Visite de la mission H.L.M. au Brésil à diverses communautés de base
Carnet de voyage
Edouard Mairlot
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues
La seconde partie de ce carnet est publiée sous http://paves-reseau.be/revue.php?id=2020
Brève relation de quelques rencontres que fit la mission H.L.M. au pays des Indes portugaises, appelé aussi Brésil, pour l'édification de ses lecteurs aux royaumes catholiques d'Europe.
Introduction
Quatre délégués d'H.L.M. avaient accepté de partir au Brésil pour participer au Congrès international des Prêtres mariés de Brasilia. Mais on ne traverse pas l'Atlantique et on ne va pas dans le Tiers-Monde le temps d'un simple congrès. Il y a tant de choses à voir, à découvrir, à apprendre. L'idée prit corps de rencontrer des communautés ecclésiales de base, et pour cela on contacta divers membres d'H.L.M. au Brésil. Un programme de rencontres et de brefs séjours fut mis sur pied, limitant du même coup nos appétits touristiques.
Ainsi a-t-on pu vivre à Salvador de Bahia dans une paroisse de milieu très pauvre de la banlieue et refaire la même expérience à Sao Paulo. Entretemps, un court voyage à l'intérieur nous révélait quelques traits du monde de la petite ville et de la campagne. Nous avons pu enfin visiter une favela de Rio de Janeiro avant de rejoindre Brasilia pour le Congrès.
Celte façon de faire devait nous préparer, pensions-nous, au Congrès où l'on parlerait des ministères du troisième millénaire. On a sans doute bien plus appris par ces visites qu'au Congrès lui-même. Ce qui a pu s'y dire de positif faisait pour nous référence à un vécu, des rencontres, des amitiés.
Bien vite, en cours de route, l'idée est venue de décrire brièvement ce que nous découvrions sur ces communautés de base. On en parlait ensemble, puis le scribe se trouvait un coin de table. On lisait ensuite son texte, le corrigeant, l'améliorant, ... et l'approuvant comme expérience du groupe.
Tel est l'objet de ce texte : décrire essayer de faire toucher du doigt. Il se veut discret, sans recherche d'écriture. Mais puissiez-vous y découvrir quelque chose de cette vie que nous avons pu approcher en vivant parmi ces communautés, qui nous a séduits et émus dans de grands moments de communion.
A. Une paroisse de Salvador de Bahia
1. Premières découvertesAvant même d'atterrir, les palmiers nous disent où nous sommes. À la sortie de l'aéroport, il fera déjà noir, or il n'est que 18 heures. Et 1'on se découvre accueilli par un Belge de Namur, Maurice Abel, le curé de "notre paroisse", celle de nos premières rencontres. L'accompagne une infirmière belge, Simone Debouck, chez qui nous allons vivre quelques jours. Pour beaucoup de choses, elle sera notre initiatrice[1]. Quelle qualité dans l'accueil !
On emprunte des routes à quatre bandes ; des buildings se dressent un peu partout. Puis on va monter dans les collines. La route se fait rue et se dégrade. Cela grouille de monde. Ils sont jeunes : les enfants abondent. Les petits marchands aussi. Tous pratiquement sont métis, de la peau la plus noire au visage clair, mais où les lèvres, les cheveux, témoignent de l'autre race. Nous sommes en périphérie de Salvador de Bahia, première capitale du Brésil, deux millions cinq cent mille habitants actuellement. On est frappé par ces microscopiques maisons sans étage implantées partout dans le plus grand désordre. De plusieurs dépassent vers le haut des fers à béton, constitutifs des piliers qui permettront la construction d'un premier étage, un jour, peut-être ...
Puis la route se fait chemin ; la pente s'accentue ; la pauvreté du lieu aussi. La puanteur des tas de détritus nous saisit. On est dans la partie la plus récente de la favela ... On est au cœur de la paroisse.
- Celle-ci compte 150 000 personnes, nous explique le curé. C'est un quartier de banlieue en plein développement. Oui, un certain nombre de maisons ont été construites sur des terres occupées. La pluie qui ravine les rues fait aussi s'ébouler le sol et des maisons sont emportées. Il y a eu vingt morts l'an dernier.
