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8 milliards d'habitants

José Arregi
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Pour la première fois dans l’histoire de la Terre, écrite dans le feu, l’eau et la vie, nous, Homo sapiens, une espèce très récente, avons franchi le cap des 8 milliards d’individus. Je ne vois pas cela comme une étape glorieuse, mais comme un signal d’alarme inquiétant. Nous n’avons rien à célébrer, mais beaucoup à penser à tous les niveaux. Ce fait nous met face à des défis éthiques, écologiques, philosophiques et religieux, sérieux et complexes. J’en citerai quatre parmi les plus déterminants.

1. Le taux de croissance est insoutenable.

On calcule qu’à la fin de la période paléolithique, il y a environ 12 000 ans, avant la révolution néolithique qui s’est produite avec l’agriculture et l’élevage, la population humaine de la planète – il ne restait alors que les Sapiens – était environ de 1 million ; il y a 2000 ans, à l’époque de Jésus, elle était environ de 200 millions ; en 1800, on l’estimait autour de 1 milliard ; en 1900, elle était de presque de 2 milliards ; en 2000, nous étions 6 milliards ; vingt ans plus tard, nous sommes 8 milliards.

Les chiffres sont éloquents : ce taux de croissance de la population humaine – malgré son ralentissement progressif – n’est toujours pas viable. Elle n’est pas viable pour la planète et ses ressources limitées, pour les autres espèces vivantes qui l’habitent et pour toutes les personnes laissées pour compte. Peut-être que la Terre, grâce à la science et à la technologie – et à la répartition équitable des ressources, si cela devait se produire – pourrait nourrir 15 ou 20 milliards d’humains, mais nous ne sommes pas seuls et nous ne pouvons pas être gouvernés par le seul bien de l’humanité. Soyons clairs : ce qui n’est pas durable pour tous les êtres vivants finira par l’être aussi pour les humains.

2. L’inégalité est la raison pour laquelle le taux de natalité diminue dans les pays riches et reste élevé dans les pays pauvres. 

Le fait que le taux de natalité diminue dans les pays riches et pas dans les pays pauvres semble paradoxal, mais c’est fondamentalement pour la même raison : une inégalité injuste. Si le taux de natalité baisse dans les pays riches, c’est principalement en raison de la précarité économique croissante, du manque de disponibilité familiale (profession, garde d’enfants en bas âge…) et de la peur de l’avenir. Et si elle reste élevée dans les pays pauvres, c’est principalement dû à la soumission des femmes, à leur manque d’autonomie économique, à l’absence de contraceptifs, à une mortalité élevée, au besoin de bras pour rapporter du pain à la maison et s’occuper des parents âgés privés de système de soins publics. Ce sont des formes différentes de la même inégalité qui conduisent certains à ne pas vouloir d’enfants et à ne pas en avoir, et en poussent d’autres à en vouloir, mais aussi à en avoir sans le vouloir. Ce sont des symptômes contradictoires d’un système économique mondial irrationnel et inhumain qui empêche certains d’avoir des enfants et oblige d’autres à en avoir. Paradoxe de notre espèce humaine, si douée et si démunie.

La véritable solution ne viendra pas de politiques familiales -encourageant la natalité à certains endroits et la décourageant à d’autres – aussi nécessaires soient-elles. Elle viendra encore moins des politiques d’immigration qui ouvrent ou ferment les frontières en fonction des intérêts économiques des plus riches. Il n’y aura pas de solution pour certains tant qu’il n’y aura pas de solution pour tous. Nous ne serons jamais sages si nous ne savons pas être solidaires, et nous ne serons pas libres tant que nous ne nous reconnaîtrons pas égaux.

