RivEspérance 2024 : Quelles spiritualités pour demain ?
Marie-Christine Terlinden-Snoy
Publié dans CEM n°142 (3/2024)
Sens et engagement
La rencontre a commencé par un débat le vendredi soir entre plusieurs intervenants tous vraiment intéressants : Laurence Flachon, Charles Delhez, Malika hamidi, Pablo Servigne, Pierre-Paul Renders, Marion Muller-Colard, André Füzta et Rachid Benzine.
Samedi matin plus de 1000 participants se sont retrouvés pour assister à la journée.
Le premier débat concernait l’éco-spiritualité et mettait en dialogue Pierre-Paul Renders et Pablo Servigne, tous deux très différents dans leur approche spirituelle, en tout cas au départ, mais ayant vécu tous les deux un accident grave qui les a confrontés à la mort jeunes . Pablo a insisté sur les liens entre la tête, le corps et le cœur, entre l’intériorité et le monde extérieur. Il nous a parlé de son évolution partant de ses émotions pour arriver à une spiritualité sans religion. Il a compris que le mental seul ne peut pas grand-chose si on ne touche pas le cœur ; il est même toxique ! Il a été, enfin, inspiré par « l’active hope » de Joanna Macy qui l’a mis en relation avec l’espérance dans les religions.
Pierre-Paul Renders vient, lui, d’une famille chrétienne : deux de ses frères sont dans les ordres. À 22 ans, il a eu un accident qui aurait pu être mortel et a été déterminant dans son évolution de même qu’un pèlerinage fait à 52 ans. C’est à ce moment-là qu’il a compris que sa tête était « tombée dans son cœur ». C’était à l’ascension 2015 ; il a ressenti ce que liberté et humilité voulaient dire ; le Pape François a publié à ce moment-là son encyclique Laudato Sí. Cela été un choc ! Peu après, une association lui a demandé de réaliser un film sur l’éco- spiritualité, ce fut « Des arbres qui marchent ». Ce film a eu un grand succès et lui a permis de créer de nombreux liens. Pour lui, la spiritualité est un engagement dans la légèreté. L’humilité consiste selon lui à créer en soi l’espace pour un miracle, c’est un endroit de liberté incroyable.
Tous deux ont beaucoup parlé de l’association « Le travail qui relie ». Qui relie à soi-même, aux autres, aux non humains et à tous ce qui nous dépasse, au sacré.
Ils estiment que nous sommes tous traumatisés par le capitalisme et ses effets dévastateurs, mais il y a trois antidotes à la peur : les liens, le sens et la joie.
Nous pouvons apprendre à vivre nos peurs et à les traverser.
Il y a une urgence absolue à créer ce lien entre l’écologie et la spiritualité, sinon nous courons à la catastrophe, à la mort en masse. Nous sommes, en effet, « drogués » au pétrole, au sucre, au sexe et nous vivons hors sol, anesthésiés.
Il nous faut lutter pour défendre le vivant en communautés, trouver des alternatives et changer de conscience ; ce qui revient à réconcilier le militant et le méditant.
C’est intéressant de guérir nos blessures car nous sommes « tous membres d’un seul corps ». Nous pouvons avoir recours à l’intelligence collective pour trouver des solutions car il sera nécessaire de s’appauvrir collectivement pour inventer un monde plus durable, plus juste et plus solidaire ; ce sera difficile et inconfortable mais cet inconfort sera incontournable.
Ensuite, un dialogue par deux nous a permis de répondre à la question suivante : face à cette désespérance, quels sont les ressources spirituelles sur lesquels je peux m’appuyer ? Ce fut un moment très positif et stimulant.
Les vertus du christianisme ressortaient : l’amour, la charité, la confiance et l’espérance dynamique.
« Ce qui dure, c’est le désir », disait Marion Muller-Colard, c’est-à-dire l’élan de vie qui passe de l’anthropocentrisme au biocentrisme, les collectifs qui cherchent de nouveaux rituels dans lesquels la Terre mère et les non humains sont davantage respectés dans un « activisme sacré ».
Après une petite pause, nous avons écouté un dialogue interreligieux au féminin entre Malika Hamidi, sociologue et chercheuse en féminisme musulman et Marion Muller-Colard, éditrice et auteure de nombreux ouvrages.
Marion a également insisté sur la nécessité de faire des liens et sur la nécessité du récit, comme l’indiquait la veille Rachid Benzine, islamologue, politologue, romancier, dramaturge et maître de conférences.
Marion a le goût des histoires. Elle nous raconte l’histoire de l’onction de Béthanie et nous dit que les femmes dans la Bible toujours du côté de la « vie qui déborde et non de la loi qui borde ». Alors que les disciples ne comprennent pas, Jésus prend le parti de la femme et demande aux hommes : « Pourquoi lui faites-vous de la peine ? »
Ce sont aussi les femmes, peut-être grâce à leur rapport à l’enfantement et donc à la finitude, qui acceptent d’abord la mort de Jésus. Elles comprendront aussi les premières sa résurrection.
Les femmes de la Bible sont prêtes à essayer, elles sont pleines d’élan et d’humilité.
Malika se situe dans un combat féministe et estime que la femme musulmane est prise entre la lecture littérale des textes et la lecture littérale de la laïcité. Elle prône une troisième voie qui est celle de la démarche de foi, de la militante pour le droit des femmes, de toutes les femmes. Elle estime qu’il est absolument indispensable d’éduquer les filles et de s’engager pour un changement.
Elle rappelle que dans les premiers temps de l’islam, les femmes étaient très importantes ; ensuite, des commentaires du Coran les ont fait disparaître.
À partir de 1990, elle dit qu’on peut parler d’un féminisme musulman qui se développe dans le sens que les femmes se réapproprient le Coran et le hadisme. Elles font un travail d’analyse de la transmission des hadiths. Plusieurs successeurs du prophète n’étaient pas fiables et ont transformé plusieurs hadiths pour des raisons politiques. Elle estime, quant à elle, que le foulard est un élément d’émancipation pour la femme.
Elle ajoute que les féministes ne touchent pas à la sacralité du texte, mais se réapproprient celui-ci par l’interprétation. L’excision par exemple n’a rien à voir avec l’islam ; beaucoup de hadiths ont été créés de toutes pièces. Il ne faut pas oublier que tout est une question de contexte et l’interprétation de ces vieux textes.
Elle estime qu’il faut croiser les féminismes chrétiens, musulmans et juifs et prendre des figures communes, par exemple Marie, et prendre conscience que l’autorité n’est pas genrée ! À quand des femmes musulmanes à des postes d’autorité dans l’islam ?
Marion estime qu’il y a un lien entre féminisme, justesse et justice ; les femmes ont été écrasées dans un monde globalement injuste. Pour le moment, nous assistons non pas à une guerre du religieux, mais à une guerre des religions. Elle voit un lien entre populisme et fondamentalisme. Il faut partir de ce que nous avons, le trésor est là car aucun de nous n’a un rapport objectif aux textes. C’est très important, dit-elle, de « changer de lunettes » car les femmes peuvent être « supra confessionnelles » et « sœurs » et lire les textes autrement que les hommes.
Après un repas très convivial et super bien organisé par une troupe de scouts, nous nous sommes rendus à différents ateliers qui étaient bien intéressants et stimulants aussi.
Nous n’avons pas assisté à la soirée de danse et de musique soufie mais nous en avons entendu les meilleurs échos !
Merci à tous les organisateurs pour cette belle initiative !
Marie-Christine Terlinden-Snoy (Communautés de Base)