- Quand je suis arrivé en 1969, l'évêque avait créé une nouvelle paroisse qu'il confia à deux religieuses belges. Il y avait alors 500 personnes. Un prêtre devait les aider le week-end. Je fus celui-là. Il y a actuellement 39 communautés. Chacune a ses locaux, une grande salle pour les célébrations mais aussi les fêtes, et plusieurs lieux de réunion.
- Nous sommes maintenant quatre prêtres, deux sont brésiliens, le dernier venu est polonais. L'équipe paroissiale se complète de plusieurs religieuses, de quatre diacres, et d'une laïque, notre Simone. Un des prêtres brésiliens s'était autrefois tellement engagé dans les communautés que l'évêque d'alors – chose impossible actuellement – accepta de l'ordonner moyennant une formation alternative. Il était resté célibataire.
- L'évêque actuel est venu plusieurs fois ici. Il respecte et ne dit rien.
2. Où la mission H.L.M. participe à sa première célébrationTous les soirs, Le prêtre célèbre l'eucharistie dans une communauté. D'autres se réunissent. Nous voilà partis vers l'une d'elles. C'est une réunion de ses animateurs. Nous parlerons avec une douzaine de ceux-ci. Quelle chaleur dans l'accueil et quel désir de nous aider à comprendre !
- Que faites-vous pour les jeunes ?
- Nous essayons de les attirer à la communauté. Nous essayons qu'ils sortent de la "drogue" (sans doute, surtout d'un comportement asocial, non structuré, avec petits vols, une vie sexuelle très libre, ...). Nous les orientons toujours pour qu'ils aillent à l'école. .
Celui qui nous parle a 17 ans. Il a repris l'école et est en 3e primaire. Il est très engagé et porte une croix de Saint-François. Il sera des six présidents de la célébration. Il ''promet'' beaucoup ! Séminariste un jour ?
On est maintenant 60-80, avec beaucoup de jeunes. Nous entrons dans une célébration sans prêtre. Seul manquera le canon de l'eucharistie, le reste suivant le schéma traditionnel. Six hommes sont derrière l'autel. Normalement il devrait y avoir aussi des femmes. Les chants sont magnifiques, aux paroles toujours très engagées. Un grand tambour, une guitare électrique, un tambourin les accompagnent. On battra des mains plusieurs fois. L'homélie invite à l'engagement. Le président parle d'abondance du cœur et cela se tient. On sera frappé par la qualité de ce que diront les intervenants en fin de célébration.
Le lendemain soir, on assistera aussi à une réunion d'animateurs dans une autre communauté. Après la prière (textes et échanges), on y verra naître un cours de musique. On a déjà trouvé deux guitares (sur un minimum de quatre) et une batterie. Les animateurs viendront d'autres communautés.
On apprendra que le jour après notre passage deux adolescents ont été tués dans un
règlement de comptes dans ce même quartier.
Ces sorties, le soir, nous font toucher une spécificité du Brésil. On est passé devant
une sorte de chapelle
toute éclairée et pleine de gens (la porte était ouverte). Plus loin on chantait sur un ton religieux. Partout dans le pays, l'on trouve écrit très grand sur un bâtiment : "Église universelle du Règne de Dieu", aux méthodes très contestées, mais très puissantes. Elle possède deux chaînes de T V : redoutable. À l'arrivée, ce sont les Témoins de Jéhovah qui sortaient de leur assemblée. On en a vu de tous genres : Adventistes, Pentecôtistes, Spirites, ... sans parler du Candomble ou de l'Umbanda, aux racines africaines. Tant de Brésiliens, dit-on, sont catholiques le dimanche, puis tout autre chose un soir de semaine. Qu'est donc l'âme brésilienne ? Combien grand est son besoin de religion : de spiritualité ou d'évasion ? Évoquer la concurrence : tant de choses à creuser !
Le curé de la paroisse tenait manifestement beaucoup à ce que nous puissions échanger avec ces responsables. Nous rejoignons donc huit religieuses, trois prêtres, un diacre, une laïque, et nous nous présentons tels que nous sommes, prêtres mariés en route vers le congrès de Brasilia.
- Que considérez-vous comme prioritaire pour les années qui viennent ?
- Plus de formation pour les laïcs - et les religieuses - qu'ils soient plus aptes à prendre leurs responsabilités.
- Mais cela vaut-il la peine, alors que le nombre de prêtres ordonnés augmente. et que l'évêque achève de mettre en place toute une pastorale des vocations?
