Les 30 ans de We are Church et la poursuite du processus synodal
Pierre Collet
Publié dans Bulletin PAVÉS n°84 (9/2025)
Notre réseau Pour un Autre Visage d’Église et de Société est né en 1995 en réaction à l’exclusion de Jacques Gaillot du siège épiscopal d’Évreux, et en prolongement de la pétition venue d’Autriche et qui a rassemblé plus de deux millions de signatures pour déboucher sur la naissance de Nous Sommes Église en 1996.
Les objectifs redisaient l’urgence de réformer radicalement l’Église pour la rendre plus proche du message de Jésus, plus participative et plus égalitaire. Avec la conviction que cette Église n’existe pas pour elle-même, mais est au service du Royaume, autrement dit d’un projet de société humaine, juste et fraternelle comme l’avait rêvé Jésus.
Pour mémoire, voici les cinq revendications que les délégués avaient signées cette année-là à Rome sous la forme d’un Manifeste[1] :
· La construction d’une Église de frères et sœurs qui reconnaît l’égalité de tous les baptisés, y compris la participation du Peuple de Dieu dans l’élection des évêques dans leurs églises locales.
· L’égalité des droits entre hommes et femmes, y compris l’admission des femmes dans tous les ministères de l’Église.
· Le libre choix d’une vie célibataire ou conjugale pour tous ceux qui se consacrent au service de l’Église.
· Une attitude positive envers la sexualité et une reconnaissance de la conscience personnelle dans la prise de décision.
· Un message de joie et non de condamnation, incluant le dialogue, la liberté d’expression et de pensée. Pas d’anathèmes ni d’exclusion comme moyen de résoudre les problèmes, en particulier concernant les théologiens.
Même si ces demandes sont loin d’avoir été rencontrées et restent donc d’une prégnante actualité, reconnaissons que le fait d’être discutées dans le monde entier a été bien utile et a peut-être même joué un rôle dans le lancement du processus synodal et la tenue des deux sessions synodales de 2023 et 2024…
Nos amis allemands sont en train de préparer la célébration de ce 30[e] anniversaire et ont ciblé et identifié le défi d’aujourd’hui : face aux pouvoirs qui ont fait et continuent de faire tant de victimes qui se sentent impuissantes, seul un engagement fort des Églises et des sociétés en faveur de la solidarité, de la spiritualité et de la synodalité peut encourager les gens et leur apporter de l’espoir ! Voici le texte de leur invitation.
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« Qui aurait pu imaginer à l’époque que la collecte de signatures lancée en 1995 en Autriche dans le cadre de la première initiative populaire au sein de l’Église donnerait naissance à un mouvement de réforme mondial ! Un an auparavant, le pape Jean-Paul II et son préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Joseph Ratzinger, avaient interdit toute discussion sur l’ordination des femmes. Peu après, tous les cas de violence sexuelle dans le monde ont été placés sous "secret pontifical", sous peine d’excommunication.
Mais aujourd’hui, même si c’est beaucoup trop tard, les cinq revendications de réforme de We are Church font partie du canon mondial de la réforme. Elles sont traitées depuis 2019 dans le cadre du Chemin synodal en Allemagne et depuis 2021 dans le cadre du processus synodal mondial initié par le pape François et poursuivi par le pape Léon. Beaucoup d’observateurs considèrent la "question des femmes" et le traitement des abus comme les thèmes concrets les plus importants pour redonner à l’Évangile sa force originelle auprès des hommes et des femmes de notre temps.
Compte tenu des rapports de force cléricaux dont sont encore victimes aujourd’hui les personnes qui ont été abusées, les femmes et les personnes queer au sein de l’Église catholique romaine, cela peut être considéré comme une évolution encourageante. Cependant, la montée en puissance des courants évangéliques prétendument fidèles à la Bible et des cercles catholiques conservateurs de droite est très préoccupante, car ils sont étroitement liés aux forces politiques de droite. Les déclarations du vice-président américain Vance, converti au catholicisme, et son influence sur les élections à la Cour constitutionnelle fédérale ne sont que deux exemples alarmants parmi d’autres. »
« Pouvoir / impuissance / espoir » sera donc le titre du Congrès et de la 53[e] Assemblée fédérale auxquels Wir sind Kirche vous invite cordialement à Nuremberg les 7-8-9 novembre prochains à l'occasion de son 30[e] anniversaire.
Christian WEISNER, Martina STAMM, Hans-Josef WEISS
Wir sind Kirche Deutschland »
https://www.wir-sind-kirche.de/files/wsk/2025/Wir_sind_Kirche_Info_2025_Herbst.pdf
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La poursuite du processus synodal
Comme nous l’avions déjà exprimé dans notre rubrique précédente au mois de juin, il semble raisonnable d’espérer que le pape Léon poursuivra le processus vers une Église plus synodale. Permettra-t-il la mise en œuvre du dernier projet du pape François de viser une assemble mondiale de l’Église en 2028 ? Fera-t-il confiance aux dix groupes de travail toujours en fonction, en retard bien sûr, mais qui promettent de remettre leurs conclusions avant la fin de cette année ? Le cardinal Grech, secrétaire du Synode, continue en tout cas d’assumer son rôle et a invité largement les groupes qui avaient manifesté leur intérêt à participer au Jubilé du Synode les 24-25-26 octobre prochains. Neuf membres de WAC-Inter-national (d’Allemagne, Autriche, Écosse, Irlande et Italie) sont donc enregistrés auprès du Bureau du Synode et prendront part à ces rencontres et célébrations.
Entretemps les échanges et discussions ont été assez riches entre les membres du Mouvement WAC : en-deçà de la volonté jusqu’ici prioritaire de parvenir à dialoguer avec Rome, il s’agirait surtout maintenant de s’accorder sur les manières de fonctionner au plan local et national. C’est ainsi qu’une proposition de lettre aux évêques reprenant une liste de 10 demandes de réformes a été assez contestée parce qu’elle ne tenait pas assez compte de la diversité de situations des Églises locales. Cette nouvelle "stratégie" qui partirait davantage des attentes des communautés locales est d’ailleurs celle qui était préconisée par le Document final du Synode d’octobre 2024. Mais ce chemin – au pluriel ? – est sans doute bien plus difficile à emprunter qu’une belle route bien droite et tracée par un bureau d’ingénieurs… Le dilemme n’est pas nouveau : comment arriver à conjuguer un projet universel (y compris l’universel tel que pensé par WAC, très inspiré par nos culture européennes) et les priorités particulières ? Quelles diversités seront-elles considérées comme légitimes ?
Problème… Nous écrivions il y a trois mois : « On n’a pas encore vu bouger grand-chose chez nous. » Dans les diocèses, la phase dite "d’accompagnement et d’évaluation" devrait théoriquement battre son plein. Des équipes synodales sont censées être constituées, des sessions de formation lancées, des "écoles de synodalité" installées. Et nombre d’évêques attendent… Mais « la synodalité commencera en paroisse ou elle ne sera pas », soutient René Poujol dans son dernier livre[2], citant une formule du cardinal luxembourgeois Hollerich. En clair : sans une mobilisation de la base, la réforme restera lettre morte…
Pierre Collet (Hors-les-murs)
[1] https://www.we-are-church.org/123/index.php/aboutus/imwac-manifesto
[2] René Poujol, Le synode, c’est maintenant, éd. Salvator, 2025. Voir sa longue et détaillée présentation dans Golias-Hebdo n° 871 du 26 juin 2025.
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