Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

L’Église doit passer à une forme plus mature du christianisme

entretien de Malo Tresca

Tomás Halik
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Entretien. Chaque jour précédant le conclave, La Croix s'entretient avec des personnalités de l'Église du monde entier sur les principaux défis auxquels sera confronté le prochain pontificat. Aujourd’hui, nous entendons le théologien et spécialiste des religions tchèque Tomas Halik.

Par Malo Tresca

Le théologien et sociologue tchèque des religions Tomas Halik dit que l'Église catholique doit se réveiller de sa sieste“ et adopter une forme plus mature de christianisme. Dans une interview accordée à La Croix, Halik a décrit le moment actuel de l'Église comme un moment “crise de la quarantaine” qui appelle à la profondeur spirituelle plutôt qu'au pouvoir institutionnel.

Pas de nostalgie de la chrétienté médiévale ou des guerres culturelles, ni de conformité progressiste au monde », a déclaré M. Halik, auteur de renommée internationale qui enseigne la sociologie à l'université Charles, dans la capitale tchèque. Citant l'appel à l'aggiornamento lancé par Vatican II, le prêtre catholique tchèque insiste pour que l'on mette à nouveau l'accent sur la synodalité, l'écoute et le discernement. « L'Église doit devenir un sacrement - à la fois un signe et un instrument - de l'unité de l'humanité et de l'harmonie de notre famille mondiale avec toute vie sur Terre », déclare-t-il. M. Halik, ancien dissident soviétique, a ouvert la phase continentale du synode sur la synodalité à Prague


La Croix : Perte de crédibilité, désaffection des fidèles, scandale des violences sexuelles ou abus spirituels, position minoritaire dans une société où l'incroyance et l'athéisme dominent... Dans votre livre "L’Après-midi du christianisme", vous posez un diagnostic sans filtre sur la situation de l’Église. À quelle étape de son histoire en est-elle ?

Tomas Halik : Dans ce livre, j’applique à l’histoire du christianisme la métaphore que Carl Gustav Jung a utilisée dans son interprétation du développement des individus : l’enfance et la jeunesse sont le « matin de la vie », puis vient la « crise de midi », crise du milieu de vie, et son dépassement permet la transition vers l’« après-midi de la vie », le temps de la maturité. J’ai écrit que l’ère prémoderne était un « matin », un temps de construction de structures doctrinales et institutionnelles. Les périodes suivantes, y compris les Lumières, la modernité, la sécularisation, les critiques de la religion et les scandales récents ont érodé beaucoup de ces certitudes. Il est maintenant temps de se réveiller de la « sieste », d’apprendre des crises et de passer à une forme plus profonde et plus mature du christianisme. Pas de nostalgie pour la Christianitas médiévale, pas de « guerres culturelles », mais pas non plus de conformité « progressiste » bon marché au monde extérieur, mais un « voyage vers les profondeurs ».

Comment le prochain pape pourrait-il œuvrer à cette transformation ?

T. H. : J’ai écrit un livre de lettres fictives au prochain « pape Raphaël », qui devrait être non seulement le chef de l’Église catholique, mais le serviteur de l’unité de tous ceux qui veulent adorer Dieu non seulement dans tel ou tel sanctuaire (Église, culture, religion), mais « en Esprit et en vérité ». Cette unité ne peut jamais être pleinement réalisée dans l’histoire de l’humanité. Nous ne pouvons être qu’une communauté de pèlerins qui, par l’écoute et le respect mutuels, cherchent à élargir leurs perspectives nécessairement limitées et à s’enrichir mutuellement de leurs différences. Nous devons toujours rejeter la tentation du « narcissisme collectif », l’idée que les détenteurs de monopole possèdent toute la vérité.

Ce chemin commun (synodalité) initié par le pape François doit aller au-delà de la communication au sein de la seule Église catholique ou du christianisme. Cela nécessite une compréhension dynamique et processuelle de Dieu, qui « est tout en tous » et, en même temps, en tant que mystère inépuisable, transcende infiniment toutes les catégories de nos définitions, théories et concepts. Le développement du christianisme présuppose une compréhension de l’histoire de l’Église comme un « événement continu de résurrection ». « Le Christ toujours plus grand » constitue encore « l’Église toujours plus grande », maintenant non pas au sens d’expansion territoriale, mais dans l’esprit d’une expansion constante de ses frontières mentales et d’une compréhension toujours plus profonde de son identité. Je le répète : de manière synodale, le christianisme peut émerger de sa « sieste » et s’éveiller à un chapitre plus mature, d’« après-midi » de son histoire.

En Occident, quel équilibre l’Église peut-elle trouver entre l’adaptation à des sociétés sécularisées et la préservation de son message spécifique, sans tomber dans une contre-culture stérile ou la dilution de son identité ?

T. H. : Pendant la modernité, l’Église a perdu sa capacité à communiquer de manière créative avec d’autres systèmes de la société, à mesure que la science, la philosophie et l’art se développaient. Au concile Vatican II, elle a tenté un exode du système fermé du catholicisme vers la catholicité, l’universalité, l’ouverture œcuménique et la capacité d’une inculturation plus profonde du christianisme dans les cultures non européennes. Cependant, la tentative de réconciliation avec la modernité et d’intégration des valeurs positives de la culture moderne est venue trop tard, à un moment où la modernité touchait à sa fin. De plus, beaucoup de progressistes ont compris l’appel à l’aggiornamento superficiellement comme une simple conformité acritique à l’esprit du temps et comme une braderie bon marché de la tradition. Les traditionalistes, d’autre part, n’ont pas compris que la tradition est un processus vivant de recontextualisation responsable et de réinterprétation créative de la foi, et une compréhension continue, toujours plus profonde de l’identité dynamique du christianisme.

