La parole et l'esprit
Pour une transformation du « système catholique »
Jean-Pol Gallez
Publié dans Bulletin PAVÉS n°76 (9/2023)
Le propos qui suit constitue une synthèse de mon exposé du 10 juin 2023 produit à la demande de la CCBF dans le cadre de son 8e « Rendez-vous ». Il prend le relais de celui de décembre 2020 consacré aux « limites du système catholique », apparues en temps de confinement. J’en reprends trois éléments importants : 1. la réalité du confinement a fait apparaître le cadre étroit et contraignant imposé par un système de type religieux : indisponibilité de l’eucharistie réduite à la messe … et appels, en miroir, à sortir du ritualisme au profit de pratiques nouvelles et désacralisées ; 2. beaucoup de chrétiens éloignés de l’institution sont prêts à réconcilier le christianisme et la société en reprenant leur baptême à pleines mains…Mais ils cherchent des voies concrètes et, surtout, des fondements sûrs pour passer à l’acte. La récente enquête de la CCBF confirme le profil engagé et instruit de ces chrétiens « éloignés » ; 3. j’ai esquissé une voie possible de transformation du « système catholique » à travers une compréhension « jusqu’au-boutiste » de la trilogie « prêtre, prophète et roi », sur fond d’une mise en cause de la distinction clerc/laïc. De manière générale, je n’aperçois pas d’issue à la crise actuelle sans un travail de fond sur les représentations de l’autorité, effectué à la lumière de l’idée chrétienne de Dieu, et sur les conceptions théologiques qui soutiennent le système catholique (sacerdoce, péché originel, théologie sacrificielle, etc.). Revoir le fonctionnement (ou la « gouvernance ») de l’Église sans revisiter sa doctrine me paraît vain. C’est pourquoi, à la suite de Danièle Hervieu-Léger (« Rendez-vous » n° 4), je commence par les « piliers » du système catholique.
1. Les piliers du « système catholique »
Le sacré et le surnaturel. Parce qu’il est sacré, le pouvoir clérical agglomère en lui les fonctions d’enseigner, de sanctifier et de gouverner. Tout bien réfléchi, nous sommes proches de la « dictature d’inspiration divine », selon les termes d’un ami, chrétien et professionnel des questions de gouvernance en entreprise. Dans la foulée, ce système a engendré la distinction du clerc et du laïc. Parce qu’il est sacré, il repose sur une conception religieuse et sacrificielle de Dieu qui a entraîné la peur du jugement et la prétendue nécessité d’une médiation sacerdotale. Le vocabulaire dominical, à force de répétition, génère la culpabilisation et décourage insidieusement la prise de responsabilité baptismale.
Un modèle cultuel, territorial et centralisé. L’Église s’est structurée autour du modèle paroissial animé par un prêtre/chef. Son offre spirituelle porte principalement sur le culte et la pratique des sacrements. La vie cultuelle et rituelle est une légitime expression de la vie de foi mais elle n’en constitue pas l’essence. Pour ce motif, la vie chrétienne peut et doit pouvoir continuer quand bien même le modèle paroissial fondé sur le prêtre et les sacrements s’écroulerait… ce qui arrivera et nous forcera enfin à repenser nos représentations de l’autorité et notre vivre-ensemble ecclésial. Le système catholique a, en outre, développé une forte centralisation. À l’inverse du dynamisme des origines (infra), il s’est imposé la charge de désigner, par en-haut, des responsables locaux, formés à l’école des séminaires selon la discipline restrictive que nous connaissons. Ce modèle arrive en fin de vie. Les chiffres sont sans appel et sont connus depuis longtemps. La réalité est implacable mais l’institution ne bouge pas car elle est sûre de sa théologie du sacerdoce, qu’elle pense être de droit divin. Danièle Hervieu-Léger ajoute un 3e pilier – le monopole de la vérité –, que je ne fais qu’évoquer, en tant qu’il procède et soutient les deux autres piliers.
