Atman, alors il est appelé l’homme de la sagesse stable (55). Celui qui n’est pas troublé par les peines et ne recherche pas les joies, celui qui est libre de l’attachement, de la peur et de la colère, celui-là est appelé l’ascète de la sagesse stable (56). Celui qui n’éprouve aucun attachement où que ce soit, qui ne se réjouit ni ne s’afflige que le bien ou le mal lui arrive, la sagesse d’un tel homme est stable (57)”.

Et au chapitre VI : “Car celui qui s’est vaincu lui-même et qui demeure dans un calme parfait, son être est à l’aise dans le froid et dans la chaleur, dans le plaisir et dans la douleur, dans l’honneur et dans le déshonneur (7). Le Yogi qui se satisfait de la sagesse et de la connaissance, stable comme un rocher, maître de ses sens, et pour qui une poignée de terre, une pierre ou de l’or sont identiques, il est en possession du Yoga (8). Il est supérieur celui qui considère comme égaux le bienfaiteur, l’ami et l’ennemi, l’étranger, l’indifférent et l’allié, ainsi que le saint et le pécheur (9). De même que la flamme d’une lampe ne vacille pas dans un endroit sans vent, de même le yogi, avec sa pensée contrôlée, cherche l’union avec l’Atman (19). Un tel état devrait être connu sous le nom de Yoga, la déconnexion de toute union avec la douleur. Il faut pratiquer ce Yoga avec une ferme résolution et une ferveur inépuisable (23)”.

Celui qui ne fait qu’un avec son véritable “moi”, son propre moi profond (ce qui signifie “Yoga” ou union), se détache ou se libère de son ego agité et malheureux, l’ego trompeur avec ses succès et ses échecs, ses ambitions et ses peurs, ses goûts et ses phobies. Et celui qui, se détachant de tout ce qu’il n’est pas en vérité, se concentre et s’unifie sur son véritable moi profond, est pleinement réalisé, est heureux. Jésus de Nazareth a dit la même chose avec une autre image : “Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie la sauvera” (Mt 16,25). Celui qui s’accroche à son ego perd son être ou sa vie. Celui qui se détache de son ego gagne son être ou sa vie. Pour apprendre à vivre, il faut apprendre à mourir.

C’est facile à dire, vous me direz, je le dis aussi. “Être heureux est très simple, la chose difficile est d’être simple”. Mais ce n’est pas une question de volonté de fer ou de poings. Il s’agit de relâcher notre ardeur, de laisser couler notre être, de laisser tout venir et partir, sans le rejeter ou le retenir, de laisser la souffrance nous visiter aussi souvent, seulement la souffrance inévitable, sans se soumettre ou se rebeller. La vieillesse est peut-être l’âge propice au détachement radical et, par conséquent, à la pleine réalisation de notre être. C’est l’âge où, comme le navire qui quitte le port, nous pouvons lever l’ancre et gagner la haute mer, car l’Océan est notre port.

4.  Temps de silence

Nous vivons dans le tourbillon du bruit. Les mots, les images, les affirmations, les messages, les informations nous inondent comme jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité. Nous en savons plus que jamais, mais nous sommes incapables de discerner et de traiter ce que nous voyons et entendons. Tout change sans cesse, sans nous laisser le temps de regarder ou de réfléchir. Nous vivons dans un état d’étourdissement. L’accélération croissante, la primauté de la production, la compétitivité de tous contre tous, le tourbillon universel – dont l’image la plus plastique peuvent être les réseaux sociaux, le trafic et la bourse – étouffent la vie de l’humanité et de la nature tout entière. Les bruits intérieurs et extérieurs nous noient.

La spiritualité, c’est le silence : non seulement et d’abord le silence physique, mais plus encore le silence du bruit émotionnel et mental. Et plus encore le profond silence de l’être, qui n’est pas un isolement, mais au contraire une profonde communion avec notre être profond, qui est aussi l’être profond de tous les êtres. Dans le silence de l’être, nous communiquons en profondeur, car c’est là que l’appel de notre prochain avec sa fragilité et sa beauté nous est révélé. Dans le silence, tous les êtres deviennent des voisins.

Je m’invite et je vous invite à nous plonger dans le silence. La vieillesse est un moment privilégié pour pratiquer le profond silence de l’être, malgré le tourbillon qui nous rattrape aussi. Nous pouvons prendre le temps de nous arrêter et de nous taire. Écouter la musique silencieuse qui émane de tout, dans la solitude de la chambre, dans les bruits de la rue ou en pleine campagne. Nous pouvons prendre le temps de nous débarrasser de notre hâte, de contempler calmement, de simplement regarder et aimer, peut-être en silence, les gens qui passent, ou de méditer ou de pratiquer l’attention silencieuse, ou de converser tranquillement, ou d’écouter de la musique, ou de déguster un fruit, un biscuit ou un café, ou de nous informer tranquillement sur ce qui se passe dans le monde avec ses mensonges et ses vérités.