Les deux ailes ont trop mis l’accent sur les structures institutionnelles et doctrinales et ont sous-estimé la nécessité de développer la dimension spirituelle profonde de la foi. Le langage de l’Église (au sens large du terme) a cessé d’être intelligible en dehors du jeu de langage de l’Église institutionnelle, et le cléricalisme – une compréhension de l’autorité spirituelle basée sur le pouvoir – a conduit à des affaires scandaleuses impliquant l’abus de ce pouvoir. Tout cela a contribué à la perte de crédibilité de l’Église et à l’exculturation continue du christianisme.

Comment établir un dialogue authentique avec les chercheurs spirituels et les non-croyants ?

T. H. : Dans la communauté croissante des « sans » (personnes non identifiées à la religion organisée), il est nécessaire de distinguer les athées convaincus des agnostiques, les apathéistes (personnes indifférentes à la religion) des chercheurs spirituels. Dans le contact vital entre l’Église et ce nouveau continent, l’Église ne peut pas employer les méthodes classiques de mission. Cependant, elle doit commencer par l’écoute et la recherche d’un chemin commun (syn-hodos, synodalité), dans l’esprit de l’encyclique Fratelli tutti. L’Église doit être un sacrement (symbole et instrument efficace) de l’unité de toute l’humanité et de l’harmonie de la famille humaine avec les autres espèces de vie sur notre planète. Cette unité ne sera parfaitement réalisée qu’in eschato (« pas au milieu de l’histoire »), mais il est déjà nécessaire d’y travailler en franchissant les frontières mentales et culturelles. Pierre Teilhard de Chardin a écrit : « Je crois que l’Église est encore un enfant. Le Christ dont elle vit est immensément plus grand que l’Église ne peut même l’imaginer » (Le Cœur de la matière). Je veux faire de cette phrase la source d’inspiration de mon nouveau livre.

Montée des nationalismes, des populismes… Comment l’Église peut-elle continuer à jouer un rôle prophétique devant l’instabilité géopolitique ?

T. H. : Le rôle prophétique réside dans l’art de lire les signes des temps, dans la capacité d’interpréter théologiquement les événements actuels dans la société et la culture. Cela signifie rechercher le sens plus profond, souvent caché, de ces événements, y reconnaissant l’expression divine. Il est nécessaire de les distinguer de leur interprétation superficielle, le langage de ce monde, du Zeitgeist – qui s’exprime dans des idéologies comme le nationalisme, le populisme, l’opinion majoritaire, souvent manipulée par les populistes et démagogues.

Quelles ressources peuvent y aider ?

T. H. : La spiritualité ignatienne jésuite a particulièrement mis l’accent sur le discernement spirituel dans le processus de réflexion des chrétiens individuels, guidant leur prise de décision. Ce qui est nécessaire maintenant, c’est d’appliquer les méthodologies du discernement spirituel et de la lecture des signes des temps dans la vie des communautés chrétiennes et de l’Église dans son ensemble.

C’est un élément clé du processus de renouveau synodal initié par le pape François, un processus qui implique l’écoute mutuelle, la prise de décision commune et la responsabilité partagée. Cette méthode nécessite de compléter, plutôt que de remplacer, l’analyse rationnelle par une approche contemplative de la réalité. Cela implique une ouverture aux aspects de la réalité qui échappent souvent à l’analyse, réduisant la réalité au statu quo ou la limitant à ce qui est conscient, saisissable dans les possibilités de notre langage et les catégories habituelles de notre pensée.

Et du côté de l’herméneutique, la science de l’interprétation des textes ?

T. H. : Contrairement aux fondamentalistes, qui croient connaître l’intention de Dieu et font de la religion une idéologie, l’herméneutique théologique doit humblement et de façon autocritique réexaminer continuellement, poser de nouvelles questions et transcender les frontières mentales. Dieu est un mystère inépuisable, source de la dynamique d’un monde en constante évolution et transformation. Les disciples de Jésus doivent toujours maintenir la vigilance, l’attente, un esprit ouvert et un cœur réceptif. L’histoire n’est ni un flux aveugle d’accidents ni le produit des seuls efforts humains, mais un dialogue constant et une collaboration avec le Seigneur de l’histoire, dans lesquels notre capacité et volonté d’écouter, comprendre et répondre jouent un rôle significatif. Dieu n’habite pas derrière l’histoire, mais en elle.

Le catholicisme aujourd’hui est profondément divisé entre Églises nationales mais aussi en leur sein, entre des visions ecclésiologiques, politiques parfois difficilement conciliables… La démarche synodale promue par François a-t-elle accentué cette fracture – ou permis de prévenir son creusement ?

T. H. : L’intégration de ces nouveaux éléments dans la vie de l’Église et le courant de la tradition a souvent été associée à des conflits. Il est clair que le processus de renouveau synodal sera un processus à plusieurs vitesses, qui nécessite une décentralisation de l’Église, un dialogue mutuel, la tolérance et la reconnaissance de la légitimité des différentes formes de christianisme. Certaines églises locales sont prêtes pour des réformes spécifiques, d’autres ne le sont pas. Trop de tension avec le contexte culturel et la mentalité dominante risque une exculturation du christianisme. Trop de conformité, d’autre part, risque une perte d’identité. La recherche de l’identité du christianisme au milieu des changements constants dans les contextes culturels est, cependant, une tâche permanente pour l’Église.

La Croix International

6 mai 2025


Tomás Halik - République tchèque)

Notes :
https://international.la-croix.com/opinions/the-church-must-move-toward-a-more-mature-christianity



retourner dans l'article


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux