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Quelle démocratie dans l’Église ?

Pour une séparation et un autre exercice des pouvoirs

Joseph Pirson
Publié dans Bulletin PAVÉS n°80 (9/2024)


Les perspectives esquissées pour le mois d’octobre soulèvent pas mal de questions qui vont de la perte complète d’illusions à l’engagement confiant pour malgré tout engendrer des avancées par rapport à un type d’organisation qui reste largement marquée par les modèles monarchique et féodal. Cela dit sans mythifier aucune période, y compris la vie des premières communautés. Il y a plus de vingt ans déjà, l’exégète Gerd Theissen a, dans une approche sociohistorique très documentée, tenté de reconstituer la vie et la pensée des premiers chrétiens pour les faire connaître également à celles et à ceux-là qui ne partagent pas la conviction chrétienne : dans le sillage de Jésus, le christianisme se profile précisément à partir du judaïsme dans lequel il s'enracine et dans un environnement qu’il contribue à refaçonner[1].

L’historien bien connu Jean Pirotte a longuement mis en évidence par ses nombreuses contributions lors de colloques, à travers des publications scientifiques, ou dans des interventions vers de plus larges publics, le caractère pluriel de l’Église dans les diverses régions du monde. Il a rappelé à plusieurs reprises que l’Église catholique n’était pas, par essence, destinée à se structurer selon les modèles monarchique et féodal déjà cités. Il a fallu attendre le Concile Vatican II pour que l’enseignement officiel de l’Église érige en principe de base la liberté religieuse, et adhère pleinement à la société démocratique, même si plusieurs spécialistes de l’histoire contemporaine ont soin de distinguer le conservatisme de Grégoire XVI ou de Pie IX, des attitudes pontificales de Léon XIII à Pie XII, et ont scruté l’évolution des postures de la hiérarchie catholique, notamment en France et en Belgique[2]. Paradoxalement l’affirmation du caractère universalisable des Droits Humains apparaît largement liée aux valeurs évangéliques et au refus de la suprématie des pouvoirs économi-ques et politiques qui exercent diverses formes d’oppression[3].

Avec la conscience de rester beaucoup trop bref dans cet article, je propose toutefois de mettre en exergue un élément caractéristique de la démocratie : la séparation des pouvoirs. Il n’est pas dans mon propos de calquer l’organisation ecclésiale sur la société civile globale. D’autres articles mettent en évidence les failles de notre système. Il ne s’agit pas davantage de considérer nos états modernes comme des sociétés sans failles. Il est toutefois essentiel de repérer ce qui peut aider à inclure un maximum de personnes, sans laisser des groupes au bord du chemin ou dans le déni et le rejet de leur "humanité".

De manière plus précise, deux exemples récents m’ont paru requérir l’attention : le traitement différencié de certaines situations locales et la prise en compte d’une dynamique conflictuelle qui n’exclue aucun des protagonistes !

Nous savons qu’une des tensions démocratiques est la séparation drastique entre pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Ce contrôle réciproque des différents pouvoirs permet de garantir un équilibre qui reste toujours précaire et qui, malgré tout, garantit la possibilité de "reconnaissance" pour reprendre un terme au cœur de la philosophie d’Axel Honneth[4]. Cette dimension est amenée aujourd’hui à prendre en compte la dynamique d’individuation des rapports sociaux et l’importance d’un souci collectif qui relie et permet échanges et construction commune.

À partir des sources d’information disponibles, nous pouvons observer une confusion des rôles dans la gouvernance et la gestion des conflits, en particulier quand émergent des litiges au plan local et des divergences fortes dans l’organisation des paroisses. Toutefois les procédures utilisées dans le cas de Cour-sur-Heure[5] et dans celui de Buizingen[6] ne paraissent pas identiques. D’un côté la communauté créée au départ autour de Bruno Delavie a été brutalement éjectée au nom de l’unité d’Église et du « refus d’un club qui essaie de survivre ». Du côté de Buizingen, le Vicariat du Brabant Flamand (archevêché de Malines-Bruxelles) « a constaté avec l’équipe paroissiale de Don Bosco Buizingen que des différences majeures subsistent, principalement dans la vision de la célébration et de la présidence des sacrements. Vu le caractère fondamental des divergences, l’Archidiocèse de Malines-Bruxelles a décidé que Don Bosco Buizingen ne continuerait pas à exister en tant que paroisse dans la zone pastorale de Halle. L’opération Don Bosco Buizingen peut désormais fonctionner comme une communauté de foi ou une organisation indépendante »[7].

