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Hommages à Fritz Lobinger (1929-2025)

Pierre Collet
Emilia Robles
Publié dans HLM n°181 (9/2025)



Nous joignons notre voix à celles des amis d’autres pays pour saluer l’audace et la clairvoyance de cet évêque et « notamment pour sa recherche inlassable de formes pastorales incarnées, attentives au peuple, et pour son engagement en faveur d’une Église de communautés vivantes et coresponsables ».

Il y a une petite vingtaine d’années, beaucoup semblaient bien convaincus que la solution d’ordonner prêtres des viri probati ("des hommes ayant fait leurs preuves") était en train de faire l’unanimité. C’est dans ce contexte que Fritz Lobinger avait fait cette proposition originale : au départ des besoins des communautés, il faudrait distinguer deux sortes de prêtres qu’il appelle pauliniens et corinthiens.[1] Voici comment notre ami José Lhoir résumait et commentait le projet à l’époque :

« Les corinthiens ressemblent aux "anciens" de saint Paul (que l’auteur ne cite guère). Ils sont sédentaires, animateurs d’une communauté. À temps partiel (ils font aussi autre chose). En équipe (l’auteur y insiste). Ils sont formés sur le terrain (plus de séminaire...). Les pauliniens par contre, continuateurs des prêtres actuels, sont des prêtres volants. Ils ne sont pas les gens d’une communauté précise, comme les corinthiens, mais suscitent des communautés nouvelles. La perspective est nouvelle et intéressante. L’auteur refuse de se dire motivé par la perspective de l’actuel manque de prêtres. Il se défend d’être acculé à réfléchir de la sorte à cause de cette épée qu’il se sentirait dans les reins. Accordons-le lui. Il se dit à la recherche d’une "solution communautaire" : ces "corinthiens" qu’il préconise constituent un nouveau type de prêtres. Les prêtres tels qu’on les connaît actuellement ne passent pas à la trappe, ils se voient dotés d’un complément. Chose intéressante : le mot "prêtre" a dorénavant plusieurs contenus. […] Mais autant il s’étend sur les corinthiens, ce qui est son propos, autant il est sobre sur les pauliniens qui prolongent, ce me semble, l’unique modèle actuel. J’ai cru comprendre que les pauliniens restaient célibataires et donnaient même aux corinthiens l’envie de le devenir. À l’avenir, la différence ne sera pas "marié ou célibataire", mais "paulinien ou corinthien". On aurait quand même aimé savoir si les pauliniens de l’avenir sont asexués… »

La thèse de l’évêque Lobinger a été surtout commentée en Autriche, en Allemagne, en Espagne et en Amérique latine, en tout cas pour son volet concernant les "corinthiens ou prêtres de communautés", mais guère au-delà et ne semble pas du tout avoir inspiré la hiérarchie. Peut-être n’accordait-elle pas assez d’attention à la dimension institutionnelle de ces ministères ?

Quelques années plus tard, Albert Rouet publiait un livre remarquable[2] dont on n’a pas beaucoup parlé mais dont le titre, utilisant le pluriel, disait déjà une certaine proximité avec la proposition qu’on vient de rappeler : Prêtres. Sortir du modèle unique. Interrogeant davantage que Lobinger l’histoire et la théologie pour rappeler ce que pourrait être l’identité presbytérale, l’ancien archevêque de Poitiers insistait beaucoup sur la réciprocité indispensable entre une communauté structurée et son ou ses animateurs(s). On se souviendra avec gratitude qu’il nous avait donné un beau texte là-dessus qui a été publié à l’occasion du Congrès des prêtres mariés à Madrid en 2015.[3]

Laissons enfin la parole à deux personnes qui ont beaucoup travaillé à promouvoir les idées de Fritz Lobinger, la première est l’espagnole Emilia Robles de Proconcil qui est au cœur du réseau et des publications qui ont fait connaître Lobinger en Espagne et en Amérique latine, le second est le prêtre autrichien Helmut Schüller, de la Pfarrer-Initiative.

Pierre COLLET

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C’est avec une profonde gratitude pour sa vie et son héritage que nous nous souvenons de Mgr Fritz Lobinger, évêque émérite d’Aliwal (Afrique du Sud), parti pour la Maison du Père le dimanche 3 août 2025. Son passage à travers l’histoire ecclésiale a laissé une marque indélébile (bien que moins connue qu’on le souhaiterait), notamment pour sa recherche inlassable de formes pastorales incarnées, attentives au peuple, et pour son engagement en faveur d’une Église de communautés vivantes et coresponsables.

Dans son contexte sud-africain, il a développé une vision pastorale centrée sur de petites communautés ecclésiales comme cellules vivantes de l’Église. Il y promouvait la pratique de la Bible partagée, une méthodologie qui a permis à la communauté de lire, d’écouter et de discerner ensemble la Parole de Dieu, en reconnaissant la voix de l’Esprit dans la vie concrète des gens. Cette expérience est devenue l’un des piliers de sa proposition pastorale : une Église où la participation communautaire, l’écoute et le discernement sont la voie ordinaire de l’évangélisation. Pour contribuer à la revitalisation de la communauté, il s’est formé à la méthodologie d’éducation populaire du pédagogue brésilien Paulo Freire, visitant le Brésil à plusieurs reprises.

