Odyssées
Jean-Marie Culot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°80 (9/2024)
Causer ‘poussières’ ? Vous y intéresser ? L’affaire est risquée. Qui plus est, poussières d’étoiles ! C’est que l’on peut sortir de la lecture de L’odyssée cosmique, une histoire intime des étoiles[1], avec le sentiment d’avoir compris - surprise, reconnaissance et plaisir ! éric LAGADEC, attaché à sa Bretagne natale, s’est rapidement choisi comme spécialité ‘les poussières d’étoiles’, courant le monde des observatoires des Alpes à la Mecque du Chili, de Hawaï au Mont Wilson, y rejoignant les équipes - rencontres chaleureuses, anecdotes savoureuses.
Aujourd’hui chercheur et enseignant à Nice, président de la Société française d’astronomie et d’astrophysique, il nous propose cet ouvrage rapide, de lecture aisée et bien agréable. L’on y avance au rythme de courts chapitres où l’on apprécie le talent du pédagogue de partir des difficultés de l’élève ou du lecteur, d’expliquer simplement ce qui peut sembler touffue abstraction. Il nous fait partager projets, défis, émotions (les longues attentes, puis un jour, le cliché révélateur, libérateur), découvertes, confirmations offertes par les puissants télescopes navigant désormais dans l’espace. Et l’on découvre sa détermination enthousiaste à promouvoir la recherche en astrophysique, au Sénégal, notamment. Double odyssée, de l’univers et de l’auteur. Son père, rappelle-t-il avec émotion, était conteur breton.
S’enchaînent les questions, en fait les nôtres, en 13 chapitres dont
La nébuleuse de l’Œuf sur le plat – Comment la lumière nous dévoile les secrets de l’Univers ;
Le fond diffus - Comment l’Univers s’est formé après le Big Bang ;
La galaxie d’Andromède - Comment l’humanité a compris que l’Univers était en expansion ;
PDS 70 - Comment sont nées les étoiles et les planètes ;
La nébuleuse de l’Hélice - Comment les étoiles meurent ;
La Terre - Comment la planète bleue s’est formée…
Un cahier central regroupe 37 photos évoquant épisodes personnels et découvertes scientifiques notables: (n°1) les monts d’Arrée de la Bretagne chérie ; (3 et 4) les observatoires géants du Chili ; (13) la poussière dans notre Voie lactée ; (20) « la première image directe d’une étoile en train de se former » ; (22) « La pouponnière d’étoiles ; des étoiles se forment dans cet immense nuage de poussière et de gaz de plusieurs années-lumière de long » ; (28) « … à 650 années-lumière de nous, une étoile en train de mourir en douceur. Cette lente agonie est splendide et crée la nébuleuse de l’Hélice, qui mesure 5 années-lumière de large ! » ; (29 à 31) « Quelques images d’une mission sur le terrain au Sénégal pour observer l’astéroïde Polymèle. En haut, l’orage gronde quelques heures avant l’observation que l’on a mis des mois à préparer… » ; (37) « Cette image est sans doute l’une des plus extraordinaires jamais prises. Le 29 juillet 2013, … (je vous en laisse la surprise) ».
Mais, à propos, pourquoi les poussières ? En un mot, en basique : l’espace du Big Bang, incommensurablement chaud, composé seulement d’hélium et d’hydrogène, comme notre soleil aujourd’hui encore, était ‘invivable’. Il a fallu qu’il refroidisse et ce sont les réactions nucléaires ‘effroyables’ des morts d’étoiles qui créent d’autres atomes, plus lourds – toute la soupe de Mendeleïev – dont sont faites les nouvelles étoiles et leurs planètes … et parfois, des êtres vivants, les dinosaures, et vous, et votre chat. Selon le joli mot d’Hubert Reeves, nous sommes de la poussière d’étoiles. Émotion de l’équipe, un soir, d’observer en direct une déflagration d’étoile et l’expansion du nuage de poussières dont naîtront de nouvelles étoiles et leurs planètes, peut-être de nouvelles vies.
