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Foot, sexe et business

Pierre Collet
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Les médias s’en sont emparé depuis quelques semaines, et beaucoup d’entre nous ont sans doute reçu ces dernières semaines ce message du MOC de Liège relayant la pétition contre la prostitution dans le cadre du Mondial de football. Il est trop clair pour qu’on se permette de le réécrire :

 

« "Carton rouge" contre la prostitution forcée à l'occasion de la Coupe du monde du football.

Déjà un carton rouge à la Coupe du monde quand l'esclavage est à nos portes.

Chacun sait que dès le 9 juin l'Allemagne accueille pour un mois la Coupe du monde de football. Ce sera pour beaucoup d'entre nous l'occasion de passer des moments de convivialité, accroché au petit écran, espérant la victoire de l'équipe qui a notre préférence. Cet événement va également attirer dans les villes allemandes plusieurs millions de supporters.

Dans le cadre de cet événement, on estime qu'environ 40 000 femmes, contraintes et forcées, vont être "importées", comme des marchandises, principalement de l'est de l'Europe, pour "servir" sexuellement les supporters; et un mega bordel, à Berlin, capitale d'un pays qui a donné à la prostitution un statut légal, se présente déjà comme le "bordel de la coupe du monde" pouvant assouvir plusieurs centaines de clients par jour !!! Nous ne sommes plus dans le sport mais dans une des formes de l'esclavage moderne. Ignoble.

Le président de la FIFA déclarait dans une récente conférence de presse à propos de la Coupe du monde : "Nous vivons dans un monde troublé. J'espère que cette Coupe du monde de la FIFA apportera un peu de sérénité et, en tous cas, de belles émotions à tous, pendant un mois". Nous souhaiterions qu'il prenne clairement position contre cette traite d'êtres humains que rien ne peut excuser.

Les associations de femmes des Églises catholique et protestantes participent à la campagne "Carton rouge" contre la prostitution forcée pour mettre fin au "commerce d’esclaves" de ces femmes qui ont été attirées le plus souvent en Allemagne par des promesses de petits boulots pendant la Coupe du monde et qui se retrouvent ensuite sans aucun moyen de retour, contraintes de se prostituer.

Cet éclairage particulier sur la Coupe du monde de foot doit également nous inciter à réfléchir les questions de prostitution chez nous et la manière dont des femmes (et des hommes) sont traitées en foulant aux pieds les droits humains fondamentaux, quand le corps n'est plus qu'une marchandise. Et cela au mépris des conventions internationales (entre autres celle de l'ONU du 2 décembre 1949 ratifiée seulement par 15 des 32 pays participant à la Coupe du monde) qui répriment la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution et qui condamnent toute forme d’exploitation de la prostitution, même si la victime est consentante. Nous pouvons aussi réagir, entre autres en signant une pétition en ligne sur internet (http://catwepetition.ouvaton.org). Jean-Jacques Jouffroy et Jean-Marie Schreuer »

Le mensuel L’Appel du mois de juin consacre aussi quelques pages au phénomène. Mais en soulignant par ailleurs le lien entre cette importation de "main d’œuvre originale" et le fait plus global de l’immigration : "Divers organismes et ONG tirent la sonnette d'alarme. Ils craignent notamment l'afflux de prostituées venues d'Afrique. Du Nigeria et du Cameroun - principaux « exportateurs» de prostituées vers l'Europe - mais aussi de la Côte d'Ivoire, de la RDC, etc. Ce phénomène des migrations a pris de l'ampleur avec les J.O. d'Athènes, lorsque la majorité des filles ne sont pas rentrées au pays après la fin des Jeux. Pour nombre de candidates à l'exil, la Coupe du monde est donc devenue une porte ouverte sur l'Europe."