Profondément attentif aux besoins réels des communautés, notamment dans les contextes où l’eucharistie dominicale ne pouvait être célébrée faute de prêtres, Lobinger a proposé avec audace et fidélité une réflexion sur de nouvelles formes ministérielles : confier l’animation à des dirigeants reconnus par leurs communautés, mariés et ayant une vie stable, n’était pas d’abord une solution fonctionnelle, mais une proposition théologique et pastorale profondément enracinée dans la vie du peuple de Dieu et dans la grande tradition des communautés pauliniennes.

[…] Pour réfléchir plus sereinement à cette pratique de formes ministérielles plurielles, ainsi qu’aux défis et aux contradictions associés à ces développements, Lobinger a fréquemment visité les communautés religieuses sœurs, principalement anglicanes et méthodistes. […] Son dialogue constant avec les autres églises et son ouverture aux expériences ecclésiales de l’Asie, de l’Amérique latine et de l’Océanie ont enrichi ses propositions, les rendant profondément catholiques au sens plein du terme : ouvertes, inclusives, enracinées dans la vie.

Aujourd’hui, alors que le chemin synodal continue de mettre l’Église au défi de trouver de nouvelles langues et formes de mission, le témoignage de Lobinger résonne comme une invitation à ne pas avoir peur, à faire confiance à l’Esprit qui parle dans les communautés et à construire ensemble une Église plus proche, plus participative et pleine d’espoir. C’est pourquoi je crois que, reconnaissants pour sa vie et attachés à son héritage, nous devons continuer à étudier comment récupérer et faire connaître ses réflexions et ses propositions. […]

Emilia ROBLES

Source : https://www.religiondigital.org/mundo/Fritz-Lobinger-comunidades-ministerios-renovados_0_2805019475.html

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Atteindre l’âge de 96 ans et incarner jusqu’à la fin une vision novatrice et pleine d’avenir pour l’Église et surtout pour les communautés : tel était le destin de Fritz Lobinger, évêque émérite d’Aliwal en Afrique du Sud, décédé récemment dans son pays d’adoption. Sa vision (très ancienne) : les paroisses sélectionnent des personnes baptisées et les proposent à l’évêque pour qu’il leur confie des fonctions sacerdotales et sacramentelles. Bien sûr, ces person-nes sont formées et accompagnées dans cette voie. Paul Zulehner et Peter Neuner ont fait connaître ce "modèle Lobinger" en Europe dans les années 1990.

Cette porte a failli s'ouvrir lors du synode sur l’Amazonie il y a quelques années à Rome, mais seulement failli. Peu avant, j’ai téléphoné à l’évêque Lobinger et lui ai demandé si nous devions faire du "lobbying" pour son modèle au nom de la Pfarrer-Initiative. Il m’a répondu à l’époque que ce n’était pas nécessaire, car le pape et le synode allaient de toute façon dans cette direction. Après tout, le pape François s’était également exprimé à plusieurs reprises en faveur du "modèle Lobinger". Lobinger a dû être très déçu.

Dans ma paroisse, nous avons commencé, avant même le synode sur l’Amazonie, à prendre des mesures concrètes pour mettre en place le "modèle Lobinger". À cette fin, la paroisse a sélectionné des femmes et des hommes qui doivent se préparer à être ordonnés prêtres par l’évêque. Avec eux, je célèbre l’Eucharistie, pour l’instant conjointement. Je suis convaincu que l’Église s’ouvrira au "modèle Lobinger". Non seulement parce que ce modèle était la norme au tout début de l’Église, mais aussi parce que, depuis la pénurie de prêtres, la vie des communautés se serait effondrée depuis longtemps sans l’engagement pastoral et sacerdotal de facto des baptisés. Mais je suis moins sûr de savoir quand la porte du modèle Lobinger sera ouverte. Quoi qu’il en soit, nous avons maintenant un nouveau compagnon du ciel pour les efforts visant à y parvenir.

Helmut SCHÜLLER

Source : https://wir-sind-kirche.at/artikel/im-gedenken-bischof-fritz-lobinger


Pierre Collet (Hors-les-murs)
Emilia Robles ( - )

Notes :

[1] Fritz Lobinger, Qui ordonner ? Vers une nouvelle figure de prêtres. Ed. Lumen Vitae 2008, 123 pages. José Lhoir, C’est qui et quand ce prêtre autrement… ? in HLM n° 115, mars 2009,  http://paves-reseau.be/revue.php?id=678 . On trouvera aussi sur notre site un autre commentaire de cet ouvrage par Juan Cejudo, Les prêtres du futur, à partir de l’expérience des communautés de base d’Espagne et d’Amérique latine :  https://paves-reseau.be/revue.php?id=632

[2] Albert Rouet, Prêtres. Sortir du modèle unique, Éd. Médiaspaul, 2015, 327 p.

[3] Albert Rouet, Des communautés et des prêtres. L’expérience des communautés locales à Poitiers, in R. Alario, P. Collet, J. Mulrooney, Prêtres dans des communautés adultes, Albacete, 2015, pages 265-278. En ligne : https://paves-reseau.be/revue.php?id=2245




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