*
En ce contexte, un appel. À l’enthousiasme des scientifiques répond la ferveur des croyants. C’est dans son geste créateur que se révèlent avec évidence la bienveillance de Dieu et sa munificence, le Petit Catéchisme de Namur m’en avait convaincu. Et à chaque relecture du sublime poème de la Genèse, remonte ce profond sentiment de reconnaissance – traversé désormais d’injonctions à la responsabilité.
Mais éprouvez-vous aussi, à la lecture d’énoncés contemporains de la ‘Création’, cette difficulté à les croiser avec les énoncés scientifiques, soupçonnant une paresse à se satisfaire des antiques schémas mythologiques d’un univers centré sur notre humanité : la Terre en jardin créé mais pour nous, la voûte céleste mais en décor somptueux et, pour nous encore et proposées en symboles de la transcendance, les gigantesques déflagrations d’étoiles mourantes et les insondables abymes ?
Sans doute la spiritualité cherche-t-elle à s’énoncer dans un langage symbolique et poétique, dans les mythes notamment, et aide-t-elle à pressentir l’inaccessible. Nous entendons bien l’invitation pressante de François à bénir notre Terre, à la conduire à un accomplissement : « L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle. Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures. La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur[2]. »
Mais ce n’est pas sans perplexité que nous avons à rejoindre ces perspectives alors que la culture générale ambiante a assimilé, depuis longtemps déjà, celles proposées par les scientifiques :
- que notre grande Bleue, chérie, qui avait dû se refroidir pour susciter la vie, va surchauffer, grillant l’humanité[3], et ce serait d’ici quelque 500 millions d’années. Ou plus tôt si nous n’y veillons. Il n’y aura pas d’archives. Fin de l’humanité, déjà, du moins de la nôtre[4] !
- qu’un peu (!) plus tard, ayant consommé son énergie, le soleil implosera, rejoignant avec ses planètes dissoutes d’autres nuages de poussières, promesse de nouvelles étoiles en compagnie de nouveaux satellites.
- que l’Univers lui-même, ‘né’ chaud, très ! il y a quelque 13,8 milliards d’année, se disperse depuis en galaxies fugueuses et se refroidit, épuisant son énergie ; qu’il pourrait finir en une immense soupe froide de particules. Comme avait grommelé le pépé voisin, rangeant sa canne : « C’était bien, mais c’est fini ! »
Appel à l’aide, donc ! Nous serions bien reconnaissants envers nos théologiens – mais, en nos jours incertains où les dogmes ont moins la cote que l’histoire des temps évangéliques et où, au regard de l’organisation ecclésiale, tout sacré se trouverait vite atteint de suspicion, nous aurions plutôt à nous adresser à des maîtres en spiritualité –, serions reconnaissants donc de nous aider à discerner puis à formuler, quant à la Création, que croire ou comment croire aux jours d’aujourd’hui. En attendant, offrez-vous quelques heures réjouissantes en rejoignant dans ses odyssées Éric Lagadec, chercheur enthousiaste de poussières d’étoiles et talentueux conteur.
Jean-Marie Culot (Hors-les-murs)
[1] Éditions du Seuil, 2023, 192 pages.
[2] Laudato si, 83. La note 53 explicite l’inspiration : « L’apport de P. Teilhard de Chardin se situe dans cette perspective ».
[3] En Wikipedia, la rubrique ‘Terre’, paragraphes ‘Futur’ et ‘Fin’. Voir aussi ‘Âge de l‘univers’. Et…
[4] Depuis la découverte de nombreuses exoplanètes, l’hypothèse de vies ‘ailleurs’ devient de plus en plus plausible, et donc d’humanités, déjà disparues, contempo-raines ou à venir. Et inquiètes, elles aussi, de salut et de paternité divine ?