3. Il est inhumain que l’espèce humaine s’empare de la planète entière. 

Malgré toutes les maladies, famines, épidémies et guerres, la population humaine sur terre n’a cessé de croître, elle continue de croître et continuera de croître pendant encore un certain temps. Le fait révèle la puissance et la passion de la vie, mais le prix payé et les désastres causés par cette croissance sont si effroyables, que je suis partagé entre admiration et tristesse pour cette espèce humaine que des personnes plus optimistes ont appelée Sapiens, Sage ! Espèce capable du plus sublime et du plus horrible. C’est un ange gardien et un ange exterminateur : nous empoisonnons l’air et les eaux, nous ravageons les forêts et les mers, nous injectons des maladies aux autres animaux pour soigner les nôtres, nous multiplions les macro-fermes immondes et les abattoirs cruels, nous continuons à chasser pour le plaisir et à tuer des taureaux pour le plaisir, et un million d’espèces sont aujourd’hui en danger d’extinction à cause de nous. Ne sommes-nous pas tous enfants de la même Terre et de la même vie ?

Nous sommes l’espèce la plus contradictoire. Les plus dépendants de soins, mais les plus invasifs et les plus grands prédateurs dans la nature dont nous faisons partie. L’espèce la plus puissante et la plus souffrante. Nous sommes les plus intelligents et les plus stupides de tous les animaux, car nous ne savons pas vivre avec ce que nous avons et mourir quand c’est notre tour. Et cela n’est pas dû à un quelconque « péché originel » ou à une punition divine, mais au développement évolutif d’un cerveau qui nous a établis dans cet état de déséquilibre constitutif ou d’équilibre difficile, presque impossible. Presque. Peu ou beaucoup de choses sont entre nos mains, aujourd’hui plus que jamais, grâce entre autres à la science. Mais la science ne suffira pas. Si nous voulons vraiment avancer vers l’équilibre profond de notre être, nous devons nous libérer de l’avidité de gagner, de posséder, de grandir à tout prix. Et commencer par reconnaître que nous ne sommes pas les seigneurs et les maîtres de la Terre. Nous sommes la Terre, nous sommes de la Terre et la Terre est plus forte. Nous ne grandirons pas en humanité tant que nous n’apprendrons pas à diminuer pour partager.

4. L’enseignement de l’Église catholique romaine sur le taux de natalité est irresponsable. 

L’espèce Sapiens a créé un « Dieu » à son image – un sommet de sagesse ou de folie – et les grands monothéismes ont établi que l’être humain – de préférence masculin – est l’image, l’unique ou l’image suprême, du « Dieu » omnipotent. Le christianisme est allé jusqu’au bout de sa divinisation en affirmant que « Dieu » ne s’est pleinement incarné que dans un homme juif, même si Jésus de Nazareth, le prophète de la libération, n’avait rien à voir avec ce dogme de l’incarnation exclusive.

Il serait gravement irresponsable pour les églises chrétiennes de continuer à s’accrocher à la lettre de ce dogme et à la vision anthropocentrique-androcentrique du monde qui le sous-tend, gravement irresponsable de continuer à enseigner que l’espèce humaine est la plus noble et la plus digne de toutes les créatures, le centre, le sommet et le sens de toute la création. Comme si la Terre était le centre du cosmos et la seule planète sur laquelle la vie était apparue et comme si l’être humain signifiait la fin de l’évolution. Tout cela est devenu insoutenable.

C’est avec une irresponsabilité flagrante, ou une ignorance flagrante que l’Église Catholique continue à interpréter littéralement le commandement divin de la Genèse : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la » (Gn 1, 28), et continue de s’appuyer sur la lettre et le monde du passé pour légitimer sa défense de la natalité, sa doctrine anachronique de la procréation qu’elle qualifie de « naturelle », et sa condamnation absurde de la contraception, son patriarcat enraciné, son homophobie tenace et blessante, son obsession pernicieuse de la sexualité dont les conséquences douloureuses se révèlent aujourd’hui.

Il est temps de redéfinir notre place et notre responsabilité sur terre, dans la communauté des vivants. Il est temps de réfléchir et de décider si nous voulons nous sauver ensemble ou nous perdre tous ensemble.


José Arregi - Espagne)

Notes :

Source : https://josearregi.com/eu/8-000-milioi-biztanle/

Traduction de Rose-Marie Barandiaran





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