Le Vicariat du Brabant Flamand précise que des modalités sont recherchées afin de permettre à la fois à cette communauté très vivante de poursuivre ses activités et de construire une vision ecclésiale commune. Cette affirmation peut ouvrir à une réelle fécondité si les réflexes cléricaux sont abandonnés au profit d’un souci du Commun évangélique. La question est ouverte, même si mon pessimisme reste latent.

Notre Église est confrontée aujourd’hui à deux défis : permettre l’expression autonome et construire une dimension communautaire enracinée et fidèle à toutes les dimensions de l’Évangile à la suite de Jésus-Christ. L’expression autonome concerne en particulier les associations et ONG comme Action Vivre Ensemble - Entraide et Fraternité, Justice et Paix que certains responsables considèrent comme extérieurs à la "vie pastorale", ainsi que les mouvements et services d’éducation permanente pour jeunes et adultes.

La dimension communautaire est intimement liée à la Fraternité et à la capacité de rayonner aujourd’hui en toute humilité et vérité. J’ai été personnellement très touché par le livre du Père Benoist de Sinety (actuellement curé à Lille, après avoir démissionné de sa fonction de vicaire général de Paris), par ses réflexions fortes sur la fraternité et ses propos incisifs contre la haine, le racisme et l’antisémitisme au moment des élections en France[8]. J’ai été également très sensible aux propos d’une jeune collègue, Laurianne Terlinden, en février dernier, à propos de la démarche synodale : « un rôle d’exemplarité dans tous les éléments que l’Église peut amener pour rentrer dans d’autres dispositions (de gouvernance) »[9].

Cet article se veut un élément de réflexion en vue de discussions, non dans la prétention à dicter ce qu’il faudrait faire, mais dans la conviction des enjeux de vivre aujourd’hui de manière sereine et vigilante face à tous les pouvoirs qui écrasent et les forces de mort. Comme l’a énoncé à plusieurs reprises Michel Molitor, quand il était vice-recteur de l’UCL et comme président d’Action Vivre Ensemble - Entraide et Fraternité : « veiller à rendre efficace l’histoire de l’Évangile » dans un monde pluriel, au-delà des violences et dans la conscience d’être toutes et tous des terriennes et des terriens[10].


Joseph Pirson

Notes :



[1] Gerd Theissen, La Religion des premiers chrétiens : Une théorie du christianisme primitif, Cerf, 2002.

[2] Voir en particulier Gaston Pietri, Le catholicisme à l’épreuve de la démocratie, Paris, Cerf, 1997. Voir également les travaux de Luc Courtois à l’UCL, notamment dans le Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques, après le Professeur Roger Aubert.

[3] Ces perspectives ont été largement évoquées à partir des travaux de Jürgen Habermas, d’Axel Honneth et de Hans Joas.

[4] Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Gallimard Essais folio, 2013. La première édition en allemand, Ein Kampf um Anerkennung, est parue en 1992.

[5] Paul Mayence, Un cri d’alarme, dans notre revue n° 71 de juin 2022 : https://paves-reseau.be/revue.php?id=1945

[6] Pierre Collet, Pourquoi punir Don Bosco à Buizingen ?, dans notre revue n° 79 de juin 2024 : https://paves-reseau.be/revue.php?id=2202

[7] Conseil Vicarial du Vicariat du Brabant Flamand et de Malines. Un document complémentaire est paru dans Cathobel 17/04/2024 pour illustrer la vie et les célébrations dans la Communauté. Manquent pour Cour-sur-Heure les documents qui permettraient d’établir la même clarté.

[8] Benoist de Sinety, La fraternité sinon rien. La force transformante de l’Évangile, Paris, Salvator, 2021.

[9] Laurianne Terlinden est docteure en sciences de gestion (UCL) et est enseignante à la KULeuven et à l’UCLouvain.

[10] On lira notamment à ce propos l’excellent essai du docteur Reginald Moreels, Is de mens slecht ? Essay over goed en kwaad, Halewijn Antwerpen, 2017. Voir également le remarquable ouvrage d’Achille Mbembe, La communauté terrestre, La Découverte, Paris 2023.





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