Et puis, troisième élément qui m’a interpellé, c’est toute l’ambiguïté qui entoure cette "légalisation" de la prostitution en Allemagne. Bien sûr, comme le souligne le quotidien suisse Le Courrier, la légalisation a offert aux "affiliées" une couverture sociale complète. Voici comment on y présente les choses : « Le Conseil allemand des femmes soutient majoritairement cette loi. En revanche, le trafic d'êtres humains à des fins de prostitution est une violation des droits humains, une forme moderne d'esclavage qui, partout dans le monde, menace un grand nombre de femmes, d'enfants et aussi d'hommes. Or la prostitution forcée représente un commerce florissant. C'est un scandale que la lutte contre ce crime n'ait, jusque aujourd'hui, pas été plus suivie. Aujourd'hui la prostitution n'est plus considérée comme une activité "contraire aux bonnes mœurs". Les prostituées ont le droit et la possibilité de s'inscrire de manière régulière au système de santé. La loi a été introduite pour protéger les prostituées et leur donner la possibilité d'abandonner ce travail lorsqu'elles le souhaitent tout en bénéficiant d'une protection. L'objectif de la loi était aussi d'extraire la prostitution du milieu de la criminalité. »

Mais dans un encadré que je trouve très pertinent, sous le titre Du libre choix d'être contrainte, Virginie Poyetton va plus loin :

« La campagne "Carton rouge à la prostitution forcée" lancée par le Frauenrat est loin de faire l'unanimité parmi les associations de défense des droits des femmes. Pour une raison principale : certaines associations refusent de faire la distinction entre une prostitution forcée, outrageusement illégale, et une prostitution volontaire, parfaitement légitime. L'appellation "prostitution forcée" en soi implique qu'il existe une prostitution choisie. Ce à quoi se refuse de croire le Lobby européen des femmes. Pour l'organisation faîtière, les femmes n'ont pas opté librement pour la profession de prostituée, mais y ont été contraintes pour des raisons économiques, de violence, etc. Trop facile donc de se limiter au discours complaisant de certaines prostituées et à un prétendu libre choix de la personne. "Dans une société qui reconnaît le droit à l'autodétermination des femmes et leur liberté sexuelle, il devient alors indispensable pour justifier l'archaïsme de cette industrie que les discours de légitimation viennent des personnes elles-mêmes en situation de prostitution", souligne Malka Marcovich, directrice européenne de la Coalition contre la traite des femmes (CATW). "Le foot des supporters offre l'image d'un monde valorisant les clichés machistes" (…)

La CATW s'oppose à la légalisation de la prostitution principalement pour deux raisons. En premier lieu, l'association affirme que loin de limiter la prostitution, la dépénalisation assure le développement de l'industrie du sexe. Aux Pays-Bas, alors que le proxénétisme a été légalisé et les maisons closes dépénalisées, l'industrie du sexe a progressé de 25% lors des dix dernières années. Ensuite, la dépénalisation ne protègerait pas plus les femmes. Dans une étude menée par la CATW, les victimes de la traite et de la prostitution témoignaient de l'absence de mesures de protection dans les établissements dans lesquels elles se trouvaient, qu'ils soient légaux ou illégaux. L'étude montre également que 80% des 200 femmes interrogées avaient subi des violences physiques de la part de proxénètes ou de clients.
Aujourd'hui, l'organisation milite pour la pénalisation du client. Jusqu'à ce jour, seule la Suède a condamné l'existence légale des maisons closes. Dans le pays scandinave, depuis le 1er janvier 1999, "celui qui, moyennant rémunération, se procure une relation sexuelle occasionnelle est condamné à une peine d'amende ou d'emprisonnement".»

Il me semble bien qu’au-delà de l’événement – on s’associe facilement et sans réserve à condamner la traite des êtres humains – la question qu’on se pose est presque toujours celle de la "légalisation". Ici c’est sur fond de prostitution en Allemagne, mais on ne peut s’empêcher de penser aussi à la légalisation des drogues aux Pays-Bas ou même chez nous, à la légalisation de l’avortement et de l’euthanasie, à la légalisation des sans papiers… Difficile de s’y retrouver…

"Légaliser" : quelle différence avec "légiférer" ? Paul Ricœur avait écrit il y a une quinzaine d’années un remarquable article sur "Le juste : entre le légal et le bon" : il posait la question en termes de "valeurs" plutôt qu’en termes de "permis" ou "interdit", en termes de responsabilité politique et morale, en termes de convictions… Le ballon du Mondial est bien dans le camp de chacun d’entre nous…

Pierre Collet (Hors-les-murs)


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