- De toute façon, la population et les besoins grandiront plus vite que le nombre de prêtres, et le rôle propre des laïcs ne peut que croître.
- Sachez, dit le curé, que l'évêque ne veut plus actuellement accepter de nouveaux "ministres du baptême" ...
Cela n'entame pas la conviction, semble-t-il, mais certains frémissent ...
- Et vous, en Belgique ? Y a-t-il beaucoup de jeunes dans les communautés ? Pourquoi y en a-t-il si peu ?
- Le langage de L'Église ne passe plus depuis longtemps, en particulier au plan moral. Le pape n'impressionne plus par ce qu'il dit, au contraire.
- Et aussi, il manque de prêtres. Le clergé est vieux : souvent au-delà de 60 ans, en moyenne (plus de 62 ans par exemple pour l'ensemble du clergé espagnol ; très probablement davantage au Brabant wallon).
- Selon nous, pour que L'Église-Institution puisse reprendre vie et être porteuse du message de Jésus, elle doit passer par deux changements essentiels :
* que son langage moral quitte l'ornière où il s'est mis depuis Humanœ Vitœ en condamnant tout : contraception, avortement, remariage des divorcés, homosexualité, procréation assistée. Qu'elle sorte d'un langage d'interdits pour un langage libérateur et inspirant. Elle doit changer d'anthropologie.
* Qu'elle prenne en compte les besoins des communautés et accepte de reconnaître de nouveaux ministères, que l'on soit célibataire ou non, homme ou femme, ...
On en resta là. L'on se demandait : n'en a-t-on pas trop dit ? Mais va-t-on reprendre un langage prudent, pesé, c'est-à-dire "ecclésiastique", pleinement compréhensible aux seuls initiés ? Le curé de la paroisse était satisfait. "Il est intéressant d'entendre ce qui se dit sur L'Église plus du dehors".
Grande fut l'émotion de certains quand, après le souper partagé avec les religieuses, au moment des adieux, l'une d'elles, toujours pleine de rires, dit à l'un de nous : "Vous savez, ce que vous avez dit, je le pense aussi".
Le lendemain, un des prêtres, déjà blanchi sous le harnais, peut-être le plus purement africain de tous, connu pour un certain mutisme tout brésilien sur ses idées personnelles, devait dire d'entrée de jeu combien il avait été heureux de nous entendre et qu'il se sentait tellement d'accord ...
5. Comment fonctionnent les Communautés Ecclésiales de Base (CEB). Quelques éléments.Il fut compliqué de saisir le rôle de chacun. Il est clair que la vie est beaucoup plus complexe que ces notes.
L'on parle d'animateurs de communauté. Chacun est concerné et y est invité : hommes ou femmes, jeunes inclus. C'est simplement le signe que l'on est décidé à œuvrer selon l'Évangile dans la communauté. Les engagements sont innombrables, puisqu'il s'agit de répondre à tout besoin qui se manifeste. Ainsi, pour n'évoquer que les besoins plus proprement religieux, la présidence d'une célébration (eucharistique sans prêtre) reviendra à l'un d'eux. A chaque fois, le président surgira parmi eux, appelé par les autres, homme ou femme indifféremment.
Sont reconnus parmi eux trois types de "ministres extraordinaires" : ministre de la communion, du baptême, et de la Parole (le ministre "ordinaire " étant le prêtre). Le ministre de la communion est celui qui distribue l'eucharistie lors des assemblées, mais aussi - chose importante - celui qui la porte à domicile et ainsi visite les familles (élément de base de toute pastorale). Ce sont des animateurs qui sont présentés à l'évêque. Un évêque auxiliaire vient célébrer l'eucharistie et se développe un cérémonial propre. Ils sont institués comme ministres pour trois ans - renouvelables - et un document de l'évêché en fait foi.
Chaque communauté comprend nécessairement deux ministres de la communion. Il n'y aura pas de distribution de l'eucharistie s'ils sont absents. Il n'en est pas de même pour les deux autres ministères. Ainsi, il y a cinq ministres du baptême pour un secteur de treize communautés. Les ministres de la Parole ont un peu plus de formation. Rien ne leur est cependant réservé. N'importe quel animateur peut faire l'homélie. Notez que la bénédiction des mariages est assurée par un des quatre diacres, éventuellement par un prêtre. Dans d'autres lieux, il n 'y a pas de diacre, car l'essai fut un échec. Il y aura donc des animateurs s'occupant de la préparation et de la cérémonie du mariage.
