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Vers l'implosion? de D. Hervieu-Léger et J.-L. Schlegel

Un ouvrage essentiel pour l’analyse du catholicisme contemporain

Joseph Pirson
Publié dans Bulletin PAVÉS n°72 (9/2022)


 

Dans le numéro de juin, j’avais proposé la mise en évidence des points saillants de l’œuvre de Danièle Hervieu-Léger sur base des entretiens avec Pierre Antoine Fabre.[1] Il m’est donné à présent de relater les principaux éléments de l’ouvrage commun publié avec un autre sociologue des religions, Jean-Louis Schlegel, que certaines ou certains des lectrices et lecteurs de notre revue connaissent par la revue Esprit.[2]

D’emblée, n’hésitons pas à affirmer qu’il s’agit ici d’un ouvrage indispensable pour la compréhension de l’évolution du catholicisme en Europe occidentale ! Certes les entretiens entre les deux sociologues portent sur les particularités de la France et les conséquences des abus sexuels. Un autre point de départ de leurs réflexions est la manière dont a été vécu le confinement et l’interdiction des célébrations publiques pendant plusieurs semaines : certains l’ont vécu comme un affront fait aux catholiques, alors que d’autres ont estimé qu’il y avait d’autres moyens de vivre sa foi sans participer chaque dimanche à l’eucharistie. Leurs analyses peuvent toutefois s’appliquer largement aux situations d’autres pays européens, où le catholicisme a été majoritaire pendant plusieurs siècles. D’autre part la connaissance approfondie de l’histoire récente du catholicisme est complétée par un ensemble de références qui en font un outil incontournable de la sociologie des religions pour l’étude de la deuxième partie du siècle qui nous précède et de ce premier quart du XXIe siècle. La perspective sociologique est claire : il s’agit bien d’étudier l’Église Catholique comme « fait social », sans prétention de livrer une vision exhaustive, et encore moins de prédire l’avenir de cette institution. Toutefois les propositions analytiques apparaissent clairement validées par la redondance d’indices recueillis au fil des ans et mis en lumière dans cet ouvrage, volumineux (près de 400 pages) et constitué d’un ensemble d’éléments présentés avec clarté et dans une langue accessible à un large public.

Une manie d’enseignant m’amène à lire l’introduction et les conclusions d’un ouvrage spécialisé, ou publié dans un souci de vulgarisation de recherches scientifiques. L’avant-propos l’énonce sans ambages : le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) a fait l’effet d’une tempête parce qu’il a démontré l’ampleur du problème et la manière dont a joué pendant des années une ambiance que l’on peut qualifier d’omerta !

Les conclusions, rédigées par Jean-Louis Schlegel, mettent en évidence quatre éléments : l’état actuel  calamiteux du catholicisme en France et dans d’autres pays, le caractère absolutiste du pouvoir à l’œuvre dans l’Église et son corollaire, les conséquences globales du cléricalisme ; enfin, la possibilité d’avenir du  catholicisme dans une perspective sectaire (le « petit reste » accroché à l’ensemble d’une tradition qu’il  faut défendre à tout prix) ou d’une foi, également minoritaire, vécue « en diaspora », de « manière affinitaire ». Certes il est difficile d’esquisser les contours de l’Église de demain et ce n’est pas la tâche de la sociologie de jouer en quelque sorte l’oracle ou la prédiction assurée de l’avenir. Il est toutefois légitime de poser un ensemble de questions, face aux volontés de certaines et certains de lier l’avenir ecclésial à la défense d’une identité forte, contre le « grand remplacement ». L’avenir reste toutefois ouvert à divers possibles, sur base d’inventions sociales et spirituelles inédites (ce que les auteurs nomment un « christianisme liturgique, écologique et hospitalier ».

Lorsque Danièle Hervieu-Léger parle « d’exculturation du catholicisme », elle se réfère à trois éléments majeurs : la dislocation de la société rurale, la révolution de la famille (notamment par l’accès libre à la contraception) et les mutations des sciences de la nature qui sont passées de la représentation d’un ordre immuable à l’analyse minutieuse d’un ensemble de hasards, de ratés, d’aléas et d’innovations. Il faut y ajouter, selon les deux auteurs, la modernité politique : celle-ci a mis hors-jeu la prétention de l’Église à dicter l’organisation de la société ou, à tout le moins à lui donner un cadre moral unique. Rappelons que nous sommes bien ici face à une analyse rigoureuse menée sans concessions, et non dans l’horizon du jugement moral.

Dans l’univers culturel de la modernité le concile Vatican II apparaît lui-même comme un moment de rupture qui n’a pas livré toutes ses promesses. Le Concile a certes abandonné la vision de l’Église comme « société parfaite » et l’a définie comme « Peuple de Dieu » (celles et ceux qui croient au Dieu de Jésus-Christ), sans toutefois accepter toutes les implications de la Déclaration sur la liberté religieuse, avec la reconnaissance de l’autonomie des personnes. C’est ainsi que les années après Vatican II ont été marquées par l’encyclique Humanae Vitae avec la volonté déclarée au sommet de la hiérarchie de continuer à exercer une autorité directe sur la vie intime des couples. Il en va de même pour la réaffirmation de la figure centrale du prêtre, mâle célibataire, qui culmine dans le cléricalisme que les auteurs appellent la « maladie auto-immune du catholicisme » (p. 273-297) : on apprend par exemple que, jusqu’à la réforme du chapitre VI du code du droit propre à l’Église (Code de Droit Canonique), les abus sexuels étaient considérés comme « fautes contre la chasteté », et non comme crimes de droit commun. Dans la dernière mise à jour de 1983, il n’y avait rien sur « le droit des victimes, qui étaient à la merci du bon vouloir des évêques ou des supérieurs religieux pour engager ou non une procédure de justice et/ou de réparation » (p. 296).

À la fin de leur ouvrage, ni Danièle Hervieu-Léger ni Jean-Louis Schlegel ne se prononcent sur l’avenir du catholicisme en France ou dans d’autres pays : un « noyau solide d’observants » ou un ensemble de pratiques de sociabilité et d’hospitalité comme on peut les observer à Taizé dans un contexte œcuménique, ou dans une abbaye bénédictine comme En Calcat, pour ne prendre que ces exemples.[3] La dérégulation institutionnelle du catholicisme apparaît comme une donnée qui va de pair avec l’individua-lisme croissant. Celui-ci n’est d’ailleurs pas spécifique au monde catholique (on repense ici aux analyses de François Dubet sur la difficulté de « faire société » et de « faire du commun aujourd’hui » énoncées dans une précédente livraison de la revue). La prolifération d’initiatives, la capacité de les fédérer, sans entrer dans un modèle sectaire, constituent sans aucun doute un enjeu majeur pour l’avenir du catholicisme dans plusieurs pays occidentaux.


Joseph Pirson

Notes :

[1]  Danièle Hervieu-Léger, Religion, utopie et mémoire, 2021, Paris, Éditions de l’école des hautes études en sciences sociales.

[2]  Danièle Hervieu-Léger et Jean Louis Schlegel Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme, 2022, Paris, Seuil

[3] À En Calcat, Danièle Hervieu Léger donne l’exemple du témoignage de la vie ordinaire des moines qui accueillent des personnes « en recherche » qui sont, « désireuses d’habiter d’une manière sobre et respectueuse le monde et la nature sans que cette quête prenne d’emblée la forme d’une demande spirituelle explicite » (p. 318-319).





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