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Jésus de Nazareth et Dieu

Evaristo Villar
Publié dans Bulletin PAVÉS n°72 (9/2022)

La question sur Dieu, posée à partir du christianisme, nous conduit à une réponse difficilement accessible dans le reste de la culture religieuse universelle. Cependant la réponse chrétienne n’a jamais été univoque. L’image de Jésus de Nazareth, élevant l’être humain jusqu’à la limite, représente l’une des réponses les plus brillantes à cette inquiétante question.

La question de Dieu

Même dans les nombreux cas où l’institution s’est efforcée de la maintenir dans un cadre doctrinal précis, l’élan poético-religieux a toujours débordé cette frontière. La contextualisation locale et la temporalité ont toujours fini par réduire à un caractère provisoire toute tentative d’unification de la réponse ou de l’image de Dieu.

Témoin de ce phénomène, la Bible judéo-chrétienne, où la curiosité du lecteur ira de l’interdiction ferme de faire des images de Dieu – en raison du danger de confondre la réalité avec l’image – jusqu’à l’identifier à un être humain, comme dans le Nouveau Testament. Le cheminement entre Exode 2,’4 (« tu ne te feras aucune image, aucune figure de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans l’eau sous la terre ») et Jean 1,14 (« la Parole est devenue homme et a habité parmi nous ») pourrait être une belle expérience.

La recherche d’une réponse cohérente à cette question semble actuellement tombée dans l’indifférence. Nul besoin d’être sociologue ou philosophe des religions pour se rendre compte que le Dieu des religions, surtout en Occident, est en crise profonde. Aujourd’hui, on parle ouvertement de post-théisme, de post-religionisme, de post-christianisme.

Une lanterne allumée sous un soleil radieux de midi

Aucune voix en Occident – pas même Karen Armstrong, The Case for God – n’a réussi à faire taire le fou que Nietzsche présente dans Le gai savoir avec une lanterne allumée au milieu de la place un midi ensoleillé, criant "Dieu est mort". De nombreux théologiens et philosophes ont alors tenté de démêler ce cri surprenant et de découvrir de nouveaux scénarios éco-humains où accueillir la condition d’orphelin dans laquelle se trouve l’être humain.  

L’image de Jésus de Nazareth, poussant la dimension humaine à l’extrême, représente l’une des réponses les plus audacieuses à cette question dérangeante.

La divinisation de Jésus : une réponse insuffisante

La théologie chrétienne de « l’incarnation » – un être humain qui est Dieu – est certainement un pari très audacieux. La divinisation de Jésus de Nazareth va bien au-delà de ceux que l’histoire a considérés comme des Fils de Dieu (personnages bibliques, pharaons, césars, etc.). Ce Fils de Dieu du christia-nisme est devenu Dieu le Fils, c’est-à-dire la Deuxième Personne de la Sainte Trinité, égale au Père et à l’Esprit. Nous touchons au sommet du rêve humain, devenir Dieu. Ce Dieu qui était mort dans le cri du fou sur la place constitue désormais la centralité du credo chrétien.

La métaphore de l’incarnation

Il y a des spécialistes et des théologiens qui considèrent l’évangile de l’incarnation, comme dans tant d'autres passages du Nouveau Testament, non comme une histoire mais comme une brillante métaphore. Lu sans esprit critique, de façon littérale, nous privons cette ressource littéraire de dimen-sions symboliques qui, sans être de l’histoire au sens strict, pointent vers d’autres finalités. Le récit de l’incarnation, lu symboliquement, représente la grande utopie humaine : ne faire qu’un avec la divinité.

Ce beau poème utopique, lu de manière littérale par le christianisme, a fini par devenir une affirmation métaphysique : du Fils de Dieu on est passé à Dieu le Fils. Mais, comme cela se produit dans le reste des confessions religieuses, le christianisme est aussi invité, lorsqu’il se réfère à Dieu, à distinguer entre le « réel-en-soi » (toujours inaccessible) et le « réel-manifesté » en une multitude d’épiphanies et de diaphanies qui révèlent le Dieu sans précédent.

L’humanisation de Jésus

Si nous ne pouvons plus parler de Jésus comme de l’incarnation littérale de Dieu, que pouvons-nous dire aujourd’hui qui nous relie à l’expérience que ses témoins les plus proches nous ont laissée ? Comment faire le lien avec l’affirmation de Paul « Dieu était en Jésus » ?

Si on oublie le vêtement métaphysique que la tradition a jeté sur Jésus de Nazareth (incarnation, trinité, rédemption), apparaît un être humain plei-nement ouvert à l’influence de Dieu et qui réalise, dans ses circonstances historiques, le projet de Dieu sur la vie humaine. Ainsi, incarnant le Royaume de Dieu de manière extraordinaire, Jésus représente l’idéal de la vie humaine sans barrières doctrinales, sans peurs tribales, sans préjugés de genre et de catégorie, ... une vie et un amour qui révèlent l’amour sans restriction de Dieu.

Incarnation poétique de la Genèse

Les évangiles synoptiques, principalement dans les paraboles – comment ignorer le bon Samaritain (soin de la vie) ou le père de l'enfant prodigue (explosion de tendresse et de compassion) ! – mais aussi dans le reste du texte, reflètent le dessein de Dieu manifesté dans la vie de Jésus dans les deux plans humainement possibles : le cosmos et l’humanité.

Sans la conscience écologique d’aujourd’hui, scientifique et postmoderne, le regard de Jésus sur le cosmos reflète la sensibilité poétique de la Genèse. Son propre lien avec le cosmos découle de l’action créatrice de Dieu (qu’il appelle Abba) qui donne vie aux lys des champs, aux oiseaux du ciel, aux humains et à toute la floraison de la vie qui émerge de la terre. Son action aimante se prolonge dans le soin attentif à revêtir les fleurs de couleurs, à nourrir les oiseaux et à faire se lever chaque jour le soleil sur les bons et les mauvais (Mt 5 et 6).

Intérêt inédit pour tout ce qui est perdu

Le lieu social où les synoptiques placent Jésus est toujours en « mauvaise compagnie ». Celle qu’une maxime « tanaïte » comparait à un mort : les paralytiques, les aveugles, les lépreux et les stériles. Dans l'expression de Ch. H. Dodd, Jésus montre « un intérêt sans précédent pour tout ce qui est perdu » : pauvres, affamés, aveugles et estropiés, malades et lépreux, col-lecteurs d’impôts et possédés, femmes et enfants, ... un cortège de personnes sans défense et vulnérables qui, en ce temps-là, constituaient « les brebis perdues d'Israël ».

Humain comme Jésus, dira L. Boff, seul Dieu peut l’être.


Evaristo Villar (Communautés de Base - Espagne)

Notes :

Source : https://www.revistautopia.org/reflexion-jesus-de-nazaret-y-dios/

Traduction : P. Collet




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