Il n'y a pas d'autre tâche particulièrement mise en valeur. Ainsi chaque communauté est responsable de ses frais (électricité, eau) el d'une partie du traitement du prêtre (celui-ci correspond à 8 "salaires"[2]). Ceux-ci ne sont pas rétribués autrement. Un animateur s'en occupe, comme il pourrait faire autre chose.
C'est au niveau de la paroisse que se situe III les responsables de chaque communauté. Chacune a le sien. Un responsable le sera souvent de deux communautés, voire davantage. Ce sont les prêtres, les diacres, les religieuses (une dizaine) et une laïque, notre Simone. Ceux-ci se réunissent chaque semaine. Toutes les religieuses de la paroisse n'en sont pas et les diacres sont représentés par l'un d'entre eux.
Précisons que les diacres sont d'abord des personnes avec une formation beaucoup plus poussée. Leur premier rôle se situera donc au niveau de la formation - tellement demandée à tous niveaux. Quand ils sont présents à une assemblée, ils assurent automatiquement la présidence. Outre les mariages qui leur sont spécifiques, ils ont bien sûr les trois ministères extraordinaires déjà mentionnes. S'ils sont responsables de quelques communautés, ils sont cependant attachés à un ensemble plus large, le secteur. La paroisse se divise en trois secteurs.
Le diocèse compte trente diacres. Il y a actuellement trois diacres en formation issus de la paroisse. De celle-ci sont aussi sortis cinq séminaristes et trois prêtres. Seul l'un d'entre eux – on l'a présenté – travaille actuellement dans la paroisse.
6. Récit de la naissance d'une nouvelle CEB ou foi et engagement humain au quotidienUne animatrice, notre Simone, se rendit en novembre dernier dans un nouveau quartier dépendant d'une communauté. En trois ans, 2000 personnes s'y sont installées. Elle voulait les inviter à une célébration de celle-ci. On lui répondit : "Mais quand allez-vous construire une chapelle ici ? On l'a déjà demandé souvent. On n'ose pas sortir le soir après 18h, il fait nuit et c'est dangereux. Les réunions et les assemblées se font toujours le soir après le travail. Les protestants et les Témoins de Jéhovah ont déjà construit leur chapelle ici. "
Elle se mit à visiter les maisons. Tous étaient demandeurs. Continuant à tester leur bonne volonté, on commença des célébrations dans la rue. Elles étaient menées par de jeunes catéchistes de la communauté voisine.
Parallèlement, ce quartier ne parvenait pas à obtenir son raccordement à l'eau et au téléphone. Pour l'eau on se débrouillait avec un tuyau d'arrosage qui démarrait un kilomètre plus bas. L'animatrice fit à nouveau les démarches entamées depuis deux ans. Deux mois plus tard, cela était arrangé.
À Noël, on célébra la première eucharistie. Il était urgent d'avoir un lieu à soi. On découvre un local de la taille d'une pièce dont on double la superficie. C'est trop petit quand on se réunit à 80-100 personnes. On trouva un terrain. La paroisse fournit les matériaux et la communauté commence la construction. Il faut cependant terminer avant l'arrivée des pluies. La paroisse paiera donc quatre hommes sans travail (une fameuse aubaine pour eux). Le local est terminé. Il mesure 12m sur 4. Il sert à tout. Il y a bien sûr la célébration du dimanche matin. Mais, à la demande des gens, a démarré un groupe de formation biblique, un groupe de préparation au baptême (60 enfants). S'y tiennent aussi les réunions d'un groupe de formation humaine pour jeunes (13-16 ans). Un autre groupe pour plus de 15 ans prépare aux trois sacrements (baptême-confirmation-eucharistie). Ils seront donnés ensemble par l'évêque auxiliaire le 1er novembre prochain ...
Une réunion de quartier, chaque mercredi soir, comporte toujours deux parties: une demi-heure environ d'évangile et de commentaires; puis une heure sur les problèmes du quartier. (C'est l'habitude pour tous les groupes, ainsi celui des 13-16 ans). Apparaissent ainsi deux autres problèmes urgents. Les voitures n'ont pas accès à la favela car la seule rue y menant est interdite à la circulation. Elle passe d'abord dans un îlot de nouveaux logements inoccupés depuis trois ans parce que trop chers. Pour y éviter les vols, l'entreprise propriétaire interdit l'utilisation de cette rue. C'est maintenant résolu. Une autre demande importante serait que la police réside sur place. Vu son isolement et la difficulté d'accès, on y mène souvent les gens que l'on veut torturer et tuer ...
