Cher pape François
Philippe Liesse
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues
Cher pape François,
Monsieur le pape François,
Frère Évêque de Rome,
Je ne sais pas comment m’adresser à vous, mais je sais certainement quelle formule je refuse d’utiliser ! Certains vous appellent « Père », « Saint-Père », voire même « très Saint-Père ». Cette manière de vous adresser la parole me semble inappropriée, et ce par respect pour mon propre papa, désuète, car je suis papy, et pied de nez à l’Évangile, car il y est écrit : N’appelez personne votre « Père » sur la terre car vous n’en avez qu’un, le Père céleste (Matthieu 23, 9).
Si je m’adresse à vous aujourd’hui, c’est pour vous dire combien votre visite en Belgique me conforte dans mon choix de ne pas m’aligner, au vu des questions qui me taraudent.
Si j’ai apprécié votre volonté, soulignée avec insistance, de traquer les responsables d’abus sexuels commis au sein de l’Eglise, dois-je comprendre que vous condamnez aussi tous ceux qui ont essayé de cacher d’un paravent ces abus ? Je pense tout spécialement à l’un de vos prédécesseurs… qui a même été élevé au rang de « saint » !
J’ai apprécié votre intervention à Leuven, et votre exhortation à ne pas succomber à l’acédie, cet état d’apathie qui fait que l’on ne se soucie pas de sa présence au monde et de son rapport à l’autre ! Lorsque j’ai été ordonné diacre, le diaconat permanent était présenté comme un ministère du « Seuil ». Il était question d’un ministère d’Église qui va vers les autres, pour vivre avec eux une pleine humanité, une Église qui offre sans politique de recrutement. Je crois que c’est vous qui avez dit un jour que le Christ frappe à la porte non pas pour entrer mais pour « sortir » !
J’ai eu l’immense chance de travailler, comme professeur de religion, dans l’Enseignement officiel. J’ai pu rencontrer dans ce milieu laïque une dimension d’humanité que je n’imaginais pas. J’ai toujours eu envie de creuser profond dans la découverte de la laïcité pour y vivre le partage des valeurs humaines. Je pressentais déjà à l’époque ce choix du Christ de frapper à la porte pour « sortir ».
Quant à Louvain-la-Neuve, vos prises de position sentent le rassis. À la suite de vos prédécesseurs, vous insistez sur la spécificité féminine qui est « tendresse et accueil », une manière toute cléricale de rappeler que seul l’homme peut agir in persona Christi.
Dans le fond, disait une femme engagée dans la vie chrétienne : « Il nous prend pour des vaches à lait » !
Quand allez-vous prendre au sérieux la parole de Paul aux Galates (3, 28) : Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.
Et le fait de nominations de femmes à des postes importants, fût-ce comme déléguée épiscopale, ne change rien au problème tant que la femme ne sera pas doctrinalement reconnue comme pouvant agir in persona Christi.
Et le synode organisé en octobre 2024 ? Pourquoi avez-vous botté en touche les questions qui concernent justement l’accession des femmes aux ministères, le célibat des prêtres, le rapport laïc-clerc. Et pourquoi avez-vous accepté que l’on accuse de « protestante » l’Église d’Allemagne qui s’est présentée comme une véritable Église synodale ? Le fait d’être protestant serait-il une tare ? N’avons-nous pas plutôt un exemple d’une vraie « synodalité » ?
Je regrette évidemment votre comparaison des médecins qui pratiquent un avortement avec cette image du « tueur à gages ». Ceci me semble un profond manque de respect pour des femmes et des hommes qui mettent leur vie et leur savoir à soulager celles qui vivent une grossesse inconcevable.
La position « éthique » ne peut tolérer des prises de positions rudimentaires et manichéennes. Elle exige plutôt de la délicatesse et du refus de juger ! C’est l’Évangile qui dit : Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés. Car du jugement dont vous jugez on vous jugera (Matthieu 7, 1).
Quant à votre projet de « sanctifier » le roi Baudouin, laissez-nous le soin de vivre avec nos saints, ceux de notre quotidien, ces visages que nous voulons intérioriser parce qu’ils nous ont séduits. Et ils sont nombreux ! Est-il vraiment nécessaire de garnir les églises en érigeant des statues. Ne risque-t-on pas de sombrer dans des attitudes superstitieuses ?
Voilà, pape François, ce que j’avais envie de vous dire aujourd’hui, au nom de tous ceux qui sont déçus par votre visite en Belgique, de toutes celles et ceux qui sont prêt(e)s à prendre un chemin de conversion ecclésiale dans leur effort d’être des disciples de Jésus.
Le 3 octobre 2024
Philippe Liesse
Philippe Liesse, diacre permanent
Membre du comité de rédaction de la revue PAVÉS - Pour un Autre Visage d’Église et de Société.