Un à-Dieu à Paul Tihon (1930-2022)
Ivone Gebara
Publié dans Bulletin PAVÉS n°72 (9/2022)
C´est avec émotion que j’ai accompagné, par Sœur Marie-Alice Tihon sa cousine et mon amie, les derniers jours de Paul Tihon, marqués par la douleur et la lucidité. Ces deux sentiments de la fin de sa vie l’ont accompagné tout au long de sa mission de prêtre jésuite et professeur. Toujours sensible aux multiples douleurs humaines et lucide à prendre position et conseiller quand il fallait.
Que dire maintenant sur la vie d’un ami qui nous dit à Dieu ? De quelle conversation nous entretenir pour apaiser la douleur de la séparation ? Quels souvenirs partager ? Le premier mot qui me vient à l’esprit est semence. Mon ami Paul est semence !
La semence ne meurt pas si on la plante en bonne terre et si on attend qu’elle se transforme, pousse, grandisse et donne des fruits et des nouvelles semences. La vie de Paul Tihon et son amitié pour beaucoup d’entre nous sont une bonne semence plantée dans différents cœurs en Belgique et différents lieux du monde.
J’ai connu Paul en 1971 lors de mon premier séjour en Belgique. Cela fait plus de 50 ans que nous échangeons nos soucis et perceptions de la vie ainsi que nos petites joies. De loin et parfois de près, nos échanges nous amenaient toujours à un choix de poursuivre les chemins difficiles de la liberté et de façon spéciale de la liberté selon l’Évangile de Jésus. Paul comprenait la Bonne Nouvelle comme une réalité en chemin et un choix renouvelable dans nos chemins. Le souffle libérateur de l’Évangile devrait être délivré de tout dogmatisme et légalisme, de tout réductionnisme à une religion colonialiste qui se répand encore dans notre temps. Son contact avec des étudiants de différents pays à l’Institut International Lumen Vitae, ses visites et rencontres avec eux et elles dans leurs lieux de vie, renforçaient sa réflexion et son engagement dans un choix de vivre l’Évangile comme liberté, au-delà des normes rigides dans lesquelles plusieurs vivaient et enseignaient. J’ose dire que c’est cette perception aiguë de la liberté en tant que libération quotidienne qui l’a amené à écrire un excellent livre Pour libérer l’Évangile (éditions du Cerf, 2009), grand cadeau pour nous.
Comprendre l’autre, faire silence pour écouter, poser des bonnes questions, amener l’autre à la conscience de soi pour échanger et avancer ensemble étaient comme la partie importante de la méthode de vie et d’enseignement de Paul. Loin des perfectionnismes prêchés par la religion, la quête de liberté exige souvent des transgressions. Et pour lui, la transgression était souvent nécessaire pour garder la dignité humaine des peuples et des individus lorsque les changements s’imposaient à la société et à la vie de chaque personne.
En Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, en Europe, pour ne pas nommer particulièrement les différents coins du monde, Paul a pu se confronter avec la quête de liberté/libération, avec des visages différents d’hommes et femmes qui risquaient leur vie pour pouvoir simplement vivre. Tout cela était comme le levain de son pain quotidien, l’originalité de son enseignement, la façon personnelle de s’approcher des gens et de les aider.
Quel mot d’adieu, à Dieu, au Mystère Infini faut-il encore prononcer ? Je crois que c’est le mot Merci. Ce mot m’envahit, grandit maintenant en moi, mot simple comme une fleur des champs qui me fait reconnaitre la simplicité de sa vie…
MERCI Paul, pour avoir soigné amoureusement ton souffle de vie et nourri le nôtre, merci d’avoir donné des fruits jusqu’à la vieillesse et de poursuivre en nous comme une présence tendre et en même temps puissante qui donne de la force à nos chemins et à nos choix.
La bonne semence ne meurt pas… Elle est pour toujours en état de résurrection.
Merci Paul, ami semence, ami ressuscité. À Dieu…
Ivone GEBARA
São Paulo, 9 Juillet 2022
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À la messe d’action de grâce célébrée à la mémoire de Paul, trois confrères jésuites ont pris la parole pour évoquer plusieurs aspects de sa personnalité et les engagements qui ont été les siens depuis tant d’années : Guy Cossée de Maulde, Étienne Vandeputte au nom de Lumen Vitae et Michel Gilson au nom de la Diaspora. Voici des extraits de leurs témoignages qui s’ajoutent à celui de la Paroisse Libre, publié dans la partie CEM à la page 41.
Les textes complets sont accessibles sur le site des Communautés de Base : https://sites.google.com/view/ccbwalloniebruxelles/visages (P.C.)
Le souvenir que la plupart d’entre nous gardons de Paul Tihon est sans doute celui du théologien et du professeur si attachant qu’il a été pendant toute sa vie. Dès son retour de Rome en 1963, en plein concile Vatican II, la vie académique l’a mobilisé à l’Institut d’Études Théologiques (IET) jusqu’en 1992 et à l’Institut Lumen Vitae : jusqu’à l’âge de la pension, cours et sémi-naires lui permettent, davantage encore qu’à l’IET, de mettre au service des étudiants la richesse de sa réflexion théologique et ses dons de pédagogue. Et tout au long de ces années, Paul multipliera les articles et les livres.
Paul a aimé se confronter, pour y entraîner d’autres, aux défis lancés à l’Église par un monde qui conteste sa crédibilité. Et même ses contradicteurs reconnaissent la rigueur de sa pensée audacieuse et engagée. Elle l’amène à creuser, avec la même vigilance communicative, les questions posées par la théologie de la libération, la bioéthique, la démocratie, etc…
À cet égard, comme membre de la Paroisse Libre ou comme conseiller théologique au CIL (Conseil interdiocésain des laïcs), dans les groupes ANIME du diocèse ou à l’Université des aînés, Paul Tihon aura été pour toute une génération un maître à penser, à prier, et à agir. Et tout à la fois, un ami fidèle.
Dans la Compagnie, il a été durant des décennies un pilier de la Diaspora, bouillonnante communauté de jésuites vivant en habitat dispersé. Paul a vécu en appartement durant 34 ans et il avait à cœur de susciter des relations de communauté entre ses confrères jésuites. […]
(d’après le témoignage de Guy Cossée de Maulde, sj)
En pensant à Paul et Lumen Vitae, m’est venu un mot : « convivialité », plus exactement « convivencia », cette expression si souvent évoquée dans cette Amérique latine chère au cœur de Paul. […]
On ne peut parler de la longue carrière de Paul à Lumen Vitae sans évoquer ses recherches et son enseignement en ecclésiologie. Enracinée dans sa double appartenance communautaire qui viennent d’être évoquées – la Paroisse Libre et la Diaspora – la réflexion ecclésiologique que Paul a développée et qu’il a suscitée parmi les nombreuses générations d’étudiantes et d’étudiants, a toujours été marquée par ce que le pape François appelle la « ‘mystique’ de vivre ensemble, de se mélanger, de se rencontrer, de se prendre dans les bras – el abrazo –, de se soutenir », bref par la mystique de la convivencia.
(extrait du témoignage d’Étienne Vandeputte, sj)
Ivone Gebara - Br?sil)