Ajouter qu'un instituteur de la commune a obtenu de l'État un minimum de sous pour construire une école. Bientôt la pesée des enfants se fera dans le nouveau local de la communauté. Dans quelque temps - au moins un an - la communauté se sera constituée suffisamment et elle pourra élire ses "ministres extraordinaires".
Par cet exemple, nous espérons illustrer comment se vit la compénétration du social et du religieux dans une communauté ecclésiale de base de bidonville.
7. Une nouvelle dimension de l'action : un travail spécifique pour la santéIl y a deux ans, une infirmière est venue de Belgique sous contrat A.G.CD. : notre Simone, à nouveau. Elle devait créer un centre de planning familial. Il fallait surtout s'occuper des jeunes filles enceintes et mères souvent dès leurs 13-14 ans. Il faut dire que les enfants qui grandissent dans une famille "normale" comprenant père et mère vivant ensemble ne sont pas tellement nombreux. Le centre, avec ses deux premières collaboratrices, a donc reçu nombre de consultations se complétant par des visites à domicile.
Elle devait aussi assurer la formation d'agents de santé communautaire. Notons qu'à côté de cours sur la santé et la psychologie, il y eut aussi des cours d'alphabétisation pour adolescents et futurs animateurs, des cours pour améliorer l'alimentation, des cours de formation humaine mais aussi ménagère ... Cette formation devrait s'approfondir dans un des trois secteurs de la paroisse pour être étendu à l'ensemble ensuite,
On aura compris que la même personne, outre son travail spécifique, est rapidement
devenue animatrice plus responsable de communautés.
B. Rencontres à l'intérieur du pays
1. Où la mission H.L.M. rencontre des séminaristesLa matinée ne se voulait que touristique ! Après le marché, ses fruits, ses couleurs et ses odeurs, on visitait une église de Cachoeira. On était séduit par son équilibre, ses murs couverts d'Azulejos : grands tableaux faits de faïence blanche et bleue importés du Portugal. Jean-Loup disparaît saluer le curé de la petite ville. Il est en réunion avec cinq des huit séminaristes issus de la paroisse. (Celle-ci sera décrite plus bas)
Et c'est parti pour une rencontre.
- Quels seraient vos désirs, vos attentes, pour les cinq-dix années qui viennent ? demande -t -on.
- Se rappeler qu'ici l'Église, dans son langage, ses manières de fonctionner, nous est étrangère et imposée. Elle est européenne et romaine. Or nous avons nos propres modes d'expression, nos valeurs. (Allusion aux origines surtout africaines de la population). Qu'il en soit tenu compte, en particulier dans la liturgie (sujet qui passionne ce séminariste).
- Que l'Église soit plus proche des jeunes ! Que ceux-ci soient plus libres pour s'exprimer et être eux-mêmes. Dans la pastorale, on s'adresse aux adultes et aux enfants, ... pas aux jeunes.
- Que le prêtre puisse être dégagé, grâce à des laïcs responsables, de tant de tâches matérielles mais aussi spirituelles, comme la catéchèse, dira un troisième.
- Mais ne va-t-il pas devenir un fonctionnaire des sacrements ?
- Le prêtre devrait se limiter à l'eucharistie, la confession et à un rôle de conseil, proche des gens qu'il a le temps de visiter. (Noter que le rôle d'animateur de la communauté dans son ensemble ne sera pas cité ... Probablement va-t-il tellement de soi parmi eux).
- Une tâche essentielle du prêtre, dira un autre, est d'évangéliser, d'être missionnaire ... (Et pas le laïc ?)
- Que le prêtre puisse sortir de l'image que l'on se fait de lui. Considéré comme un "saint", il devrait avoir du temps pour écouter de la musique, lire ... On traduira : pour avoir accès à une vie privée.
- Et vous, prêtres mariés, comment voyez-vous le célibat ?
- Sachez que si on a quitté, ce n'est pas, la plupart du temps, pour un problème de solitude affective, mais par un manque de cohérence intérieure entre nos désirs et les tâches imposées ; vu l'impossibilité de tenir le rôle attendu de nous, vu le désaccord profond face à certaines positions officielles, aux manières d'être et de faire de l'Eglise-institution, que nous étions censés représenter.