Toute la gouvernance de l’Église est pensée et construite autour de ces piliers qui mettent le prêtre, la messe et les sacrements au centre de la vie et de la mission chrétiennes. Au regard de cette situation, les avancées de Vatican ii ne sont malheureusement que des « inflexions » (G. Routhier) souvent bien théoriques (collégialité, valorisation des Églises locales, promotion du « peuple de Dieu », écoute du monde…) insuffisamment traduites dans les structures et le droit de l’Église. Le concile a redécouvert que le débat fait partie de la nature de l’Église, alors que le Pape et la Curie avaient pris un ascendant injustifié. Mais le débat n’avait lieu qu’entre évêques. Le chemin synodal exprime l’attente d’un débat qui concerne et implique désormais l’ensemble des chrétiens. Est-il possible de trouver un autre centre de gravité, non religieux, qui fasse structurellement droit aux fondamentaux de l’Évangile, à savoir se rassembler dans l’Esprit pour servir le monde ? Ou comment remettre la gouvernance catholique en phase avec le Projet chrétien ? Quelles sont les voies de transformation du système catholique dont l’exercice synodal n’est peut-être qu’un signe avant-coureur ?
2. Les voies de la transformation
L’obstacle premier à la transformation réside dans la peur de tout système de disparaître s’il essaie de se changer. Pourtant, tout système peut changer sans perdre de vue sa raison d’être, in casu incarner une espérance active pour le monde. Cette peur primale rend nombre de systèmes très « résilients », mais au sens négatif du terme. Mieux vaudrait alors survivre en restant malade. Les symptômes sont connus : radicalisation et sectarisation ou se perpétuer quitte à être plus extrême et moins nombreux (importation de prêtres étrangers, engagement de laïcs cléricaux, paroisses reprises par des communautés identitaires, retour de tenues vestimentaires d’autrefois…). La vraie résilience consiste, au contraire, à renaître pour incarner autrement son Projet. La transformation touche différents niveaux et enjeux.
Au plan spirituel, l’institution catholique a besoin de se regarder, non le nombril, mais dans le miroir. Il s’agit, pour elle d’oser constater l’effacement accéléré de son influence sociale, sa perte avancée de vitalité intérieure, le caractère massif et récurrent de ses abus d’autorité, quels qu’ils soient, la fin inéluctable du système paroissial. Cette conversion ne peut que l’engager à se tourner vers les autres. Elle se donne alors le moyen de passer définitivement de la défense/imposition d’un système de croyances et de pratiques pour rencontrer la vie intérieure et quotidienne des gens. Avec cette simple question adressée à tous les humains : « en quoi Jésus est-il l’Incarnation d’une Espérance qui les possède ? » (M. Légaut, Patience et passion d’un croyant, épilogue). Un tel travail exige de nombreux ouvriers, bien au-delà du cercle des gens ordonnés au sacré : le chemin de transformation passe par l’implication de ces chrétiens « éloignés/découragés ».
Au niveau intellectuel, je l’ai dit, pas de réforme sans une nouvelle pensée de la foi et de Dieu et, en conséquence, sans accepter le caractère réformable de la tradition doctrinale. La foi, de son propre mouvement, est critique des formulations et des figures qu’elle prend dans l’histoire car elle est, dès les origines, réception active et interprétative d’un événement. Sur ce point, le chemin synodal montre bien la volonté de poser la question doctrinale (le cas allemand dévoile toute la résistance du pouvoir romain à laisser les Églises nationales se mêler de doctrine) ; mais montre aussi (autre aspect de résilience négative du système) que délibérer et décider tous ensemble restent encore scindés (la rencontre de Prague témoigne d’une volonté de réserver la phase de décision au clergé).
Sur le terrain culturel, comment reprendre théologiquement l’appel à plus de démocratie dans l’Église ? Évitons les faux arguments : « l’Église n’existe que par volonté divine ». Parce qu’elle est suscitée par l’Esprit, elle ne devrait rien à l’histoire ; parce que la foi vient de Dieu, elle ne pourrait être débattue ! De même, il ne faudrait pas se fonder sur d’autres arguments trop fragiles pour revendiquer qu’elle fonctionne comme une démocratie politique : parce que celle-ci a engendré des parlements, elle devrait elle-même en devenir un, seul moyen d’être « de son temps ». Il y a pourtant moyen de sortir de ces deux impasses (et d’une pensée binaire) en reconnaissant la nature sociale de l’Église en tant qu’elle est fondée dans l’Esprit : l’action historique de ce dernier est, à la fois de rassembler les disciples de Jésus (« Tout vient bien de Dieu » sans tomber dans la théocratie) et de leur procurer la liberté d’organiser en son nom leur propre vivre-ensemble (tout est remis aux mains de l’homme sans verser dans un réductionnisme politique). Dans la foulée, observons que la réticence de l’institution à l’égard du phénomène de la démocratie politique parait bien mal venue alors qu’elle a embrassé, pendant des siècles, le modèle politique impérial en l’attribuant erronément à Dieu. De même, nous dirons que la synodalité n’est, en effet, pas réductible à la démocratie mais qu’elle intègre son souci de la pluralité. Elle ne consiste pas à faire émerger des tendances particratiques qui se dresseront les unes contre les autres, mais à promouvoir la diversité pour créer la communion ecclésiale. En bref, au nom de sa nature sociale, l’Église s’intéressera au phénomène démocratique. Sans le transposer tel quel, elle le verra comme une opportunité offerte par l’histoire pour interroger sa propre gouvernance et, plus profondément, la façon dont elle réalise, ou non, la fraternité de l’Évangile en son sein.
