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Quand la richesse engendre la pauvreté, au pays des collines

Philippe Liesse
Publié dans Bulletin PAVÉS n°79 (6/2024)

!

 

Qu’as-tu appris à l’école, mon fils, aujourd’hui ? 

J'ai appris que la guerre n'est pas si mal 
Qu'il y a des grandes et des spéciales 
Qu'on s'bat souvent pour son pays 
Et p't'être j'aurai ma chance aussi ! 

La chanson de Graeme Allwright pourrait être reprise à tire-larigot par tous les faucons de service dans les quatre coins du monde. Si les armes ne sont pas prêtes à se taire dans nos sociétés, il y a aussi celles qui font moins de bruit parce que nous avons tendance à les oublier. Il y a en effet des conflits que l’on préfère oublier en fermant les yeux ou en se bouchant les oreilles par souci géopolitique ou par simple intérêt économique. La chanson Sacré dollar le dit si bien :  

Pour ce petit bout de papier 
Qui peut tout acheter 
Je vois faire autour de moi 
N’importe quoi 
Pour toucher quelques billets... c’est vrai 
Tout le monde se battrait.  

Le Sud-Kivu ne fait pas démentir les problèmes de géopolitique et d’intérêt économique. La richesse en ressources naturelles, et plus spécialement les ressources minières, ont toujours été un point de référence stratégique pour le Congo. Mais les différences politiques de gestion du secteur expliquent les évolutions qui ont marqué l’extraction minière. Celle-ci pourrait être scindée entre une démarche industrielle et une démarche artisanale. L’une comme l’autre se déploie théoriquement sous la férule d’un code minier de 2002 remanié en 2018, mais la situation concrète mêle les deux démarches, ce qui implique que la genèse des minerais est difficile à spécifier.  

La richesse minière du Congo ne date pas d’hier. La colonisation belge a mis sur pied une série de sociétés minières qui ont fourni l’or, le diamant et l’uranium. La Belgique s’est enrichie, de même que certaines provinces du Congo (principalement le Katanga). Mais, le revers de la médaille tient à ce que cette évolution a été possible grâce à l’exploitation des travailleurs congolais.  

À la sortie de la période coloniale, le pays va être victime d’une série de bouleversements dont principalement la réduction du nombre d’entreprises minières[1]. En 1980, le président Mobutu va essayer de redonner vigueur au secteur, mais la population qui ne digère pas les changements faits de licenciements et de déplacements, va opter pour une exploitation artisanale qui viendra prendre le pas sur l’exploitation industrielle. Mobutu va réagir au quart de tour en centralisant le système minier et en qualifiant l’exploitation artisanale d’illégale. 

En 2002, un code minier (revu en 2018) va libéraliser le système et attirer des entreprises internationales. En réalité, ce coup de poker va indéniablement favoriser les investissements étrangers et ouvrir la porte à la corruption. Il n’y aura plus d’arbitre, chaque entreprise jouant selon ses propres règles[2].  Dans cette même logique, Joseph Kabila a choisi de se situer comme agent au service des investissements plutôt que comme agent actif. En 2018, un nouveau Code minier voit le jour pour compléter celui de 2002. De nouveau, cette révision a pour but de rendre le secteur encore plus compétitif avec un régime fiscal et douanier qui joue le jeu de l’investisseur. 

Aujourd’hui, les Chinois profitent d’une belle part du gâteau des provinces du sud, soit les trois quarts de la totalité des gisements alors que le quart restant est réservé à l’entreprise Glencore[3], au groupe Ventura[4], et aux Kazakhs d’ENRC[5]

Dans une étude de la situation[6], Béatrice Faban cite cette estimation effarante : Sur ces dix dernières années, l’État congolais n’a bénéficié que d’environ 20 % des dizaines de milliards générés chaque année par ce secteur. 

Si la situation des travailleurs miniers rime avec exploitation, la situation des femmes est encore plus catastrophique. Un tiers de la main-d’œuvre dans l’extraction minière est féminine. Aucune n’exerce une activité « responsable », mais toutes doivent se contenter d’activités subalternes, à savoir « porter » pour « laver, broyer et tamiser ». De plus, comme elles connaissent un degré d’alphabétisation souvent inférieur, elles sont comme un oiseau pour le chat : les abus sexuels et la prostitution sont monnaie courante. 