- Pour nous séminaristes, le choix du célibat devrait devenir optionnel.
- Mais envisagez-vous que de bons animateurs - a priori mariés - (la plupart dans cette paroisse sont des femmes, mais on n'osera pas aborder cette précision) puissent être ordonnés ?
- Bien sûr, s'il vit l'évangile et est proche des gens, il n'a pas besoin d'une formation aussi complète qu'un prêtre.
- Et serait-il vraiment différent d'un diacre ?
- Bien sûr. Il serait ordonné pour l'eucharistie, la confession et le conseil spirituel.
- On n'a rien dit de l'engagement social, voire politique, que nous, vu d'Europe, croyons tellement essentiel aux communautés de base.
- On me demandait d'être candidat-bourgmestre aux élections communales de septembre, intervient alors le curé. L'évêque m'a dit que si je le faisais, je serais suspens ! Et dans le parti dont je suis membre, le parti social-chrétien qui est au centre-droit, les instances supérieures ont trouvé des astuces pour que je ne puisse être mis sur les listes parce que j'aurais été le candidat des pauvres ...
- Vous avez parlé ici très librement. Ce que vous avez dit, en parle-t-on aussi au séminaire ? Cela y est-il compris ? En résulte-t-il des changements ?
- Il n'est pas question d'en parler, sauf entre nous ... Et ils se sont mis à rire !
On s'est dit en sortant : dans cent ans, où en sera-t-on ? Parmi tous ces jeunes, quelle hécatombe probable ... comme de notre temps.
Ou, au contraire, n'y a-t-il pas une telle force, une telle cohérence avec ces communautés qui, avec les années, se sont développées, que la vie sera plus forte que l'institution ?
On aura compris que l'évêque du lieu cherche par tous les moyens à remplir son séminaire et qu'il n'est pas pour les "nouveautés". Tout ce mouvement de fragmentation des paroisses en petites communautés que nous approchons pour la seconde fois dans son diocèse n'est, certes pas, désapprouvé, mais il ne constitue pas non plus une de ses options. On saisit là tout le pouvoir qu'a l'évêque du lieu. Dans ce cas, on nous dit : il n'a jamais travaillé en paroisse ... Bien plus lourd encore, pensons-nous, est le poids de Rome et de ses options. Options qui, à leur tour, commandent le choix des évêques ...
Encore deux choses entendues : un peu partout en Amérique latine, le nombre de vocations augmente réellement. Celles-ci naissent typiquement là où se sont développées les communautés de base, c'est-à-dire les milieux pauvres, les bidonvilles et les campagnes. Par contre, parmi les milliers d'élèves des grands collèges de Salvador (trois millions d'habitants), cela fait des années qu'il n'y a plus eu de vocations, nous a-t-on dit.
2. Rencontre avec le prêtre de la paroisse- Celle-ci compte 30 000 habitants et est en majorité rurale. Son curé y est depuis douze ans. S'y sont développées 28 communautés : 20 rurales et 8 dans la ville. Celle-ci fut créée en /674 et connut des moments de grand développement. Il en reste douze églises dont huit ont été reprises par une des communautés.
- Chacune connaît quatre fonctions bien précises : animateur, catéchistes, "articulador", économe. L'articulador est la personne qui fait des démarches en tous genres en faveur des gens qui ne s'en sortent pas, un rôle d'accompagnement ou d'assistance sociale.
- Chaque communauté a son jour de célébration en semaine. Elle a un livret de textes et de schémas pour l'aider, mais il ne doit pas empêcher la créativité.
- Le week-end, le prêtre célèbre une eucharistie dans l'église principale. Celle-ci est animée par une communauté à tour de rôle. Il célèbre encore trois-quatre eucharisties dans diverses communautés, de sorte qu'il passe dans chacune environ une fois par mois. Les plus lointaines cependant, accessibles à cheval, ne le verront guère qu'une fois par an, lors de la fête du Saint Patron.
- Le prêtre organise de nombreuses réunions d'animateurs : des jeunes, de la préparation au mariage, etc, environ tous les deux mois. Il semble mangé de réunions, mais toutes ne sont pas directement pour les communautés de base, verrons-nous plus tard.