Cette triple préoccupation doit être de nature à envisager l’enjeu structurel lié à la nécessaire réforme de l’Église.
3. Pour une restructuration évangélique de l’Église
Parmi les remises en cause structurelles, certaines ont fait du chemin et sont assez répandues dans la conscience catholique. Par exemple, sortir de la dichotomie Église enseignante/enseignée : dans une Église fraternelle, les chrétiens s’enseignent réciproquement, selon leurs expériences et leurs engagements au nom d’une même foi. Ou encore, sortir de la conception institutionnelle et doctrinale de l’unité ecclésiale : le Dieu chrétien est pluriel, telle sera aussi sa manifestation dans la façon même dont nous construisons l’Église. Une autre l’est beaucoup moins : la dichotomie clerc/laïc comme telle. Les solutions qui émergent de la démarche synodale cherchent encore très majoritairement à composer avec ce cadre-là. Pour beaucoup, la fin du « pouvoir clérical » passerait par l’ordination d’hommes mariés, le mariage des prêtres, l’accès des femmes au sacerdoce et un « meilleur partage des tâches clerc/laïc, etc. Mais en ne touchant pas au pouvoir sacré comme tel (supra), ces solutions entretiennent le système clérical qu’elles veulent combattre. Danièle Hervieu-Léger rappelle que ce n’est pas – comme le dit le rapport de la CIASE – la « sacralisation excessive » qui a permis les abus mais la sacralisation tout court comme justification du pouvoir clérical. Elle parle « du dernier mur porteur du système romain ». Je repars de ce point fondamental pour poser ma thèse principale : oui à des ministères clairement identifiés et pensés à partir de l’envoi en mission par Jésus et de la spécificité de la fondation chrétienne dans l’Esprit ; non à la réduction de cet envoi à la forme du pouvoir sacré alors que ce même fondement l’interdit (tous et toutes sont également sanctifié(e)s par le même Esprit). Au préalable, faisons un petit retour à l’Église primitive.
Absence d'un modèle global
Aux 1er et 2e siècles, on observe principalement deux réalités :
1. Des communautés locales dirigées de manière collégiale par des anciens-presbytres (Tite 1,5-9) / évêques (1 Tim 3,1-6). Ce collège des anciens/épiscopal a une mission de veille du troupeau (Ac 20,28). Il est « établi » par les apôtres mais il dirige la communauté de façon autonome. Par exemple, il valide les ministères qui émergent de la communauté locale (1 Tim 4,14). Parmi ceux-ci figure le diacre adonné au « service de la table » (Ac 6,2-3) et aux plus démunis (service caritatif d’assistance). La direction collégiale prend les aspects suivants : partage de la responsabilité spirituelle, trouver les solutions ensemble, édification mutuelle, accepter les remises en question, contrôles réciproques, etc. Ces principes tendent à conjurer les tentations de découragement, le jugement, la dépression, l’isolement et le vide de gouvernance (il y a toujours un pasteur en cas de départ, décès…). Ce modèle est progressivement remplacé par le mono-épiscopat dès le 2e siècle en raison, notamment, de la lutte contre les doctrines gnostiques.
2. Des communautés locales en réseau (« Église locale ») dirigée par une autorité apostolique itinérante (Ep 4,11). La liste de 1 Cor 12,28-29 (apôtres, prophètes, docteurs et charismes) en demeure la référence principale au plan des ministères, toujours mobiles, parce que liés à la mission confiée par Jésus d’annoncer la Parole. Les « Apôtres » construisent le « corps du Christ » avec d’autres ministères qu’ils forment et envoient (Ep 4,12) pour soutenir le réseau des communautés. Paul a énormément travaillé de la sorte (avec Barnabas, Silas, Timothée, Apollos, Aquilas…) mais aussi Pierre et Jean (cf. dans les Actes).