C’est la spiritualité. Il ne s’agit pas de croyances, de temples et de prières, mais d’entrer par les sens au-delà des sens, dans ce silence originel, primordial et serein qui soutient tout ce qui est. Et la personne qui est aidée par une simple prière ou le silence d’un temple fera très bien de s’en servir. Mais d’autres pratiques peuvent aussi en aider d’autres à s’immerger dans le même silence profond du Soi nu ou dans la même communion universelle libératrice.

5.  Temps de répit et d’encouragement

Cela résume tout ce qui a été dit. La vieillesse est, devrait être et pourrait être une période de répit. Un temps de calme, de profonde tranquillité, de paix. Un temps de répit et de souffle. Mais en vieillissant, ne sommes-nous pas plus près de perdre notre souffle vital, d’arrêter de respirer pour de bon? Je dirais plutôt que nous sommes plus proches de notre respiration ne faisant qu’un avec la respiration universelle éternelle, plus proches de notre souffle vital fusionnant avec le Souffle Vital avec majuscule qui n’a ni début ni fin. Je regarde le cosmos infini et éternel soutenu par cette énergie mystérieuse, profonde et universelle, la respiration, le souffle vital. C’est de lui que nous naissons et en lui nous nous fondons comme la goutte d’eau dans la mer.

Et notez que Spiritualité (dérivé de esprit) et répit (comme inspirer et expirer) ont la même racine: sp, la même racine dont est également dérivé espace. Les linguistes affirment que la racine indo-européenne sp signifie précisément largeur, ampleur, espace.

Eh bien, c’est essentiellement ce qu’est la spiritualité : esprit ou énergie vitale, vaste espace vital. Ou respiration (inspirer et expirer, recevoir et donner le souffle vital). Nous avons tous besoin de respirer, aujourd’hui plus que jamais. Les religions (avec leurs credos, codes et cultes) ne sont pas essentielles, mais la respiration l’est. Lorsque la vie devient une pure compétition avec soi-même et avec les autres, lorsque nous vivons dans une course folle, lorsque les solides cadres religieux et culturels d’antan sont tombés et que les certitudes confortables ont été perdues, le besoin de respirer devient plus évident. Nous avons besoin de spiritualité, avec ou sans religion, mais au-delà de la religion.

Nous avons tous besoin de répit, de souffle vital. Et comme notre souffle devient plus court et plus étroit avec l’âge et que nous nous trouvons à nos dernières limites, nous, les personnes âgées, avons besoin de respirer plus que quiconque. La respiration profonde ou la paix profonde de notre être.

La vieillesse est un moment propice pour vivre en paix : avec notre passé, avec nos échecs, avec les blessures que nous avons subies et provoquées. En paix avec notre environnement familial, dans lequel il y a souvent beaucoup de conflits enracinés, de petites ou grandes rancunes, de ressentiments non guéris qu’il faut guérir pour vivre en paix. En paix avec le monde d’aujourd’hui, malgré ses drames et ses menaces. En paix avec la nature, dont nous nous comportons en ennemis.

Le Dao De Jing, texte de référence de la sagesse taoïste, attribué au légendaire sage Laozi, enseigne depuis plus de 2000 ans :

 La bonne personne n’aime pas se disputer,
celui qui aime se disputer n’est pas une bonne personne.

 Le sage n’est pas un érudit,
l’érudit n’est pas un sage.

Le sage ne thésaurise pas : plus il fait pour les autres, plus il possède ;
il est d’autant plus accompli qu’il donne davantage.

Voici la Voie du Ciel :
faire le bien et ne pas faire de mal.
Voici la Voie des sages :
faire ce qui doit se faire et ne pas entrer en compétition (ch. 81, fin du livre).


José Arregi - Espagne)

Notes :

(Conférence aux COURS D’ÉTÉ de l’Université du Pays Basque dans le cadre du cycle “ Sentido y espiritualidad. Abordar nuevas dimensiones en los paradigmas de la vejez  “ [Sens et spiritualité pour la vie. Aborder des nouvelles dimensions dans les paradigmes de la vieillesse”], au Palais Miramar, Donostia – San Sebastián, le 13 septembre 2021)

Traduit par Peio Ospital

Source : https://josearregi.com/fr/spiritualite-et-transcendance-comment-vivre-la-vieillesse/ 







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