- Au plan social, on retrouve des écoles, une maison de l'enfance (dont une crèche de cent enfants), un centre social avec son lavoir communautaire, des cours de préparation professionnelle (pas moins de six groupes par jour), un centre hospitalier de base dans la campagne avec trois médecins de la commune, un médecin volontaire, des infirmières, etc ...
Dans une brochure où l'on retrouve planifiées les activités paroissiales de l'année, on découvre que le diocèse vient de lancer un plan de cinq ans. Il doit se développer, selon la méthode "voir-juger-agir", sur deux versants : l'un, "religieux-sacramentel", l'autre en faveur "de la promotion humaine et des œuvres de miséricorde ". L'articulation entre ces deux versants n'est pas développée dans la brochure. Mais là réside le problème-clé. Comment ces deux versants se compénètrent-ils ? On peut penser que la vie de la communauté fait jaillir d'une même prise de conscience l'appel à la prière et le besoin de s'en sortir, et pour cela de s'organiser. En chantant, en lisant ensemble les Écritures, se découvrent et se vivent des éléments de cette "théologie de la libération" : prière et action se nourrissant de la rencontre du Seigneur vécue ensemble dans la fraternité. Alors les tâches d'animateur, d'articulador, de catéchiste, prennent leur importance, on part vers de nouveaux ministères. Et la communauté construit par le travail en commun sa propre Église.
C'est
après la rencontre
que nous allons décrire d'un
prêtre en
milieu rural que ceci a été
écrit. Nous
est alors venue cette
hypothèse de compréhension :
il persisterait ici une juxtaposition
de deux couches d'institutions. L'une
est ancienne,
qui compte encore - selon
la brochure - des confréries,
dont celle de "la
Sainte Maison de Miséricorde"
qui remonte au
XVe siècle,
un peu nos anciens
Hôtel-Dieu, lointains ancêtres de nos CPAS, un
Tiers-Ordre, mais aussi des écoles, un
petit hôpital... L'autre,
qui est celle des communautés (d'autres
diront
franchement "communautés
ecclésiales de base") qui prennent conscience de leurs
besoins et agissent en conséquence. L'évêque
"aime bien"
son curé, mais il
n'a pas pris option
en faveur des communautés de
base. Le prêtre,
en conséquence,
ne peut sans doute pas aller
jusqu'au bout de.sa
logique. Il s'est reconnu
surchargé.
On l'a senti
un peu tendu. Il souffre
d'un certain isolement. On
l'admire pour
sa foi, son enthousiasme, sa
persévérance. Le passage vers
un nouveau visage
de l'Église
est en route. Mais dans
ce cas, il n'est
pas achevé.
Pour passer à l'autre rive du Fleuve Paraguazu, il n'y a que "le pont des Anglais" (description sur demande) ou la pirogue du passeur ; la barque de Pierre. Lequel des deux donnerait le moins de vertiges à notre président ? L'Esprit nous pousse vers la barque..
Jean-Loup et Édouard s'y sont assis ; Micheline a osé s'y engager. Arrive le président. La barque enfonce dangereusement. Quittant la rive, une première vaguelette entre dans la barque. "Sauve-nous, Seigneur, nous périssons". Nos cris sont entendus et le Seigneur ramène la barque au point de départ.
Vraiment, la barque de Pierre est trop étroite pour H.L.M.
4. De la manière dont une communauté reçoit un de ses anciens prêtres qui s'est mariéIl vint à Sao Felix, dans l'église où il avait célébré pendant plusieurs années. Il se mêla à la foule qui célébrait l'eucharistie. Son déroulement ressemblait en tous points à ce qui se fait dans le Nord de l'Europe ; si ce n'est que l'assemblée chantait vraiment et que la paix du Christ fut pleinement partagée. Le célébrant, bien âgé, avait lu une homélie imprimée dans un journal du diocèse (du moins ainsi ne dirait-il pas trop de bêtises, pensa-t-on). Il avait béni l'assemblée, et voilà qu'il parle de l'ancien Padre et des frères qui viennent aussi de Belgique. Tous applaudissent ! Il lui demande alors de revenir au chœur, là où il avait prêché autrefois. Celui-ci dit quelques mots, puis ce fut la joie des retrouvailles : beaucoup de rires et de longs abrazos d'un bon nombre qui se souvenaient : 25 ans déjà.