Ce retour aux origines ne vise aucun archéologisme ou le « copier-coller ». L’exégèse montre bien qu’il n’y a pas de modèle global bien arrêté et nom-bre de nuances sont à poser (notamment concernant les évolutions du 2e siècle). Mais quelques normes générales sont à retenir tout de même : la gouvernance collégiale (chacun accepte de ne pas exercer toute l’autorité et de se soumettre au regard collégial de pairs) ; une autorité apostolique reconnue qui « établit » les dirigeants/« anciens », que la communauté s’est choisis, mais qui ne la dirige pas (cette double structuration équilibre l’autorité locale et supra-locale en évitant l’isolement sectaire de la communauté locale autant que la tentation pyramidale caractéristique des systèmes politico-religieux) ; un modèle de ministères collectifs, itinérants ou stables, prioritairement centrés sur l’annonce de la Parole (selon la recherche la plus sûre, pendant certainement 150 ans, les Églises se développent sans ministère épiscopal personnel et monarchique) ; l’examen rapproché des différents ministères alors en exercice ne fait apparaître aucun caractère sacré qui mettrait quel-ques-uns à part et au-dessus des autres à travers des prérogatives cultuelles.
Faisons un pas de plus pour découvrir les fondements théologiques de cette structuration des origines. La proposition contemporaine, à mes yeux la plus alignée sur cette réalité de l’Église primitive, est celle que Joseph Moingt esquisse dans un article fondateur[1]. Un préalable : tout comme Jésus ne perdait pas son temps et son énergie à vouloir créer une autre religion, mais invitait à prendre un autre point de départ – celui du Royaume –, pas plus Moingt ne s’évertue-t-il à combattre la division clerc/laïc, comme telle, mais à repartir d’une distinction évangélique plus fondamentale (que j’ai déjà fait apparaître) qui la relativisera de facto, à savoir l’articulation entre la Parole et l’Esprit, à considérer comme la « double source » des ministères dans l’Église.
L'annonce de la parole, non le rite
À la Parole correspond l’autorité apostolique chargée de l’annoncer ; la référence à l’Esprit fonde, de son côté, la légitimité de communautés auto-gouvernées :
La référence à la Parole renvoie à l’appel pour annoncer l’Évangile ; elle permet à l’Église de « faire histoire ». C’est pourquoi annoncer signifie circuler, non pas se fixer quelque part : l’exercice de l’autorité apostolique est itinérant, pas sédentaire ; il symbolise que Le Royaume vient. L’Esprit inscrit, dans cette Parole, la dimension fraternelle qui constitue l’Église en communauté : l’Esprit organise le corps à travers des ministères qui l’unifient (charismes, direction et eucharistie). Son action révèle que Le Royaume est déjà là. En termes de gouvernance, annoncer la Parole implique donc de favoriser et de reconnaître des communautés pour soutenir leur liberté et leur responsabilité de prendre leur part collectivement à son annonce. C’est le noyau dur de la mission qui, sans l’exclure, n’accorde aucune prédominance au culte, mais exclut, par contre, toute sacralisation. Cette « lacune » est le « signe » de l’égalité foncière de tous les chrétiens et fonde, des deux côtés, la nécessité de ministères déterminés prioritairement par l’annonce de la Parole, pas par le rite.
C’est ainsi que la Parole fonde le « ministère de l’Évangile », l’Esprit le « ministère des communautés ». Le premier tire sa source d’un appel personnel de la Parole elle-même à « garder le dépôt ». Il perpétue l’appel de Jésus aux apôtres sans être le sacerdoce séparé qu’il est redevenu dans la tradition. Ce ministère s’exerce par excellence au niveau de l’Église locale, conçue comme point de départ de la mission et espace d’articulation des communautés locales. C’est pourquoi il remplit deux charges : transmettre l’Évangile (tradition, prédication, rôle de régulation, de témoignage et de réflexion) et construire l’espace de l’Esprit pour rassembler l’Église (fonction de gouvernement) ; bref une double responsabilité d’universalité et de cohésion. Le second procède d’un appel de la communauté locale, reconnu par l’autorité apostolique, et confirmé par celle-ci ; il est une délégation d’un « pouvoir ministériel collectif ». L’Esprit sanctifie tous les fidèles et, pour ce motif, légitime des ministères qui permettent d’exercer leur « sacerdoce commun ». Il remplit aussi deux charges : sanctifier la communauté des dons de l’Esprit (enseigner, catéchiser, exhorter) ; l’organiser pour servir l’humanité (rencontre Évangile/société).