À côté des ressources minières, il y a un autre secteur qui aide les habitants du Sud-Kivu à « survivre » : l’agriculture. 

Si, selon la banque Mondiale, beaucoup de congolais[7] vivent en zones rurales et y travaillent la terre, ils y peinent à subvenir à leurs besoins car les récoltes, essentiellement destinées à l’alimentation humaine, sont vendues sur des marchés locaux. 

Il y a encore quelques grandes exploitations d’État, mais confiées à des hommes d’affaires, des nantis ou des Rwandais, qui administrent en « patrons » en laissant à des ouvriers la gestion sur le terrain.  

Si la terre bukavienne peut être qualifiée de sol fertile[8], la population connaît surtout l’insécurité alimentaire. 

Une alimentation équilibrée relève plutôt du rêve et ce sont les femmes enceintes et les petits enfants qui en sont les premières victimes. 

Si les dirigeants européens ne cessent de répéter qu’il faut viser une neutralité carbone pour 2050, le changement d’énergie passera par une extraction croissante de nombreuses matières premières : le lithium, le cobalt et le nickel pour fabriquer nos batteries, le cuivre pour les stations de recharge, le silicium comme principal composant des puces électroniques, des transistors et des circuits intégrés… et toutes les autres.  

Comme l’Union Européenne n’extrait aucun de ces minerais, il faut aller les « acheter » ailleurs, et notamment en RDC, mais dans le cadre d’une opération commerciale intéressante… pour l’acquéreur ! 

Au-delà de l’intérêt purement économique, il y a la situation politique qui vient interférer tout en laissant la communauté internationale dans l’expectative. Trente ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, il y a de nouveau des combats meurtriers au Kivu, entre des forces congolaises et des milices armées du mouvement M23. Ce mouvement du 23 mars 2012 engloberait 2500 membres, surtout Tutsi. 

Le président congolais Tshisekedi affirme que ce groupe armé est soutenu financièrement et matériellement par le Rwanda. 

La France et les USA ont demandé à Paul Kagame que le Rwanda « cesse tout soutien au M23 et se retire du territoire congolais ». Le gouvernement
congolais soutient que le Rwanda cherche à s’emparer des minerais congolais dans une région qui s’affiche comme grande pourvoyeuse de coltan.  

Mais l’ombre du conflit ethnique habite aussi la région. En 1994, beaucoup de réfugiés hutu rwandais ont fui vers le Kivu, par peur des représailles de Kigali. La plupart sont rentrés au Rwanda mais Kigali a affiché une réaction musclée depuis le génocide devant cette présence de ceux que les autorités rwandaises appellent des « extrémistes hutu ». De son côté, le M23 ne cesse de clamer qu’il veut défendre les populations tutsi congolaises. 

Pouvons-nous changer quelque chose face à cette situation ? 

Si une grande partie des métaux provenant du sol congolais sont nécessaires à nos biens de consommation en Europe, nous sommes donc aussi responsables dans les choix de vie : la « solidarité » en lieu et place du « chacun pour soi ». 

Cette solidarité suppose des réformes efficaces dans un questionnement sur nos besoins, et notre liberté énergétique. 

Un Congo producteur pour une Europe consommatrice ? Comment instaurer un rapport vraiment humain en lieu et place d’une attitude néo-colonialiste ! 

Graeme Allwright chantait :      Qu'on s'bat souvent pour son pays 
Et p't'être j'aurai ma chance aussi ! 

La chance ne serait-elle pas plutôt associée au fait de ne pas connaître la guerre. Si tu veux la paix, sois sur tes gardes, prépare la guerre, disent certains politiciens. Si l’on disait plutôt que la justice est un gage de paix. Alors, si tu veux la paix, engage-toi sur un chemin de justice qui fera naître la solidarité ! 



Philippe Liesse

Notes :

[1] Elles ne seront plus que 7.

[2] Kane Coumba, Mines en République démocratique du Congo. Un pillage qui réduit une partie de la population à une forme d’esclavage, dans Le Monde du 03/10/2021.

[3] Entreprise anglo-suisse.

[4] Groupe de l’israélien Dan Gertler.

[5] Eurasian Natural Resources Corporation, multinationale britannique d’origine kazakhe.

[6] Faban Béatrice, Semaine minière de la RD Congo : du business sur les épaules des plus vulnérables ? Analyse Justice et Paix, août 2018.

[7] Plus de 60 %.

[8] Climat humide et chaud.



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