Les chrétiens de ce pays ont vraiment des habitudes différentes des nôtres.
Note : On note la misère et le chômage toujours persistants dans le coin, malgré quelques améliorations en 25 ans. Ainsi beaucoup de femmes cassent des cailloux au marteau. Ils sont achetés au m3 par les entrepreneurs.
5. Rencontre avec un prêtre de paroisse ruraleQui penserait rencontrer un prêtre de paroisse le dimanche matin vers 11 h ? L'idée en vient cependant à notre chauffeur ...
- Ma paroisse est divisée en 22 "communautés ecclésiales de base". Chacune a son conseil communautaire composé de cinq personnes (coordinateur, vice-coordinateur, secrétaire, trésorier, coordinateur de la pastorale, elle-même répartie entre adultes, enfants et jeunes).
- L'autonomie de chaque communauté est énorme. C'est le dimanche matin que chacune organise sa célébration (D'où ce prêtre qui peut nous recevoir à pareille heure).
- Chaque conseil prendra aussi en charge l'aide aux personnes. Ainsi pour l'achat de médicaments, de layettes pour un enfant né d'une mère célibataire. Il s'organise dans les secteurs de la santé, de l'éducation - ainsi des cours d'alphabétisation pour adultes organisés avec l'aide des enseignants municipaux de la communauté. La pastorale de l'enfance suit le programme du Conseil National des Évêques brésiliens qui intègre des notions d'hygiène, d'alimentation.
À ce jour, onze communautés ont construit de leurs mains leurs locaux (lieux de culte et de réunion). Seuls les matériaux sont venus de l'extérieur. Le conseil gère d'ailleurs la moitié de la dime de la communauté, l'autre moitié revient au conseil paroissial.
Le conseil admet un jeune à la confirmation si, après les trois ans de catéchèse qui suivent la communion, il est engagé dans la vie de la communauté. Ce même critère est essentiel pour être admis au baptême et au mariage. Le prêtre ne célèbrera d'ailleurs pas ces sacrements sans l'accord d'un de ces conseils communautaires.
- Peut-on avoir quelques précisions sur la paroisse ?
- Elle comprend 23 000 habitants, dont 18000 au "centre" (essentiellement une très large rue principale où s'alignent les maisons, et quelques chemins transversaux). Dix-sept communautés sont très dispersées, cinq se partagent le centre.
- On compte 65 % de personnes qui se disent catholiques ; les autres appartiennent à des sectes.
- Cette paroisse fut 11 ans sans prêtre. Notre curé y arriva il y a 12 ans. Après quatre ans d'écoute, commencèrent les communautés de base.
- Et l'avenir ? Vers de nouveaux ministères ?
- Dans cette paroisse, on reconnaît trois ministères : du baptême, de l'eucharistie (entendre les célébrations sans prêtre) et de la Parole. Nous n'avons pas encore le ministère du mariage. Le coordinateur d'une communauté de base est nécessairement un ministre de l'eucharistie.
- Va-t-on vers une ordination de ces ministres ?
- Selon moi, c'est possible. La base y pousse.
- Aussi des femmes ?
- La plupart des coordinateurs sont des femmes. Au début, certains disaient : nous ne recevrons pas la communion de la main d'une femme. C'est bien fini.
- Que pense l'évêque de tout cela ? (Nous sommes dans un autre diocèse, essentiellement rural).
- Il appuie et encourage. La moitié des paroisses du diocèse fonctionnent en C.E.B. Les séminaristes (il y en a 18) sont envoyés en stage ici.
Notre homme dégageait une sensation de paix. Bien dans sa peau, nullement
surchargé.
La nostalgie nous vint de notre lointaine Europe. Faudra-t-il aussi qu'elle passe par
l'absence de pasteurs pour qu'en naisse une nouvelle race ?
Édouard DEL REY
(à suivre dans notre prochain numéro)
in Hors-les-Murs n° 65, novembre 1996
Edouard Mairlot (Hors-les-murs)
[1] Comme dans le Candomble - cette religion venue d'Afrique est tellement importante ici - la "Mère du Saint"' est celle qui initie le croyant et rend possible que l'un des dieux prenne
possession de lui.
[2] Un "salaire" est le salaire minimum officiel. Il vaut un peu plus de 110 reais, c'est-à-dire environ 3500 FB. Les rentrées d'une famille se comptent en "salaires".