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Quitter l’Église. Mais pourquoi ?

Un questionnement à la lecture du Rapport annuel de l'Église de Belgique

Jean-Marie Culot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°74 (3/2023)

Selon le rapport annuel 2022[1] de l’Église catholique en Belgique, le prêtre baptise (-18 % par rapport à 2018), marie (-40 %) et célèbre les funérailles (-14 %) de moins en moins souvent : ces chiffres me font mal, car il s’agit de mon Église, mère, de mon chez moi depuis toujours. Nous plaindrons-nous de la sécularisation et, en condescendance, des carences de notre société ? Mieux, tentons une explication, même très personnelle, sans l’abri de références, avec le risque – bienvenu – de la contradiction. Et en reformulant la question : pourquoi certaines institutions gagnent-elles ou perdent-elles en emprise ? La réponse est abrupte :  du fait de la Peur, puisqu’il faut l’appeler par son nom, la peur, maîtresse !

Mussolini attise dans la bourgeoisie la crainte des socialismes ; Hitler, celle de la récession et d’une internationale juive fantasmée ; Trump, celle de la mondialisation, moquant les technocrates de Washington, tout comme Orban les ronds-de-cuir de Bruxelles. Et Meloni, la talentueuse ! et le Vlaams Belang en progrès…[2]  ! La peur, puissante machine à adhésion, à captation.

Mais l’Église, direz-vous ? Écoutez donc cet enfant d’avant-guerre, petit ardennais, prénommé en hommage à un champion du pugilat avec Satan, enfant ‘de chœur’ à toutes les messes de semaine (à 7 h., confiteor Deo omnipotenti… mea culpa, mea maxima culpa) et aux Vêpres et Saluts du dimanche ; fils de l’instituteur communal en charge de la mémorisation du Petit catéchisme de Namur : « Dieu, qu’est-ce que Dieu ? Dieu est un pur esprit, créateur du ciel et de la Terre » plus les sept péchés capitaux plus le péché originel (la belle pomme, la jolie Eve, mais la Chute !) plus les dix commandements, avec je ne sais quel Sixième à majuscule. À la Toussaint, des Pater et Ave (sans distraction, doux Jésus !) qui rachetaient, une à une, des âmes du purgatoire. Et, pour chacun, ce canevas dense des prescriptions de la vie quotidienne et leur vérification de derrière les rideaux. Partout, la peur de trébucher, à droite, à gauche… Les véniels, oui, sans doute, mais les mortels, quelle angoisse !

Nous vivions donc craintifs, angoissés ? Pas du tout, car l’Église se proclamait ‘du Salut’ et nous le croyions profondément. Le baptême ne nous avait-il pas sauvés des Limbes ? Le curé de la paroisse d’à côté ne venait-il pas confesser tous les samedis, trois pater et ave faisant l’affaire. Et le mariage n’accordait-il pas le remède espéré ? Et l’Agneau ne portait-il pas tous les péchés du monde ? Et l’extrême-onction ne préservait-elle pas de l’infernale foudre ? « Oui, on vous demandera des messes, monsieur le curé. » Et les JAC, JEC et JOC annonçant le Christ-Roi. Et les Missions… Y croyant avec une telle évidence que je m’y suis engagé, dans cette œuvre de Salut. Une Église triomphante ? Oui, car maîtresse de la Peur, experte à nommer tous les maux qui nous menaçaient mais tout autant à nous assurer la rédemption. Pourquoi quitter une telle institution !


Quitter tout de même ? La sécularisation s’insinua, rampante, aux lendemains de la guerre, et il y aurait trop à développer : les lendemains brumeux de Vatican II, la secousse d’Humanae Vitae, les crispations de deux pontificats conservateurs, la critique des autoritarismes, … Mais nous voici en ce 21e siècle et brusquement désemparés. Finies les trente glorieuses et la confiance dans les progrès techniques, l’euphorie de la Chute du mur et de la mondialisation. Nous voici inquiets devant les ravages de virus tueurs, la banalisation du mensonge, la violence dans les propos et les relations, l’inéluctable pression des immigrations, l’immense défi de la restauration d’une santé pour nos terres, nos eaux, notre planète. Désolés de ne plus pouvoir promettre à nos enfants un avenir meilleur. La Peur ? Nous voici, en effet, apeurés à ce point que beaucoup d’entre nous doutent de la capacité de nos démocraties à relever les défis, notamment celui de nous protéger de l’accroissement des inégalités, et se livreraient volontiers à des pouvoirs autoritaires[3], d’aucuns regrettant l’abolition de la peine de mort !