Des deux côtés existent, d’une part la nécessité d’une ordination (qui n’est pas une « consécration ») pour la présidence de l’eucharistie (son « ministre » est alors signe que l’Église est rassemblée, soit par la seule Parole, soit par la volonté de la communauté), et la possibilité de ministères non-ordonnés pour les autres services (par ex. pour la liaison entre communautés, au plan supra-local, et tous les services au niveau des communautés locales) ; d’autre part des pratiques sacramentelles mais qui n’ont rien de sacralisant. Ces deux aspects ne souffrent d’aucune division clerc/laïc.
Des chemins nouveaux s'ouvrent...
La proposition de Moingt lève bien des écueils liés à la structuration ecclésiale actuelle :
- Une « Église locale » (actuellement un « diocèse ») n’est pas un découpage administratif mais une communion de communautés. Celles-ci sont reconnues dans leur mission d’annonce de la Parole par l’autorité apostolique dont la mission première est d’entretenir leurs liens qui les constituent précisément en « Église locale », tout en les ouvrant à l’universel : on sort de « l’esprit de clocher ». Il va de soi qu’on y retrouve aussi la collégialité des deux côtés (collège apostolique – et pas mono-épiscopat – et « conseil des anciens » – à la place du prêtre solitaire).
- Tout ministère concerne l’annonce, la sanctification mais aussi les charges d’autorité et de gouvernement car, aux origines, les fonctions de direction sont conçues en lien étroit avec les activités liturgiques et sacramentelles des communautés, sans être réservées à des clercs, par définition inexistants à l’époque. Actuellement, la « participation » envisagée des « laïcs » se limite toujours à des tâches subalternes à caractère « profane », jamais à la charge apostolique, puisque celle-ci a été sacralisée et donc, rendue inaccessible a priori, à qui n’embrasse pas la voie et la discipline ecclésiastiques. La distinction opérée (ministère de l’Évangile/des communautés) n’est pas liée à une différence de pouvoir ou de dignité mais aux seuls besoins de l’Église (universels ou particuliers).
- Une juste distance s’installe entre les « prêtres » et les communautés locales. Le « prêtre », ordonné par l’autorité apostolique, ne gouverne plus la communauté : il aide ladite autorité dans l’accompagnement missionnaire de communautés d’un genre nouveau, non prioritairement vouées au culte. Pour ce motif, son rôle touche à l’organisation de la communion des communautés et ne revêt pas les privilèges sacrés que la clergification lui a octroyés dans la tradition ultérieure. Il n’est plus besoin de « remplir un cadre de fonctionnaires du culte », là où existe une paroisse, puisque l’autorité suscite et accompagne des communautés librement constituées. De leur côté, les chrétiens retrouvent de l’indépendance par rapport aux prêtres puisque ceux-ci ne dirigent plus la communauté et que les premiers peuvent se choisir eux-mêmes leurs ministres. La communauté fait reconnaître son responsable élu par l’autorité apostolique et sollicite son « ordination » dans cette mission qui inclut la présidence de l’eucharistie. Elle agit de manière autonome et responsable comme lieu de rencontre entre l’Évangile et la société. Elle n’agit jamais – ou ne disparaît – « à défaut de prêtre ».
La finale de la dernière homélie de Jacques Gaillot comme évêque d’Évreux pourrait bien rejoindre prophétiquement cette orientation de fond appelée à se traduire structurellement :
Quand un peuple prend la parole, des chemins nouveaux s'ouvrent. Des initiatives se prennent.
Quand un peuple prend la parole, il n'y a plus de peur ni de crainte, mais des énergies neuves qui se déploient partout.
10 juin 2023
Jean-Pol Gallez
[1] Cf. Études, 339 (1973), p. 129-141, 249-261 et 441-456. Elle fut continuellement travaillée jusque dans ses ouvrages de maturité (cf. notamment Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, 2007, p. 836-851). Je la recontextualise dans un article consacré à son ecclésiologie (cf. Recherches de Sciences Religieuses, 110/1, 2022, p. 69-86).
[2] Annonçons déjà la sortie du prochain livre de Jean-Pol Gallez prévue le mois prochain :
Jen- Pol Gallez, Humaniser selon l’Évangile : clés de lecture pour comprendre Joseph Moingt, éditions Karthala. (NDLR)