Mais l’Église n’est-elle pas là ? Oui, mais l’entend-t-on nommer ces maux profonds qui minent nos sociétés et nos consciences, et nous en promettre un salut ? Même en ces deux domaines où elle se targuait d’expertise : la justice d’abord, sœur de la charité ! Face à un capitalisme non bridé qui a conduit à une captation des ressources, à une répartition scandaleuse des disponibilités et à la paupérisation de la majorité des Terriens, pèse-t-elle ?  Et, par ailleurs, la morale familiale et sexuelle avec ses catalogues stéréotypés du permis et du réprouvé, accompagne-t-elle cette révolution contemporaine axée non plus sur le statut marital mais sur le consentement, quels que soient les sexes et les âges ? Est-ce à l’Église que les couples demandent une aide au discernement quand ils sont confrontés aux graves projets de PMA, de GPA, d’avortement, d’euthanasie ? Auprès d’elle que les LGBTQ+ obtiennent reconnaissance et, pour leur mariage, bénédiction ? Elle qui peine d’ailleurs à conserver sa crédibilité avec tant d’abus sexuels non encore purgés. Non, décidément, chez nous du moins, l’Église n’est plus la maîtresse de la Peur, on ne l’attend plus, on ne l’entend plus dire ni les maux, ni le salut. Non encombrante, juste aimable voisine.

Et demain ? À conditions inchangées, la sécularisation, chez nous, poursuivra son avancée. Risquons une prospective. Dans une aile droite, devinons-là en minorité mais substantielle, l’on est bien satisfait de disposer d’une lourde et lente institution qui entretient les bonnes traditions, préserve les vertus de la famille patriarcale[4], s’étrangle à entendre ces femmes postuler au sacerdoce ou à l’épiscopat. L’on y déplore ces eczémas modernes et cette pernicieuse sécularisation.

Une large majorité, au centre, appréciant de se retrouver en communauté, d’entretenir une culture commune, peinant cependant à transmettre à la génération suivante mais appréciant les services que proposent ces ONG listées dans le Rapport annuel. Où plusieurs, encore, quitteront en douce. « J’appréciais le prof de religion mais nous ne marierons pas à l’église. Ah bon ! les voisins baptiseraient leur dernier ! Tout de même, le curé était invité aux funérailles du grand-oncle. »

Enfin, une très courte minorité décidée à opérer la mue de l’Institution, à réinventer un langage ‘secourable’ ; privilégiant l’exemple et le message de Jésus de Nazareth, l’historique plus que l’intemporel, l’humain plus qu’un sacré censé évoquer la transcendance. Pour qui le salut offert par l’Église serait de rester ce véhicule permettant de s’alimenter aux Sources. Avec les accents d’un humanisme vivace[5] plus que d’une religion instituée.


Jean-Marie Culot (Hors-les-murs)

Notes :

[1]  Le document chez Cathobel. Et une analyse sur le site ORELA, Les catholiques de Belgique, nouvelle minorité ?

[2]  Selon le dernier rapport de l’ONG Freedom House, 38 % de la population mondiale vivraient actuellement dans des États non libres ; et seuls 20 % des personnes dans des pays clairement considérés comme libres. Le Soir des 10-11 décembre 2022, Léna, p. 6-7.

[3]  Selon l’enquête ‘Noir, Jaune, Blues’ présentée par Le Soir du 23 au 25 janvier 2023, près de la moitié des populations de Flandre et de Wallonie (moins à Bruxelles) serait profondément inquiète, favorable à une société fermée, souhaitant être dirigée par « une personnalité forte qui comprend vraiment le peuple ». Dans le site du CRISP, Quels remèdes au grand blues des Belges, une analyse de Caroline Sägesser.

[4]  En phase avec quasi toutes les religions et églises de par le monde, quasi toutes patrilinéaires.

[5]  [Comme un temps, en Galilée ?] - Avec des initiatives communautaires en réseau, dans l’étroit Ouest de notre Occident.




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